Chapitre VI - Pratiques justes
En pratiquant le Dhyana, il y a deux aspects à considérer. Le premier est la posture (asana) et le deuxième se rapporte aux circonstances et aux conditions.
I Asana
Pour la posture à choisir, on peut pratiquer le Dhyana en marchant, en restant debout, ou assis ou étendu.
Parce que la position assise est la meilleure, il faut la considérer en premier lieu sous ses cinq différents aspects.
1° En ce qui concerne les pensées multiples et confuses qui remplissent l'esprit au début de la pratique. Il faut s'exercer
à arrêter les pensées pour les immobiliser et pour couper tout à fait leur courant. Si cela est très difficile, il faut pratiquer le regard intérieur. Donc pour se débarrasser des pensées multiples et confuses il faut pratique l' ''Arrêt et l'Examen
*
".
a) Il y a trois façons de pratiquer l'Arrêt. On peut le faire en fixant l'attention sur un point déterminé du corps sur la pointe du nez, ou sur le nombril ; par cela l'attention n'est plus attirée par ces pensées qui, de ce fait, disparaîtront. Dans un des sutras il est écrit
« Il faut garder le contrôle de ton mental sans aucun relâchement. Il faut le contrôler comme tu contrôles un singe. » (note)
On peut le faire en concentrant l'attention sur une seule pensées, les autres alors disparaîtront et la pensée unique peut, à son tour, être exclue avec plus de facilité. Dans le Sutra il est dit que des six sens le processus mental est le plus important ; si nous contrôlons l'esprit nous contrôlons les cinq autres sens et également les perceptions qu'ils éveillent.
On peut aussi le faire en se rappelant la véritable nature de tous les objets de pensée. Il faut se rappeler que chaque objet de pensée vient des causes et conditions, et de ce fait n'a aucune nature qui lui est propre (note). Se souvenant de ceci l'esprit n'aura aucune raison de la saisir et la laissera tomber. A ce sujet, le Sutra dit
« Il n'y a aucune substance dans les phénomènes, car ils sont composés des causes et des conditions. Tu es appelé disciple parce que tu reconnais la véritable nature de toute chose et que tu peux empêcher ton esprit de se préoccuper des phénomènes. »
Quand on commence à pratiquer la méditation, les pensées continuent à s'élever et à déambuler sels cesse. On essaie de comprendre leur véritable nature et d'employer des moyens différents pour les arrêter, mais les pensées illusoires continuent à couler. Dans ce cas il faut réfléchir sur la genèse de la pensée qui a surgi. Dans le passé cette pensée avait une forme qui maintenant a été exterminée ; dans le présent on sait qu'elle n'a aucune existence réelle ; dans le futur elle n'aura pas davantage de réalité. Considérant ceci, on se rend compte que le' phénomène de la pensée n'a aucune réalité qui permet de le saisir dans le passé, le présent ou l'avenir ; aussi ne faut-il y prêter aucune attention.
Quoique la vision profonde puisse amener la conviction
que ce courant ininterrompu de pensées n'a aucune existence
substantielle, et même si l'on peut arriver à en retirer son
attention, il se peut, de moment en moment, que des pensées
vacillantes se lèvent dans la conscience. Dans ce cas il faut
essayer de comprendre la véritable nature de la conscience
qui observe ces oscillations de pensée. La conscience se lève
quand les six objets externes de pensée prennent contact
avec les six sens et que les six consciences internes réagissent
à ces stimulis
(note). Tant que les six consciences internes (des
sens) ne sont pas en contact avec les six objets externes des
sens, aucune conscience de ces objets ne se lèvera. En appliquant ceci à la conscience des pensées, qui, nous en sommes
convaincus, n'ont aucune véritable existence dans le passé,
le présent et l'avenir, nous sommes forcés de reconnaître que
de tels phénomènes ne sont que des suppositions de l'esprit.
Connaissant la façon dont les pensées se lèvent et sont exterminées, ainsi que leur irréalité dans l'avenir, on peut désormais les exclure de notre attention et de ce fait l'esprit deviendra tranquille. Au fur et à mesure que l'esprit est tranquillisé on devient de plus en plus convaincu de l'irréalité de
toute pensée, même celle de sa propre existence
(note). Tel est
l'ultime principe de tranquillité et de paix incorporé dans le
concept du nirvana, où toute pensée trouve sa fin naturelle
et totale
(note)
.
Dans le Sutra du Lotus il est dit qu'aussitôt que
l'esprit s'éparpille, il faut le ramener à l'attention juste et le
garder sous contrôle. Cela veut dire que ce n'est pas par la
diffusion et l'éparpillement de l'esprit que les pensées peuvent être arrêtées, mais que ce n'est que par la concentration
et l'attention que l'on peut obtenir cet arrêt. L'esprit humain
n'est pas une entité (avec les phénomènes qui lui sont propres que l'on peut saisir et tenir par un effort puissant et soutenu,
car, même l'attention juste n'est qu'un moyen serviable
pour contrôler les activités de l'esprit. Cela veut dire que
dans le commencement de la pratique de Dhyâna on trouvera
difficile d'obtenir le contrôle et l'expulsion des pensées et que si l'on y met trop de vidence, le résultat peut être la perte de
la raison. Pour devenir un archer expérimenté il faut une
longue pratique, il en est de même ; et il faut aussi beaucoup
de temps pour réussir la pratique de Dhyana.
b) Pour « Arrêter et Examiner » (zhiguan, shikan) il nous faut considérer les
moyens de contrôler les pensées vagabondes, soit par l'examen, soit par l'observation, soit par la vision profonde.
Une des façons employées est d'opposer à un état d'esprit
mauvais (défavorable) un état d'esprit favorable. Par exemple à des pensées et désirs licencieux, il faut opposer des
pensées de pureté ; à la haine, il faut opposer des pensées de
bienveillance ; à l'égoïsme, des pensées sur les cinq agrégats
avides de la personnalité. Pour éviter l'effort exagéré, au
début de la pratique, et aussi pour contrôler les pensées qui
se lèvent pendant la pratique, il faut opposer la concentration
sur la respiration. Ou bien on peut opposer à des pensées
définies l'examen des causes et des conditions qui les ont
produites et qui les font telles qu'elles sont en réalité vides,
transitoires et sans substantialité. Faisant ceci, les pensées
vagabondes lâcheront prise, elles s'en iront quand on se
rendra compte qu'elles sont vaines, et des pensées nouvelles
auront moins de chance de se produire.
Le procédé d'examen est souvent mentionné dans notre
texte ; donc, pour le moment, nous n'avons pas à le considérer davantage.
Dans un sutra il est aussi écrit
« Tous les phénomènes sont impermanents, n'existant que dans nos propres esprits ; donc en observant le caractère non‑substantiel de toute chose et les reconnaissant comme n'étant rien d'autre que des objets des sens, tu ne dois plus leur consacrer de pensée. »
2° Deuxièmement, il faut considérer la relation de la pratique (de Dhyana) avec les maladies de l'esprit, telles que celle de sombrer ou celle de dériver. Parfois, pendant la pratique (de Dhyana) l'esprit sera assombri, ou obscurci, ou inattentif, ou inconscient ou somnolent. Dans ce cas on doit employer la vision intérieure, en réfléchissant, alors il faut pratiquer l'arrêt. Tel est brièvement décrit le traitement pour ces maladies de l'esprit, mais en l'appliquant il faut être sûr que le remède correspond à la maladie, qu'il n'y a rien qui n'y soit bien approprié.
3° Assis dans la pratique de Dhyâna, faut profiter de
tous les moyens à notre portée pour nous assurer la tranquillité de l'esprit, comme il a été dit ; si l'esprit est dérangé ou
trop actif ou assombri, il faut pratiquer l'arrêt et l'examen (zhiguan, shikan) Si, malgré cela, l'esprit ne se tranquillise pas il
faut pratiquer « l'arrêt pour faire cesser » nos pensées. Si alors le corps et l'esprit deviennent calmes et paisibles, il y
aura lieu de croire que le remède était approprié à la maladie et il faut l'appliquer chaque fois que l'on en a besoin. Si
malgré la pratique de l'arrêt, l'esprit est chancelant et n'avance pas vers la tranquillité, il faut employer la vision intérieure profonde
(note).
Si l'esprit gagne en sérénité, en pureté, en tranquillité et
en paix aussitôt que l'on s'est servi de la vision pénétrante,
on reconnaît que la vision profonde correspondait à ce besoin,
et il faut l'employer pour compléter la pacification. Brièvement décrite, telle est la façon d'ajuster les moyens pour la
pratique de zhiguan (shikan) Tous ces conseils doivent
être suivis avec soin et avec discrétion pour nous permettre
d'espérer les bons résultats qu'un esprit tranquille et pacfié peut procurer et en conséquence les récompenses d'un
Dhyana réussi.
4° La quatrième pratique de zhiguan (shikan) se réfère au traitement de l'activité minimum des pensées pendant la concentration de l'esprit. Après que l'on s'est servi de l'arrêt samatha (shi) et de la vision profonde (kan) pour supprimer les pensées confuses (le maximum d'activité), il faut s'en servir pour contrôler les pensées d'activité minimum. Aussitôt que la pensée prédominante est tranquillisée, la concentration sera atteinte, dans une certaine mesure, et par cela même l'esprit deviendra plus subtil. Parce que le corps et l'esprit sont relativement tranquilles et pacifiés, on ressent de la joie, ce qui permet à des pensées erronées d'une moindre importancé de s'introduire (note) . Ne pas reconnaître ceci, ne pas se servir des moyens appropriés pour empêcher ces pensées fausses et trompeuses de s'élever, permettra à ces pensées de s'augmenter, de devenir égoïstes et teintées de désir. Aussitôt que l'esprit commence à désirer quelque chose il a déjà abandonné l'idée du vide et à rétablir l'idée que certaines choses ont une existence réelle. Si l'on se rappelle le Vide Universel, les irritations causées par les perceptions des sens et par le désir seront éliminées et l'esprit continuera à être tranquille.
Ceci est la pratique d'arrêter (shi, samatha). Mais si lès pensées de sensations et de convoitises continuent à se lever c'est une preuve que l'esprit est encore asservi, et il faut essayer l'autre remède, celui de la vision profonde (kan, vipassana) pour approfondir la nature de ces pensées secondaires. Aussitôt que l'on se rappelle leur caractère sans substantialité, on n'y sera plus attaché ; aussitôt que l'on cesse de les désirer elles s'en iront, car elles ne sont que des irritations momentanées. Ainsi est résumé brièvement le remède d'arrêter et de pratiquer la vision éclairée, (samatha/vipassana) appliqué aux pensées secondaires qui se lèvent au cours de la pratique de Dhyana. Il y a pourtant une légère différence entre la pratique d'arrêter (samatha) et celle de. la vision éclairée (vipassana) qu'il ne faut pas oublier quand on se retire de la concentration (1) Aux pensées dominantes que l'on arrive à chasser, succèdent parfois des pensées vagues, furtives, sortant à peine du subconscient, miais qui peuvent grandir et arriver à remplir le champ mental, car à ce moment-là, si l'on se sert de ces pratiques d'une façon erronée, cela sera grave.
5° Quant à la pratique d'arrêter et d'examiner, elle se rapporte à la nécessité d'établir l'équilibre entre le Dhyana et I'Intelligence. Si nous obtenons la concentration de l'esprit, soit par la méthode d'arrêt samatha (shi) ou par la méthode de la vision profonde (kan, vipassana), mais que l'intelligence ne se développe pas, la concentration prendra une forme ignorante et ne pourra pas couper les liens des habitudes mentales. Ou, si l'on a acquis un peu de sagesse (compréhension) cela peut être insuffisant pour se développer complètement, et l'on ne pourra pas alors supprimer tout à fait les liens des impuretés. En ce cas il faut appliquer l'analyse à ces liens et à ces impuretés. Faisant ceci, on doit pouvoir s'en débarrasser et obtenir la concentration associée avec la sagesse, employant ainsi les moyens justes pour obtenir l'Eveil.
Assis en Dhyâna, en employant surtout la vision éclairée, il
se peut que subitement une vague d'intelligence intuitive
nous enveloppe, mais, puisque la concentration est encore
faible, l'esprit sera faible, vacillant, comme une flamme dans
le vent, donc cette vague d'intelligence transcendantale
(prajna) ne durera pas longtemps. Il faut employer de nouveau la méthode d'arrêter toute pensée (samatha; shi). En pratiquant avec
patience cet arrêt, l'esprit ressemblera à une bougie dans une
chmbre, qui brûle et brille sans vaciller. Ainsi est résumé
brièvement la méthode d'Arrêter et d'Examiner (samatha/vipassana) pour obtenir
l'équilibre entre la concentration et la sagesse, autrement dit
entre la concentration et la réalisation.
(1)
(note)
Si on pratique le Dhyâna ayant le corps dans une posture correcte et si l'on se sert correctement de ces cinq moyens
pour assurer les bonnes conditions de l'esprit (choisissant le
moyen approprié au moment) on obtiendra sans tarder la
compétence dans cette pratique et on sera capable de bien
l'employer sa vie entière.
II. II faut maintenant considérer la deuxième division
de la juste pratique de Dhyana. La première division se
réfère à la posture correcte et aux bonnes conditions du contrôle de l'esprit. Cette division se réfère aussi à la méthode
d'Arrêter et d'Examiner (samatha/vipassana), selon les circonstances variables et
selon les conditions expérimentées. Il est de la première importance d'être assis dans une posture correcte, mais puisque
le corps est une servitude, ces conditions et les circonstances
peuvent varier. Il faut apprendre à pratiquer l'arrêt et l'examen dans toutes les conditions et dans n'importe quelle circonstance, autrement la pratique sera intermittente, l'esprit
sera mis en échec par les revers, les liens de désir et d'attachement seront renouvelés et les souillures des habitudes
seront intensifiées. Comment alors, pourrait-on s'attendre à
avancer dans la compréhension du Dharma ou celle des pouvoirs de connaissance ? Mais si l'esprit est constamment
sous contrôle et que les meilleurs moyens de pratiquer sont
constamment employés on augmentera la puissance de compréhension et de réalisation.
Que faut-il entendre par la pratique d'arrêter et d'examiner (samatha/vipassana) en relation avec les conditions et les circonstances ou
expériences ? Il y a six conditions et six aspects d'expérience,
ce qui fait douze points à considérer.
1) le premier se réfère à la condition de l'action ;
2) pendant que l'on est debout ;
3) pendant que l'on est assis ;
4) pendant que l'onest couché ;
5) pendant que l'on est occupé ;
6) pendant que l'on parle.
Dans ces conditions il y a six aspects de conduite
7) la façon dont les yeux regardent les objets ;
8) dont les oreilles écoutent les sons ;
9) dont le nez enregistre les odeurs ;
10) dont la langue enregistre les goûts ;
11) les réactions du corps aux choses tangibles ;
12) et celles de l'esprit aux idées.
Nous expliquerons la relation de la pratique d'Arrêter et Examiner envers ces six conditions et ces six aspects.
1) L'activité. — En. entamant n'importe quelle activité, il
faut se demander : « Pourquoi ai-je entrepris ceci ? » Si l'on
est conscient que le motif qui nous inspire n'est pas digne, inspiré par exemple par le découragement, l'irritation ou autre
instinct mauvais, i1 faut cesser l'activité. Si au contraire on
est convaincu que l'action est inspirée par un bon motif,
par la charité, par la spiritualité, il faut continuer l'activité.
Si on continue l'activité il faut concentrer l'esprit sur l'activité pure, sans aucun, but ultérieur (i, e, sans désirer une récompense personnelle)
(note).
Si l'on cesse l'action (indésirable) et que l'esprit est troublé
par des désirs, ou par la colère ou par des pensées égoïstes, il
faut employer la pratique d'Arrêter, cela veut dire que l'esprit doit être tranquillisé en le débarrassant des pensées d'où l'action est née. L'action en soi manque de sagesse, conduisant à plus de multiplicité, augmentant la confusion, le
mécontentement et la souffrance. L'action est justifiée quand
le motif est louable et si l'esprit en est convaincu il sera
apaisé ; mais si le motif n'est pas bon, l'activité doit cesser
(note). L'esprit agissant et tout ce qui sort de son activité
n'ont aucune réalité ,saisissable. Quand on aura entièrement
compris ceci, les activités dérangeantes de l'esprit cesseront
et de par cela l'activité physique cessera aussi. Voilà ce que
l'on veut dire par la pratique d'arrêter et d'employer la
vision éclairée dans les conditions (déjà décrites).
II faut se rappeler que l'esprit est encombré par une foule
d'impulsions, d'activités qui mènent à l'irritation et des activités bonnes ou mauvaises. I1 faut réfléchir sur ceci et réaliser
que ni l'esprit agissant, ni l'action qui s'ensuit n'ont une existence réelle, ils sont l'un comme l'autre, vides et vains. Telle
est la pratique de l'examen des conditions de l'action.
2) Etant debout. - Si l'on se tient ainsi parce que l'on est
irrité ou troublé, ou à la recherche de buts égoïstes, il faut
changer de posture. Mais si c'est pour un motif qui est bon,
il faut continuer à se tenir debout, ayant l'esprit tranquille.
Quand on se tient debout on n'est ni en activité, ni en repos,
bn est prêt à agir ou, à s'asseoir et à se détendre. Comment
alors pratiquer l'Arrêt et l'Examen dans ces conditions en se
tenant debout ? Si l'on se rappelle qu'en continuant debout
toutes sortes d'expériences vexatoires et de fluctuations
bonnes et mauvaises se manifesteront, il faut se rappeler
aussi que la conscience d'être debout (et toutes les activités
qui en découlent) n'ont aucune substantialité saisissable, par
cela les pensées égarantes seront'apaisées et l'activité cessera.
Que veut-on dire par « la pratique de l'examen et de la
vision éclairée dans les conditions d'un homme debout ? »
Cela veut dire que la pensée (localisée dans le cerveau) est
la cause de toutes les irritations et fluctuations bonnes ou
mauvaises qui sont vides de toute substance en soi, et, de
plus, que la personnalité (qui semble créer l'idée de se tenir
debout) aussi bien que les pensées et activités, sont toutes
sans exception, vides et vaines (1.). Telle est ici la pratique de
l'Examen.
3) Etant assis. Nous avons déjà parlé de la pratique
d'Arrêter et d'Examiner quand on est assis en Dhyana. Il
faut à ce moment se demander « pourquoi suis-je ici assis ? »
Si c'est parce que l'on est contrarié, ou que l'esprit est dérangé, il ne faut pas continuer. Mais si c'est pour un but qui
est bon, altruiste, il faut alors prendre cette posture ayant
l'esprit concentré et tranquillisé. Comment dans ces conditions pratiquer l'Arrêt ? Etant assis en Dhyâna, il faut comprendre que de ce fait il adviendra des irritations, des fluctuations bonnes ou mauvaises, et, comprenant ceci, on empêchera des pensées erronées de se lever (2). Telle est la pratique d'Arrêter.
Quant à la pratique d'Examiner (étant assis en Dhyâna)
il faut se rappeler que c'est parce que nous avons pris cette
posture (les jambes croisées et le buste droit) que ces irritations et fluctuations surviennent mais qu'elles n'ont aucune
existence réelle (substance en soi) et elles s'en iront. Réfléchissant que la conscience d'être assis n'a aucune substance
qui lui est propre, il faut aussi réfléchir que la personnalité
l'accompagnant est également sans existence réelle, n'étant
que vide et vaine..
4) Etant couché. — II faut se demander pourquoi on est couché ? Si c'est parce que l'on est paresseux et somnolent, il ne faut pas continuer, mais si c'est parce qu'il est temps de
dormir, ou parce que l'on a vraiment besoin de reposer. L'irréalité du monde et des phénomènes, vides de substance en soi, est une idée fondamentale du Mahàyâna. Il est écrit « Les phénomènes de la vie peuvent être comparés à un rêve, un phantasme, une
bulle d'air, une ombre, la rosée miroitante, la lueur de l'éclair et ainsi
doivent-ils être contemplés » (Le Sûtra Immuable). L'esprit sera par moment presque inévitablement assailli par
des pensées, ou des impressions, qui échappent au contrôle du débutant. Parfois l'effort de méditer semble les provoquer. Il faut s'allonger ayant l'esprit tranquille. En se couchant il
son côté droit ayant ses pieds croisés. A ce moment, que veut
dire la pratique d' « Arrêter ? » Prêt à se reposer, ou à dormir,
il faut se rappeler que les fluctuations et les irritations de
l'esprit se manifesteront, mais qu'elles sont sans substantialité, sans réalité. Pensant ainsi l'esprit deviendra tranquille.
Telle est la pratique d' « arrêter » au moment de s'allonger.
Et que veut dire la pratique de l'examen étant couché ?
Il faut se rappeler que c'est à cause du dur travail et de la
lassitude qui s'ensuit que est fatigué et que les sens sont
émoussés. De part cela des fluctuations et des irritations suivront ; mais toutes les bonnes, comme les mauvaises, sont
vides de substance en soi et vaines. Il faut aussi comprendre
que la « personnalité » et tout ce qui peut être produit par les
conditions de la posture allongée ne sont que vide et vanité.
Tel est l'examen dans les conditions de celui qui est allongé.
5) Quand on est poussé à faire quelque chose. Il faut se
demander : « Pourquoi fait-on ceci ? » Si c'est un acte instinctif, ou mauvais, ou égoïste qui nous anime il ne faut pas
l'accomplir. Si c'est une bonne action pour le bien-être des
autres, il faut l'accomplir. En agissant, certaines irritations
et des pensées bonnes ou mauvaises qui dérangent (la tranquillité de l'esprit) se produiront. Pour s'en débarrasser il
faut arrêter ces pensées en réalisant que toutes les pensées
sont vides et vaines (2). Telle est la pratique à ces moments
d'Arrêter.
La pratique de l'Examen, au moment de commencer à
faire ceci ou cela, veut dire qu'il faut être pleinement cons
cient de ce que l'on fait, les mains et le corps complètement
La position d'un Bouddha couché sur le côté droit, le pied gauche légèrement croisé sur le pied droit, la main droite soutenant la. joue. Le but est d'obtenir le silence de toutes les pensées pour contempler ou réaliser l'Esprit Essentiel, pur, non différencié dans son essence, uni à la Vérité, le Dharmakàya du Bouddha (Sûtra duVIe Patriarche).
contrôlés par l'esprit, mais on aura à subir toutes espèces de pensées irritantes et troublantes. Réfléchissant sur ceci, puisque les pensées et les actes n'ont aucune substance en soi, on perdra toute confiance en eux. Il faut aussi se rappeler que la «personnalité » agissante et tout ce qui en dépend n'est après tout que vide et vanité. Tel est ce qui est entendu par la pratique de l'Examen et de la vision profonde dans les circonstances.
6) Parlant. En parlant, il faut se rappeler pour quelles
raisons on parle. Si c'est pour disputer, ou pour une discusision vexatoire, ou pour dire des paroles sans contrôle poussé
par l'instinct, il faut alors garder le silence. Mais si c'est dans
un but élevé et altruiste, il est alors permis de parler. A ce
moment, quelle est la pratique « d'Arrêter » au moment de
parler ? Si l'on se rappelle que du fait de parler (que le motif
soit bon ou mauvais) maintes pensées irritantes et dérangeantes doivent se produire, et que la « personnalité » parlante (avec toutes les irritations produites par ses activités)
-n'ont aucune substance en soi que l'on puisse saisir, les pensées erronées auront une fin naturelle. Telle est la pratique
d'Arrêter au moment de parler (1).
tendre par la pratique et l'Examen au moment de parler-
Et quelle est la pratique de l'Examen au moment de parler ? Il faut se rappeler que, consciemment et volontairement, on est en train d'exprimer ses pensées en forçant le souffle à passer par la gorge, la langue, le palais, les dents, les lèvres et qu'il y a des voix différentes et une façon différente de se servir des mots. Il faut aussi se rappeler qu'en parlant, on éveille des sensations bonnes ou mauvaises qui irritent et troublent l'esprit. Il faut de plus se rappeler que la « personnalité » qui parle n'a aucune apparence visible et qu'elle est aussi vaine que le sont toutes les perturbations de l'esprit qui dépendent de l'acte de parler. Tel est ce qu'il faut en (1) Toutes les activités des sens troublent le calme intérieur de l'esprit. Les six occasions d'employer la pratique d'Arrêter et d'Examiner peuvent se présenter en tout temps ; il faut se servir de cette pratique dès que l'on en a besoin et suivant le procédé décrit dans les cinq façons précédentes.
7) La pratique d'Arrêter s'applique aussi à des choses
vues. Quand nos yeux saisissent tel ou tel objet, il faut se
rappeler que l'objet que l'on aperçoit n'a pas davantage de
réalité que le reflet de la lune dans une mare d'eau. Si ce que
l'on regarde est plaisant, il ne faut pas laisser le désir se lever,
dans l'esprit ; si l'objet est répugnant il ne faut pas laisser
surgir l'aversion, et si cela n'est ni l'un ni l'autre, il ne faut,
pas que l'esprit soit dérangé parce qu'il ignore la signification
de ce que l'on regarde avec indifférence. Telle est la pratique
d'Arrêter au moment de regarder.
Que veut-on signifier par l'Examen pendant que l'on
regarde telle ou telle chose ? II faut se rappeler que tout ce
que l'on voit n'est que vanité et vide. Cela veut dire que malgré toute recherche, on ne pourrait trouver aucune substance
en propre dans les organes de vision ni dans l'objet vu, ni
dans l'espace, ni dans la lumière. Le fait d'être conscient d'un
objet est un phénomène qui dépend de la réaction de la lumière sur les yeux et d'autres causes et conditions, y compris
le processus mental produit dans l'esprit réagissant aux distinctions que l'on fait entre les diverses choses vues. Donc, à
cause des choses vues, toutes espèces d'irritations et d'oscillations (de pensée) bonnes et mauvaises sont expérimentées. Il
faut immédiatement réfléchir que la conscience de l'oeil n'a
aucune apparence visible et il faut aussi comprendre que la
« personnalité » qui regarde (et tout ce qui dépend de la
vision) ne sont que vanité et vide. Tel est ce qu'il faut entendre par la pratique de l'Examen au moment de regarder (1).
(1) Conscience associée avec là parole, 'ouïe, etc...
8) Que veut-on dire par la pratique de l'Arrêt et l'Examen
quand les oreilles entendent des sons ? Aussitôt que l'on
devient conscient d'un son il faut se rappeler que cela n'a pas
plus de valeur qu'un écho. Si le son est agréable il ne faut pas
lui permettre d'éveiller un désir. Si le gon est inharmonieux,
il ne faut pas le laisser éveiller la peur ni l'aversion. Si le son
n'est ni agréable ni désagréable il ne faut pas le laisser éveiller
la curiosité ni troubler l'esprit. Tel est ce qu'il faut comprendre par la pratique d'Arrêter au moment d'entendre des
sons.
Quelle est la pratique de l'Examen en rapport avec l'ouïe ?
Il faut tout de suite se rappeler que tous les sons n'ont aucune
réalité. Un son n'est que le résultat de l'appareil auditif mis
en contact avec les vibrations qui correspondent à ce mécanisme. Ainsi la conscience de l'ouïe est stimulée et l'esprit
peut distinguer des différences. De par ceci on aura toute espèce d'irritations, et d'oscillations de pensées, bonnes ou
mauvaises. Tel est l'effet d'entendre des sons (1). Il faut réfléchir que la conscience de l'oreille n'a aucune apparence
visible et que la « personnalité » (qui entend tout ce qui se
lève à cause de l'ouïe) n'est que vide et vanité. Tel est ce que
l'on veut dire par la pratique de l'Examen dans les conditions
d'entendre.
9) L'odorat. — Il faut pratiquer l'Arrêt et l'Examen en ce qui concerne les odeurs. Quand on respire une odeur, il faut la considérer comme l'illusion d'un feu de joie. Si l'odeur est agréable il ne faut pas la désirer. Si elle est désagréable il ne faut pas ressentir de l'aversion ou de la haine. Si elle est indifférente, il ne faut pas la laisser troubler l'esprit. Telle est la pratique d'Arrêter par rapport à l'odorat. Quelle est la pratique de l'Examen au moment de sentir les odeurs ? Il faut tout de suite se rappeler que ce que l'on sent n'a aucune réalité. Pourquoi ? Parce que ce n'est qu'un
Au lieu du calme absolu de l'esprit il y aura le mouvement de pensée bonne et mauvaise.
phénomène dépendant de l'association entre l'organe de
l'odorat (stimulé par une odeur qui se lève) et la conscience
qui enregistre cette odeur, tout en distinguant tel ou tel
parfum entre tous les autres. De par cela toutes espèces de
pensées bonnes ou mauvaises irritent et troublent la quié‑
tude de l'esprit (le calme du Dhyâna). Se rappelant que la
conscience de l'odorat n'a aucune apparence visible, il faut
décider que la « personnalité » (associée avec ceci), et toutes
les impressions qui s'ensuivent, ne sont que vaines et vides.
Tel est ce que l'on veut dire par la pratique de l'Examen par
rapport avec l'odorat.
10) Le goût. Au moment de goûter, il faut pratiquer
l'Arrêt. Cela veut dire, penser que le goût de ceci ou cela n'a
pas plus de réalité que si cela se passait en rêve. Si le goût
est agréable, cela ne doit pas éveiller un désir. S'il est désagréable, on ne doit pas être troublé par l'aversion. S'il est
indifférent, il faut l'ignorer. Telle est ici la pratique de l'Arrêt. Quant à la pratique de l'Examen, au moment de goûter, à ce moment il faut se rappeler immédiatement que le goût
n'a aucune réalité en soi. Pourquoi ? Quoique l'on puisse
distinguer six espèces de goûts, chacun d'eux n'est que la
sensation dépendant de la langue et de la conscience qui
enregistre le goût. Ceci à son tour dépend des processus
mentaux qui enregistrent les différences entre les goûts.
Ainsi toutes espèces de pensées bonnes ou mauvaises se
lèvent, irritant et troublant le calme du Dhyana. Réfléchissant que la conscience, associée avec le goût, n'a aucune
apparence propre, on est forcé de conclure que la « personnalité » qui goûte et tout ce qui provient du goût n'est rien
que vide et vanité. Tel est la pratique de l'Examen au moment de goûter.
11) Le toucher. Au moment de toucher les choses, il faut pratiquer l'Arrêt et l'Examen. Quoique l'on touche avec les
mains ou le corps, il faut immédiatement l'envisager comme
irréel, comme une vision (1). Si la sensation née du contact
est agréable, il ne faut pas s'y attacher. Si elle est désagréable
ou pénible il ne faut pas ressentir de la haine ou de l'antipathie. Si la sensation est indifférente il ne faut pas s'y attarder, ni faire de distinctions, ni s'en souvenir. Voilà ce que
l'on veut dire par la pratique de l'Arrêt au moment du
contact.
Comment pratiquer l'Examen au moment de toucher les
objets ? Il faut tout de suite se rappeler que les sensations
de lourdeur, de légèreté, de chaleur, de froid, la sensation
qu'un objet est lisse ou rugueux, tout cela n'a aucune réalité,
sauf celles que nos pensées lui donnent. Ces sensations ne sont
qu'imaginaires et souvent cause de honte et d'illusion. Il
faut reconnaître que ces choses, ainsi que le corps qui produit ces sensations, sont également irréels.
Aussitôt que des causes et des conditions sont amalgamées,
les sensations, les perceptions et la conscience se lèvent. De
celles-ci sont nées la mémoire, les distinctions ou différenciations, et la discrimination entre le bonheur et la souffrance.
Il faut donc, au moment de toucher dos objets, se souvenir
que la conscience associée avec le toucher n'a aucune apparence visible et que la « personnalité » qui ressent la sensation
du contact (et tous les résultats de cet acte du toucher des
choses tangibles) sont vains et vides. Tel est ce qui est entendu par la pratique de l'Examen pendant le contact et la
sensation du toucher.
12) Il faut pratiquer l'Arrêt et l'Examen chaque fois que l'esprit se met à penser. Puisque l'on a déjà parlé de ceci au début de notre étude, il n'y a plus lieu de poursuivre ce sujet. Quand on est assis dans la pratique de Dhyana, n'importe lequel de ces empêchements, qui sont nés des sens, peuvent gêner la méditation. n faut employer le remède
(1) Tout est Maya, illusion, et n'a pas plus de réalité qu'un rêve. Rien n'existe dans le vaste monde que le travail de notre propre esprit.
correspondant au mal, et qui peut soulager. Ces pratiques et ces remèdes ayant déjà été décrits, il n'y a pas à y revenir. Celui qui devient capable d'appliquer ces enseignements à la pratique de Dhyana, quand sera en train d'agir, de se tenir debout, d'être assis, couché, en train de regarder d'écouter, de ressentir un contact, de penser, celui-là pourra se rendre compte qu'il pratique vraiment le Dhyana Mahayaniste (1). Dans le Maha-Vagga Sura il est écrit
« Le Seigneur, le Bouddha, a dit à Sana, son disciple Si les Bodhisattvas Mahasattvas savent comment il faut agir au moment d'agir, comment il faut s'asseoir en s'asseyant, ou seulement comment il faut porter la robe d'un disciple en la portant, s'ils savent comment on doit entrer dans la pratique de Dhyâna en entrant et comment se retirer du Dhyâna au moment d'en sortir, on, peut alors les appeler des Maha-Bodhisattvas‑Mahasattvas, des grands êtres, avec justice. »
Si l'on est capable de pratiquer le Mahayana à n'importe quel moment et en n'importe quel lieu, on est (comme il vient d'être dit) digne d'être connu comme l'être le plus élevé dans le monde, un être suprême. Nul autre n'est comparable à celui-là. Il est écrit dans un Sutra Mahayaniste
« Pour désirer le bonheur des dieux (devas) il faut se retirer dans la forêt tranquille, renoncer à toutes les mauvaises voies, se libérer de tous les désirs de convoitise et pratiquer le Dhyana avec un esprit tranquille.
« Maintenant tu désires les choses du monde, le plaisir la richesse et la gloire, mais de telles choses ne peuvent pas te donner la paix, car il n'y a. pas de moyens de satisfaire tes désirs.
« Nous qui portons la robe rapiécée nous vivons retirés dans la retraite paisible, ayant nos esprits tranquilles et concentrés
(1) Ainsi il faut appliquer ces enseignements à toutes les activités physiques et mentales, être clairement conscient de ce que l'on fait et de la véritable nature de l'acte. Le but du méditant est d'avoir l'esprit détaché, tranquillisé et d'obtenir le silence des pensées pour. lui permettre de contempler l'Essence de l'Esprit.
à tous moments, que nous soyons agissant, ou debout, ou assis
Faisant ainsi nous nous éclairons de sagesse, observant toute chose dans leur véritable nature.
« En continuant dans ces conditions à observer tous les phénomènes avec un esprit équitable et tranquille, nous gagnerons la sérénité, la compréhension, la vision éclairée qui dépasseront les possibilités du triple monde. »