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CHAPITRE XVI |
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Traduction de Jean-Noël
ROBERT |
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La longévité de l'Ainsi-Venu. Sur ce, la vaste multitude des êtres d'Éveil, Maitreya à leur tête, joignit les paumes et s'adressa à l'Éveillé : «Vénéré du monde, expliquez-le, c'est notre seul souhait; nous recevrons avec foi les propos de l'Éveillé.» Et ainsi trois fois, puis ils dirent encore : «Expliquez-le, c'est notre seul souhait; nous recevrons avec foi les propos de l'Éveillé.» Alors le Vénéré du monde, sachant que la triple prière des êtres d'Éveil ne cesserait pas, leur déclara : «Ecoutez en toute lucidité le secret de l'Ainsi-Venu, ce que peuvent ses pouvoirs divins. Dans tous les mondes, les dieux, les hommes et les titans pensent tous que l'Éveillé Çâkyamuni de notre temps a quitté le palais du clan des Çâkya pour s'en aller non loin de la ville de Gayâ s'asseoir au lieu de la Voie et qu'il y a obtenu l'Éveil complet et parfait sans supérieur. Or, fils de bien, cela fait d'innombrables, d'infinis milliers de millions, de myriades et de milliards d'éons que je suis réellement devenu Éveillé. Si, par exemple, il y avait un homme qui réduisait en atomes cinq mille millions de myriades de milliards de quantités incalculables de mondes tricosmiques, puis, ayant passé cinq mille millions de myriades de milliards de royaumes vers l'est, déposait un atome, et, poursuivant ainsi vers l'est, allait jusqu'à l'épuisement de ces atomes. Qu'en pensez-vous, fils de bien ? Tous ces mondes, pourrait-on en concevoir, supputer, connaître le nombre ou non?» Maitreya et ceux qui étaient avec lui s'adressèrent en ces mots à l'Éveillé : «Vénéré du monde, ces mondes seraient innombrables, infinis, on ne pourrait les connaître par le calcul, la force de l'esprit n'y suffirait point; même tous les auditeurs et les éveillés pour soi, à l'aide de leur sagesse sans infection, ne pourraient par la réflexion connaître leur nombre. Nous-mêmes, qui demeurons en la terre de non-régression, ne pourrions avoir accès à une telle chose. Vénéré du monde, de tels mondes sont innombrables et infinis.» Alors l'Éveillé déclara à la vaste multitude des êtres d'Éveil : Fils de bien, je vais maintenant vous l'exposer en toute évidence : si l'on réduisait en atomes la totalité de ceux qui ont reçu un atome comme de ceux qui n'en ont pas reçu, et que chaque atome était un éon, depuis que j'ai réalisé l'état d'Éveillé, il se serait écoulé davantage encore de millions, de myriades et de milliards d'éons incalculables. Et depuis lors, j'ai toujours été dans ce monde de l'Endurance à prêcher la Loi, à enseigner et convertir; j'ai aussi, en d'autres endroits, en des millions, des myriades, des milliards d'incalculables royaumes, guidé les êtres pour leur bénéfice. Fils de bien, dans cet intervalle, j'ai prêché sur l'Éveillé Brûle-Lampe et d'autres, et, de plus, j'ai parlé de leur entrée dans l'Extinction : tout cela est distinctions faites en manière d'expédients. Fils de bien, si des êtres viennent à moi, je considère, grâce à mon oeil d'Éveillé, le degré d'acuité de leurs facultés – la foi et les autres – et, selon ce qu'il me faut sauver, je me présente moi-même en des lieux variés sous des noms et des âges divers; en outre, je fais montre de dire que j'entrerai dans l'Extinction. De plus, grâce à des expédients variés, je prêche la Loi subtile et sublime, je suis capable de mener les êtres à déployer un esprit d'allégresse. Fils de bien, l'Ainsi-Venu, voyant que des êtres, aux minces mérites et aux graves impuretés, se complaisent dans les enseignements mineurs, il leur prêche ainsi : «J'ai quitté ma famille quand j'étais jeune, j'ai obtenu l'Éveil complet et parfait sans supérieur.» Or, cela fait aussi longtemps que je viens de le dire que je suis en réalité devenu Éveillé, et ce n'est qu'en manière d'expédient que j'enseigne et convertis les êtres, les faisant entrer dans la voie d'Éveillé en prêchant de cette façon. Fils de bien, les textes canoniques exposés par l'Ainsi-Venu sont tous en vue de la délivrance des êtres : qu'il parle de lui-même ou qu'il parle des autres, qu'il se montre lui-même ou qu'il montre autrui, qu'il montre sa conduite ou qu'il montre la conduite d'autrui, aucune de ses prédications n'est en réalité vaine. Pourquoi cela ? L'Ainsi-Venu a un savoir et une vision des aspects des trois mondes conformes à la réalité : il n'y a ni naissance ni mort, ni retrait ni émergence, personne pour résider au monde ni passer en Disparition; ils ne sont ni réels ni inanes, ni ainsi ni autrement; il ne voit pas les trois mondes comme les trois mondes. De tels phénomènes, l'Ainsi-Venu les voit clairement et sans erreur; parce que les êtres ont toutes sortes de natures, de désirs, de pratiques, de notions et discriminations, il veut les mener à produire les racines de bien et leur prêche toutes sortes d'enseignements par une quantité de relations, de paraboles et de locutions. Jamais encore la conduite d'Éveillé qu'il a mise en oeuvre ne fut, même un instant, abolie. Tel est donc le temps fort long depuis que j'ai réalisé l'état d'Éveillé; ma longévité est d'innombrables quantités incalculables d'éons et je demeure en pérennité sans disparaître. Fils de bien, à présent, la longévité que j'ai réalisée en pratiquant à l'origine la voie d'être d'Éveil n'est pas même venue à son terme : elle sera encore du double de ce chiffre. Et cependant, alors qu'il ne s'agit pas pour l'instant du passage réel en Disparition, je proclame que je vais aborder le passage en Disparition; c'est par ces expédients que l'Ainsi-Venu enseigne et convertit les êtres. Comment cela se fait-il ? Si l'Éveillé demeurait trop long-temps au monde, les hommes de minces mérites ne planteraient pas les racines de bien; misérables et vils, avidement attachés aux cinq désirs, ils se jetteraient dans le filet des notions et des opinions erronées. S'ils voyaient l'Ainsi-Venu rester en permanence, sans disparaître dans l'Extinction, ils concevraient une disposition orgueilleuse, éprouveraient lassitude et dégoût, et seraient incapables de produire une pensée de respect à l'idée de cette rencontre difficile. Voilà pourquoi l'Ainsi-Venu prêche, en manière d'expédient : «Sachez-le, moines, il est bien difficile de faire la rencontre des Éveillés qui surgissent au monde.» Pourquoi cela ? Les gens de minces mérites, même s'il se passe d'innombrables milliers de millions de myriades d'éons, peuvent aussi bien voir un Éveillé que n'en pas voir; c'est pour cela que je tiens ces propos : «Ô moines, il est bien difficile de pouvoir apercevoir un Éveillé.» Entendant mes propos, ces êtres concevront forcément l'idée qu'il s'agit d'une rencontre difficile; ils auront au coeur une aspiration passionnée et assoiffée pour l'Éveillé et planteront alors des racines de bien. Voilà pourquoi l'Ainsi-Venu, bien qu'il ne disparaisse pas réellement, parle de passer dans la Disparition. De plus, fils de bien, les enseignements des Éveillés Ainsi-Venus sont tous comme cela; ils sont en vue du salut des êtres, ils sont tous réels et ne sont pas vains. Il en est comme, par exemple, d'un bon médecin, sage et prudent, qui préparerait avec discernement les prescriptions et guérirait avec maîtrise les maladies; il aurait de nombreux fils, peut-être dix, vingt, jusqu'à cent et plus. Les circonstances l'amènent à se rendre dans un lointain pays étranger. Après son départ, ses fils absorbent une substance empoisonnée interdite; celle-ci provoque des souffrances qui les font se tordre et se rouler par terre. A ce moment, leur père revient à la maison; parmi ses enfants qui ont bu le poison, certains ont perdu l'esprit, d'autres non. Voyant de loin leur père, ils sont tous en grande liesse; agenouillés, ils le saluent : «Vous voilà bien revenu, sain et sauf ! Dans notre sottise, nous avons absorbé une dose de poison; nous vous en prions, daignez nous soigner et nous redonner la vie.» Le père, voyant à quel point ses enfants souffrent, recherche, d'après ses traités canoniques, de bonnes herbes médicinales, réunissant complètement et en tous points la couleur, l'odeur, la saveur indiquées; ils les broie, les tamise, les mélange et les donne à boire aux enfants, leur disant : «Voici un médicament grande-ment efficace, qui réunit complètement en lui la forme, l'odeur et la saveur, vous allez le boire et il éliminera rapidement vos souffrances; vous n'aurez plus tous ces tourments.» Ceux de ses fils qui n'ont pas perdu l'esprit voient que ce bon remède combine couleur et saveur agréables et l'absorbent donc : leur maladie se trouve complètement guérie. Les autres, qui ont perdu l'esprit, voient leur père venir, mais bien qu'ils le saluent eux aussi avec joie et lui demandent instamment de soigner leur mal, lorsqu'il leur donne le remède, ils se refusent à l'absorber. Pourquoi cela ? C'est que les vapeurs du poison ont profondément pénétré jusqu'à la base de leur esprit et ils ne trouvent point beau ce remède agréable de couleur et de saveur. Leur père a cette réflexion : ces malheureux enfants, sous l'action du poison, ont l'esprit sens dessus dessous; bien qu'ils soient contents de me voir et me demandent instamment de les sauver, ils ne consentent pas à prendre ce remède qui est pourtant si agréable. Il me faut à présent mettre au point un expédient pour le leur faire prendre. Il leur tient donc ce langage : «Sachez-le, je suis maintenant vieux et décrépit, l'heure de ma mort est venue. Je vous laisse ici ce remède efficace et agréable, vous pouvez le prendre et l'absorber; ne vous désolez plus de ne pas guérir.» Leur ayant fait ces instructions, il gagne un pays étranger, et envoie en retour un messager pour annoncer : «Votre père est mort.» À ce moment, les enfants, entendant que leur père s'était détourné d'eux pour les quitter, ont l'esprit envahi d'une grande détresse et se font ces réflexions : si notre père était là, il aurait pitié de nous et pourrait veiller à notre protection, mais il nous a maintenant abandonnés et a disparu dans une lointaine contrée. Ils se croient orphelins, sans plus personne à qui s'en remettre, et ont l'esprit constamment plongé dans la tristesse. Ils finissent cependant par s'éveiller à la compréhension et se rendent compte que ce remède est agréable de couleur, d'odeur et de goût; ils l'absorbent et la maladie causée par le poison se trouve complètement guérie. Le père entend que ses fils ont tous obtenu la guérison et revient aussitôt pour se montrer à eux tous. Fils de bien, qu'en pensez-vous ? Se trouve-t-il vraiment quel-qu'un qui puisse dire que ce bon médecin s'est rendu coupable de tromperie? - Non, Vénéré du monde. L'Éveillé leur dit : «Ainsi en va-t-il également de moi. Cela fait d'innombrables, d'infinis milliers de millions de myriades de milliards de quantités incalculables d'éons que j'ai réalisé l'état d'Éveillé. C'est pour l'amour des êtres et par la force de mes expédients que je déclare que je passerai en Disparition, et il n'y a personne qui puisse en toute vérité m'accuser de tromperie.» Alors le Vénéré du monde, voulant réitérer cette idée, s'exprima en stances :
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