Pratique alternée anglais-français*
Bien que le Révérend ait initialement voulu approfondir la partie du chapitre 6 concernant le « non soi » (la partie sur l’Abhidharma ayant été abordée quelques mois plus tôt), l’échange revient néanmoins sur ladite partie de l’Abhidharma dont le contenu, qu’il a depuis notablement retravaillé, fut retraduit.
Question : Peut-on parler d’ « espace sans objet » comme votre texte le précise ? La relation entre un objet et l’espace semble en effet contradictoire.
Réponse : L’Abhidharma évoque qu’il ne peut y avoir d’espace sans objet en raison de catégories qu’il établit lui-même : une telle affirmation relève donc entièrement de l’Abhidharma. Le Mahayana en revanche explique que toutes ces catégories sont « vides », sans substance ou soi propre.
Question : Pourquoi classer la colère dans la catégorie sentiments « mineurs »* ?
Réponse : Ce type de sentiment, qui correspond au terme sanscrit « klesha » (« bonno » en japonais), perpétue nos tendances à rester dans les 6 premiers mondes-états marqués par l’ignorance et l’illusion. L’un des Quatre grands vœux* du bodhisattva est justement de résoudre ces pensées adventices. Tant que nous ne parvenons pas à progresser dans des états-mondes supérieurs, nous ne pourrons que récolter les fruits de notre ignorance, conserver nos illusions, succomber aux Trois poisons (aversion, ignorance, colère) et rester captifs des états d’esprit liés aux six premiers états-mondes. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous pratiquons, à savoir être conscients de ce genre d'état d’esprit quand il advient, et en transformer l’énergie afin de pouvoir s’ouvrir à des sentiments plus élevés et plus dynamiques.
Remarque d’un participant : Pourquoi néanmoins subdiviser les défilements en catégorie majeure et mineure ?
Réponse : Cette subdivision n’est pas ce qui est le plus important. Tous les états-mondes des six premiers états possèdent de tels défilements, négatifs dans la mesure où ils empêchent l’expression de notre sagesse intrinsèque.
Garder à l’esprit que l’objectif des catégories établies par l’Abhidharma est d’aider à discerner l’état dans lequel chacun d’entre nous se trouve : ce discernement peut être le résultat d’une analyse personnelle liée à une réflexion, à la sagesse intuitive de l’état de bouddha ou, au contraire, le fruit de spéculations métaphysiques qui détournent l’attention de ce qui est important et brouillent la direction que devrait prendre notre concentration.
Sachant que notre capacité à nous concentrer peut être aléatoire, il importe d’être pleinement conscient. Cette conscientisation nous aide à ne pas nous laisser emporter par le flot de telles pensées, de les observer et de revenir à notre récitation du Daimoku.
Remarque d’un participant : Quel intérêt alors à des catégories « majeures » et « mineures » ? Quels que soient notre quotidien et les difficultés que nous pouvons traverser dans nos milieux respectifs, au travail, en famille, etc., la récitation de Daimoku apaise, voire élimine ce genre de pensées.
Réponse : Leur intérêt est effectivement à relativiser : on enseignera le concept des Dix états-mondes à une personne qui commence à pratiquer afin qu’elle sache distinguer et reconnaitre les pensées et sentiments relatifs à chacun d’entre eux. Le temps passant et sa pratique se développant, cette personne peut éprouver l’envie d’une connaissance plus détaillée l’aidant à mieux analyser ce qu’elle éprouve et ressent intuitivement.
L’Abhidharma a cherché à décrire la réalité et à se poser la question de savoir ce qui est vraiment vrai, réel ; il a cherché aussi à comprendre l’effet que peuvent avoir des concepts et leurs interprétations. Face à cette approche, le Mahayana dit que tous ces concepts et théories sont « vides », exempts de tout « soi », car ce type d’analyse peut mener à une impasse, être contre-productif, voire induire en erreur.
Question : Pourriez-vous à ce propos évoquer le concept de « Hua-Tou » et « Hua-Wei », à savoir la façon dont pratiquer qu’évoque votre texte « Etre bouddhiste » ?
Réponse : C’est un concept qu’utilise le bouddhisme Zen quand il insiste sur le moment présent et fait référence à la pratique de Hua-Tou (à savoir la source de l’esprit, de la réalité que les maitres zen s’efforcent d’exprimer).
Le bouddhisme de Nichiren insiste lui aussi sur le moment présent, le seul sur lequel nous avons une emprise. Quelle est la source de Namu Myo Ho Renge Kyo ? Rechercher soi-même l’état d’esprit de Nichiren à travers chacun des caractères et/ou le son de Daimoku lorsque nous le récitons, mantra qui est l’essence du Sutra du Lotus.
Question : Vous parlez de se concentrer sur le son du Daimoku alors que certains érudits disent que la façon dont le récitait Nichiren ne peut plus être identique à la nôtre…
Réponse : Ce son ne possède rien de magique, car même aujourd’hui les Chinois ou les Coréens qui récitent Daimoku le prononcent différemment. Autrement dit, ce n’est pas ce qui est le plus important. Ce qui est en revanche essentiel, c’est l’état d’esprit avec lequel le réciter (Le thème de « Hua-Tou » fait partie du séminaire organisé par NBA les 6 et 7 aout prochains. Cf. programme).
Question : Que devient le « non soi » après la mort ou que fait-elle du « non soi » ? Il est compréhensible qu’il n’existe pas d’âme ou de « soi » avec 6 premières consciences (5 consciences sensorielles + 6e conscience liée à la personnalité) puisque toutes disparaissent au moment de la mort. Mais qu’en est-il des trois dernières consciences ?
Réponse : C’est exactement la question que se posent le Theravada et le Mahayana : la mort entraine effectivement la disparition des 6 premières consciences. En revanche, la 7e et la 8e qui sont toutes deux interdépendantes, se perpétuent : elles ne perpétuent pas à proprement parler un « soi », mais un flot de conscience infime, subtil, faisant partie d’un processus interdépendant.
Le chapitre 7 de Fleur du Dharma que je suis en train de rédiger en parlera plus abondamment.