DICTIONNAIRE des TERMES BOUDDHIQUES français, japonais, chinois, sanscrit, pali Tamashii d'après N. Matsudaira - Revue Monde non Chrétien, n° 75-76, juillet-décembre 1965 |
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Le Tamashii (âme ou esprit) est l'idée centrale de l'ancienne religion japonaise. Dans la croyance organisée du shintoïsme, le kamis (divinité ou esprit) est le concept central; cependant, quand on examine les croyances populaires et les rites traditionnels pratiqués dans le petit peuple des villages japonais, il devient clair qu'en fait, on présuppose une entité surnaturelle ressemblant au kami mais pourtant distincte — et qui est appelée tamashii. A travers les études faisant la synthèse des faits rapportés par les ethnologues et les folkloristes, la conception japonaise de l'univers peut être reconstruite de façon approximative. Cette idée remonte probablement aux anciens temps, quoiqu'une idée abstraite de cette sorte ne puisse être attribuée à une période précise. Elle préexistait, et maintenant coexiste avec la diffusion de la connaissance scientifique. Ce concept peut n'avoir pas été accepté entièrement par tout le peuple dans le passé et il n'est pas entièrement disparu dans le Japon d'aujourd'hui. Les savants japonais ont essayé de découvrir le contenu de ces croyances populaires, et dans cet article j'ai l'intention de décrire le concept de tamashii tel qu'il ressort de ces recherches. Qu'est-ce que le tamashii ? Selon la croyance japonaise, chacun a un tamashii dans son corps. Le sens, le jugement, la pensée, les sentiments de joie, le dépit, le plaisir et la peine, tous peuvent être considérés comme les opérations du tamashii. Le tamashii est pour ainsi dire une force qui provoque les réactions psychologiques dans l'homme. La grande différence entre tamashii et kami est que le premier, bien que capable de se déplacer de façon indépendante, demeure toujours dans un corps vivant durant une certaine période. Pendant ce temps, il commande le corps à volonté et réalise ses propres désirs. A ce moment-là, le tamashii est sous l'influence de la chair. Quand la chair ressent la faim, le tamashii ressent la faim — quand la chair est satisfaite, le tamashii l'est aussi. Les agissements d'un homme sont décidés sous l'influence à la fois du tamashii et de la chair. Quand un homme meurt, son tamashii souffrira de tout mauvais traitement du cadavre. Ceci montre l'influence durable de la relation entre le tamashii et la chair. En règle générale, c'est seulement après la mort et la désintégration du corps que le tamashii, qui était dedans, le quitte et commence son activité propre. Il y a ainsi beaucoup de tels tamashii qui ont été séparés de leurs corps, flottant dans l'univers. Ils attendent l'occasion d'entrer dans les corps qu'ils rencontrent, pour s'y installer et agir sur eux. D'où il résulte qu'une personne peut être possédée par de nombreux tamashii à la fois. Dans ce cas plusieurs esprits ne demeurent pas séparément dans un homme, mais se fusionnent en un seul comme l'eau de deux récipients n'en fait qu'une quand l'un des récipients est vidé dans l'autre. Si les tamashii, qui sont mêlés, sont de différentes natures, la nature du nouveau tamashii dérive de chacune d'entre elles et acquiert un si fort pouvoir qu'elle ne peut être facilement affectée ou dominée par un autre tamashii qu'elle rencontrerait. Un tamashii n'est pas perceptible, il demeure dans un objet ou dans un homme, il lui donne sa propre nature, et a la liberté d'apparaître, de disparaître, de se transformer, et de fuir. Bien plus, il a un pouvoir auquel aucun être humain ne peut résister. Un tamashii est au-dessus des lois de la nature, interfère avec les mouvements de l'univers, influence les mouvements des hommes, et prévoit tous les phénomènes à venir. Un mauvais esprit peut infliger des mauvais traitements ; l'épuisement, ou même la mort à une personne qui passerait à sa portée ; il peut changer le temps, voire même provoquer un orage qui dure un mois, Ainsi un tamashii semble avoir absolument la même nature et la même substance qu'un kami. Effectivement, l'action de transférer un kami dans un arbre sacré comme le sakaki est L'esprit qui demeure dans un corps vivant, est généralement un tamashii, et non un kami, parce que l'influence de la chair sur l'esprit est trop grande, Cependant, le tamashii habitant un corps humain est en voie de devenir un kami. Il semble qu'il y ait un cycle continuel de développement spirituel et de transformation, dans lequel l'esprit, sous les deux aspects, circule entre les cieux et les corps humains sur la terre, Dans les conditions favorables, l'esprit qui a atteint une pleine maturité dans un corps, montera au Ciel après la mort du corps et pourra devenir un kami. Quand ces esprits prospèrent et débordent du Ciel, ils descendent sur la terre, entrent dans les corps de nouveaux-nés, et reprennent la vie de ce monde en tant que tamashii. En général, les éléments nourriciers qui provoquent la croissance de l'esprit sont les éléments mêmes qu'une personne emploie pour sa nourriture, son vêtements et son logement. Sont spécialement efficaces, les matériaux qui contiennent des éléments divins, tels que la nourriture consacrée préparée par des personnes pures, ou de l'eau puisée à une source purifiée. Tant qu'un esprit demeure dans un homme, et tout aussi bien après qu'il l'a quitté, une occasion importante de participer à la nourriture divine lui est fournie par une fête ou un rite lorsque les esprits des morts et des vivants se rencontrent et festoient ensemble. Les gens vont aux fêtes pour nourrir le tamashii qui habite en eux. Les différentes attitudes envers les classes d'âges ont leur fondement dans cette idée. Les personnes âgées sont respectées non seulement parce qu'elles ont vécu longtemps, mais aussi parce que leurs esprits ont accompli une croissance satisfaisante et en sont venus à ressembler aux kami pour avoir pris de la nourriture à de nombreuses fêtes. Jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, les Japonais avaient l'habitude d'ajouter une année à leur âge après les fêtes du nouvel an en hiver. Cette coutume aussi venait de l'idée qu'après la fête se produisait une croissance spirituelle. Quiconque, sans égard pour son âge, a servi les kami plus fréquemment qu'une personne ordinaire, possède un esprit qui a cru au point de devenir presque kami lui-même, pour avoir pris une telle quantité de nourriture divine. Un tamashii qui a été délivré de son corps par la mort devient soit un esprit furieux, soit un esprit calme, selon l'état psychologique de l'homme au moment de sa mort. Quand des passions comme le ressentiment, la jalousie et la mélancolie ont brûlé dans un homme jusqu'à son dernier souffle, son esprit devient un être très dangereux, car s'il a perdu son corps, il n'en reste pas moins dans l'état passionné où il était à l'heure de sa mort. Cet esprit ne cesse de se débattre pour se débarrasser des incessantes convultions de ces passions. Ce qui amène l'esprit à exercer son pouvoir particulier et à causer du mal à quiconque se trouve sur son chemin, et à l'obliger à l'aider. Il devient ainsi un ennemi de la société. Le tamashii de quelqu'un qui est mort dans un état de solitude mélancolique est calme, par comparaison : mais quand il apprend que le corps dans lequel il habitait est maltraité, il s'en afflige et effraie quelqu'un pour réclamer son assistance. Si sa demande est rejetée, l'esprit ose alors causer du mal. Les esprits furieux sont considérés comme très dangereux pour la société par la majorité des habitants des villages, et doivent être par tous les moyens, calmés, pacifiés ou apaisés. Une façon d'y parvenir est de maîtriser l'esprit en colère avec l'aide d'un dieu fort qui pourra neutraliser son mauvais caractère. Le but du harai (cérémonie purificatoire du shintoïsme) n'est pas seulement d'honorer le dieu avec des ustensiles divins et une nourriture divine, mais aussi de dompter des esprits dangereux. On cherche à capter le pouvoir des kami en différents endroits, tels que les autels familiaux, dans les nourritures offertes sur les autels et même en soi par des nourritures et des purifications rituelles. Les kami font leurs visites en groupes à l'occasion des fêtes publiques et des rites privés. Si les vivants, par les pouvoirs obtenus des kami, peuvent écarter les mauvais esprits qui se pressent autour d'eux, ils peuvent acquérir la paix de l'esprit et le sentiment de sécurité. Le meilleur moyen de se protéger, cependant, c'est de consoler et d'apaiser l'esprit furieux et de le faire monter au Ciel. Dans ce but, souvent, on offre un banquet dédié aux mauvais esprits. Par là, les mauvais esprit se trouvent déifiés kami. Combien de sanctuaires ont ainsi été construits pour des esprits vindicatifs ! On porte sur l'autel l'esprit qui fait rage et devient trop dangereux, en qualité de waka-miya (jeune divinité) ou en tant que fils d'une divinité puissante, de la même façon que l'on place sous la férule d'un grand maître les enfants dont on ne vient pas à bout. Après plusieurs années, les méfaits de l'esprit sont oubliés et il en arrive à être révéré comme un dieu bénéfique. Tenjin-sama* est le meilleur exemple de cette catégorie. Il arrive parfois que l'esprit furieux échappe à un vivant et agisse avec une violence spéciale. Ceci se produit quand quelqu'un a des émotions qu'il ne peut contrôler. Un tel esprit est redouté comme iki-ryo (esprit d'un vivant) ; en fait, il n'agit pas différemment d'un shi-ryo ou shi-rei (esprit d'un mort), si ce n'est qu'il n'est que temporaire et qu'il réintègre son corps quand sa violence s'apaise. Qu'advient-il de l'esprit d'un homme dont les derniers moments sont paisibles ? Il monte au Ciel et devient une divinité tutélaire. Mais ceci requiert de plus amples explications. L'esprit d'un homme qui meurt jeune se débat
autant qu'un mauvais esprit. Son agonie est plus grande Du fait que la mort, en tant qu'événement, est en abomination aux humains, l'esprit d'un mort ne peut visiter quelqu'un sans lui causer un trouble. Et un tel esprit est de ce fait considéré comme dangereux. Il faut donc être sur ses gardes vis-à-vis de ces esprits et ils peuvent fournir leur aide aux mourants ou aux personnes en deuil. La façon la plus aisée de consoler et d'apaiser l'esprit des morts est de leur offrir de la nourriture en abondance. Quand quelqu'un meurt, on lui offre du riz et toutes sortes d'autres nourritures à son chevet et devant sa tombe. Tous les parents et amis se rassemblent et organisent une veillée pendant au moins une semaine pour consoler son esprit en récitant des sutras, en chantant et en tenant un banquet qui dure chaque nuit. Toutes ces pratiques ont pour but d'apaiser l'esprit et de prier pour qu'il monte sans encombre au Ciel. Parfois une coiffure de jonc, une paire de sandales et un bâton sont placés sur le cercueil en préparatifs pour le voyage du défunt. Dans des cas extrêmes, on place ces objets de voyage devant une porte entrebâillée lors d'une nuit de veille et on les jette dehors avec un balai. Parfois les deuilleurs détruisent les objets chéris du mort, comme le bol dont il se servait chaque jour. On coupe ainsi l'affection que l'esprit pourrait conserver envers ce monde, pour hâter son ascension au Ciel, et empêcher qu'il ne trouve sa route et revienne. Ceux des parents qui se tiennent près du corps doivent prendre des précautions spéciales. Ils pourraient avoir une parcelle de l'esprit du mort qui se mélange avec les leurs et les changerait ainsi à la ressemblance de celui du défunt. Alors, le mort peut accepter avec plaisir leurs offrandes et leurs services, de la même façon qu'un kami se réjouit du culte que lui rend un homme qui est lui-même un kami. Les esprits des morts ne s'en prendront pas à un esprit comme eux. Ce mélange d'esprit peut se produire si les parents proches participent à la même nourriture que celle qui est offerte à l'esprit du défunt. Et non seulement les parents du mort mais aussi ceux qui travaillent à proximité du corps doivent prendre une telle nourriture. Aussi, dit-on que ceux qui mangent du riz servi à des funérailles ne tomberont pas malades. Ceux qui ont été en contact avec le corps, cependant, sont tenus par les autres gens comme aussi dangereux que l'esprit lui-même et en conséquence on les évite du fait que leurs esprits ont été transmués à la ressemblance des esprits des défunts. C'est pourquoi ceux qui servent les divinités évitent le feu impur de la maison où s'est produit un deuil récent. Les toya et toshiyori d'un miyaza* ne cessent pas de remplir leurs devoirs sacrés même quand des parents meurent, mais il leur est interdit d'assister aux funérailles de qui que ce soit, même un proche parent, ou de prendre de la nourriture dans une famille en deuil. Ce n'est seulement qu'en prenant bien garde d'observer toutes ces interdictions qu'ils sont indemnes de l'impureté de la mort. Un prêtre dont le service implique de s'occuper des morts — s'asseoir près du lit, brûler de l'encens, chanter des sutras, prier pour le repos de l'âme — est en abomination au kami même s'il n'est pas parent du mort. L'esprit qui a subi un rude choc au moment de la mort est graduellement apaisé et continue ensuite à croître. Ayant quitté la chair, il est devenu un esprit libre. Mais il peut difficilement rompre les liens qui le retiennent au corps dans lequel il a si longtemps demeuré. Aussi s'attarde-t-il souvent autour du cadavre, s'affligeant sur ce corps périssable, et gênant ainsi son propre apaisement et sa croissance. L'attachement s'étend jusqu'à la maison où il vivait. On dit couramment que l'esprit des morts ne quitte pas la maison avant quarante-neuf jours. En conséquence, la nourriture rituelle est fournie à la fois à la maison et à la tombe du mort. Cette nourriture est foncièrement la même que pour les vivants. L'esprit est supposé manger du riz*, boire du sake*, porter des kimonos, apprécier la musique et aimer danser. On espère que les esprits des morts seront apaisés par ces plaisirs et monteront au Ciel. Les offrandes de nourriture pour les morts présentent cependant des différences avec les repas des vivants ; par exemple les Japonais plantent une paire de baguettes dans le bol de riz préparé pour les morts, ce qui est absolument contraire à la coutume, tabou, pour les vivants. De même, un paravent est dressé à côté de la tête du défunt, et on ajoute de l'eau chaude à de l'eau froide, et non l'inverse comme on fait d'ordinaire, pour tiédir l'eau avec laquelle on baigne la personne morte. Tous ces actes inverses de la coutume régulière sont là pour souligner le contraste entre la vie et la mort. Nombre de ces pratiques peuvent être conséquences de l'influence bouddhiste. La plus frappante d'entre elles est l'omission de saké et de viande dans les offrandes aux morts. Il est difficile de savoir comment on traitait les esprits avant l'introduction du bouddhisme au Japon. A mon grand regret, la seule chose positive que je puisse dire, c'est que les formes du culte des morts n'ont pas été totalement modifiées par le bouddhisme. Les savants qui ont étudié ce sujet supposent généralement qu'à la vie avant la mort correspond la vie après la mort en ce qui concerne la croissance de l'esprit. Dans ces deux cycles, l'esprit passe par des étapes semblables. Dans le passé, on célébrait la croissance de la vie de quelqu'un aux étapes suivantes : Le rite du ubu-yu (premier bain de nouveau-né) avait lieu aussitôt après la naissance. Miya-mairi (aller à l'autel de la divinité tutélaire) est accompli une semaine après la naissance. Celui de umare-go (rituel du nouveau-né) est célébré à la première fête d'hiver qui suit la naissance. Kodomo-iri (se joindre au groupe des enfants) a lieu quand l'enfant a sept ans. Quand il atteint 15 ans, il passe par la cérémonie d'initiation appelée genpuyku connue aussi dans les villages comme wakashu-iri (littéralement : ''rejoindre le groupe des adolescents''). Chûrô-iri (''rejoindre le groupe des aînés'') est le rite administré à un homme qui est autour de la quarantaine, et otona-iri ''devenir l'un des notables ou l'un des responsables'' est le rite de passage final, qui vient quand l'homme atteint 60 ans. Une autre série de rites est observée au cours des 33 ans qui suivent la mort. Yukan (laver le corps après la mort) vient aussitôt après la mort ; sâsô (les obsèques) ont lieu dans les sept jours qui suivent le décès : kuyo et furumai (culte pour consoler l'esprit, et banquet rituel) se poursuivent pendant la semaine qui suit la mort ; kengu (offrir de la nourriture) et bosan (visiter la tombe) se font pendant 49 jours après la mort ; hoya (service commémoratif au cours duquel un prêtre bouddhiste récite des sutras et comportant un festin offert aux parents du mort) est célébré sept fois pendant les 49 premiers jours. La première fête du Bon*, après la mort, comprend des réjouissances spéciales pour les esprits des morts ; hone-arai et kaiso (lavage des os et resépultre)* sont accomplis trois ans après la mort, en outre, des services commémoratifs sont régulièrement tenus. Dans les trente-trois ans qui suivent le décès, l'esprit atteint sa pleine maturité ; après ce terme, on ne célèbre plus de services car à partir de ce moment, le tamashii est désormais au rang des kami. Si l'on étudie attentivement les rites et les cérémonies, on remarque que le peuple cesse de traiter les tamashii individuellement après la première fête d'été qui suit la mort et commence à en faire un esprit des ancêtres. Ce changement d'attitude signifie que l'esprit, après le culte de la fête d'été qui suit immédiatement la mort, cesse d'être considéré comme dangereux. Désormais il est membre du groupe sorei (esprits ancestraux) qui affectionnent leurs rejetons et les protègent. A la Fête du Bon, le nii-botoke*, l'esprit d'un homme décédé depuis le précédent Bon, reçoit un traitemnt spécial, quand les familles font des feux aux portails et sur les collines proches pour inviter les esprits des morts, chacune de celles qui ont perdu un membre l'année passée, allume exprès un grand feu pour l'esprit du nouveau mort. Dans de nombreux endroits, aussi, ces mêmes foyers dressent une perche de bois ou de bambou à leur porte d'entrée et y suspendent une lanterne comme un signe. Au moment de la danse du Bon, ils placent le ihai (la tablette commémorative) du défunt récent bien en évidence sur l'estrade de danse pour qu'il se réjouisse pleinement de cette nuit d'été. Un tel traitement cesse complètement au second Bon qui suit le décès. Par la suite, on lui dédie les mêmes rites que ceux rendus aux esprits de tous les ancêtres sur les autels domestiques ou dans les temples. On pourrait tirer la même conclusion du traitement des corps lors du hone-arai [lavement des os] et kaiso [seconde sépulture] qui sont faites dans la seconde ou la troisième année du décès. Ces pratiques ne survivent guère qu'aux îles Amami et Okinawa, mais autrefois le honearai devait être observé dans le peuple en relation avec la coutume de fûsô*. Dans ces îles les funérailles qui suivent le décès sont considérées comme provisoires. Les parents exhument le corps au bout de deux ou trois ans, rassemblent les os dont la chair est partie, les lavent bien et les placent alors dans la sépulture définitive. Cette sépulture pour y placer les ossements devant être celle où sont déjà ensevelis les ancêtres. Pour ces obsèques, parents et voisins du mort font un banquet magnifique, auquel on boit du saké et l'on danse de façon tapageuse, priant pour que l'esprit monte aisément du Ciel. De cet exemple, aussi, on peut présumer que les morts s'agrègent au groupe des ancêtres, deux à trois ans après leur mort et deviennent membres d'une société d'esprits formée de tous les ancêtres depuis la formation du groupe de parenté considéré. Ainsi, pour les Japonais, le concept de vie présuppose deux vies sociales corrélatives : l'une dans ce bas-monde, l'autre spirituelle, dans un monde céleste. L'esprit croît dans chacun de ces mondes et a tendance à l'élever vers le monde supérieur. Quand le Ciel déborde de ces esprits prospères, ils retombent un par un sur terre, s'incarnent dans de nouveaux corps et recommencent une nouvelle vie sociale. Ce n'est qu'en période transitoire, quand il passe d'une société à l'autre, précisément à la naissance et à la mort, que l'esprit est traité comme une unité individuelle. Quand un esprit se trouve placé dans la société terrestre, il est tenu pour un être en bon état et digne de confiance. Mais s'il devient indépendant et perd sa relation intime avec la société, cet esprit inhabituel est regardé avec crainte et anxiété. L'esprit d'un bébé, à sa naissance, aussi bien que l'esprit nouvellement libéré d'un mort récent, sont indépendants. Si l'esprit d'un mort est incoerciblement mauvais, il reste en dehors des liens de la société, il est redouté et l'on s'en méfie. Il ne peut être amadoué que par des rituels spéciaux. Ces tamashii qui ne veulent jamais se commettre avec les so-rei (esprits des ancêtres) restent éternellement indépendants. Ces esprits finissent par être révérés comme de nouvelles divinités, indépendantes. L'esprit de quelqu'un qui meurt en paix vit seul quelque temps après avoir quitté la société terrestre. Ayant reçu des cultes de consolation pendant plusieurs années, il se joint à la société des esprits ancestraux quoiqu'il ne soit pas complètement qualifié pour ce faire et commencer sa vie dans la société céleste. Qu'est-ce alors que cette société céleste ? Je propose que ce soit celle des uji-gami ou divinités tutélaires. Dans un groupe de parenté à structure patrilinéaire, les membres adorent l'esprit de leur ancêtre éponyme comme une divinité tutélaire. Il y a de cela de nombreux exemples. La famille des Fujiwara rendait un culte à l'esprit de leur premier ancêtre Amano Koyane-no-Mitoko, être à demi-mythologique. Un groupe qui croyait, descendre d'un dragon rendait un culte au dragon comme à une divinité tutélaire. Un groupe qui tenait un kappa* pour son premier père adorait un kappa comme dieu tutélaire. Dans ces exemples, les membres du groupe de parenté non seulement ont le même nom, mais sont considérés avoir les mêmes traits ou porter certaines marques distinctives. Les descendants d'un kami sont, par leur généalogie, considérés comme membres prééminents du groupe, et président aux cérémonies et aux rites des divinités tutélaires. Ils sont parfois si particularistes qu'ils ne permettent à personne qui ne soit des leurs d'assister à leurs fêtes. Cependant, uji-gami peut parfois ne pas signifier seulement le premier ancêtre d'un clan mais également les esprits de ses descendants. De la représentation des kami dans les danses sacrées, de faits relevés dans Shinmei-cho* et d'exemples tirés de Saimon* on peut inférer qu'un kami japonais n'est jamais seul et indépendant, mais est toujours suivi des nombreux esprits de ses descendants. Il semble que le prestige d'un kami est proportionnel 'au nombre des esprits qui lui sont subordonnés, en d'autres termes, ceux qui lui sont liés par le sang et ses sujets dans le monde céleste. Ils sont montés au Ciel après leur mort et continuent à mener leur même vie commune dans le monde des esprits. Il y a donc trois interprétations différentes des divinités tutélaires d'un groupe de parenté de structure simple. Primo, uji-gami, c'est l'ancêtre éponyme du groupe. Secondo, il connote aussi les esprits des descendants de cet ancêtre. Tertio, il signifie toute une communauté spirituelle placée sous l'autorité du même ancêtre. En dépit de ces différences de sens, un point essentiel est reconnu largement. C'est que la divinité tutélaire protège avec une affection paternelle l'ensemble organisé de ses descendants qui l'honorent, et que ces derniers lui rendent un culte révérentiel et affectueux. On peut voir que plus ancienne est la période historique dont il s'agit, plus grande est la croyance que chaque communauté doit avoir une divinité protectrice. Bien plus, on croit que parmi les animaux, les plantes et même parmi les instruments et les outils, ceux qui appartiennent à une même espèce forment une tribu et sont sous le contrôle d'une divinité protectrice de cette espèce. On trouve dans le Shinmei-cho et dans le Saimon des indications dans ce sens. On peut dire que la divinité tutélaire est un prototype du concept de kami, que tout kami important doit être suivi des esprits de ses descendants et que les derniers de ceux-ci doivent appartenir à la même espèce que leur ancêtre et s'être développés pour devenir eux-mêmes de petits kami. D'où l'on peut tirer deux corollaires. L'essence d'un kami est au fond, un tamashii. Kami et tamashii ont presque les mêmes attributs. La différence entre eux est que le kami a un rang supérieur, et plus puissant, plus digne de confiance que le tamashii. D'où l'on peut inférer que le tamashii deviendra kami s'il est bien nourri et purifié par des rites et des cérémonies, mais qu'il ne cesse d'être tamashii même en devenant kami. Un kami n'est qu'un tamashii nourri par les moyens mystiques d'offrandes et de rituels jusqu'à ce qu'il obtienne un pouvoir bénéfique pour ses protégés. N. Matsudaira, Extrait de la revue Monde non Chrétien, n° 75-76, juillet-décembre 1965 |