Chapitre IV - Règle et détermination
Quand nous autres, les disciples du Bouddha, commençons à apprendre les pratiques du Dhyana, nous le faisons pour pratiquer les enseignements de tous les Bouddhas des dix directions, dans le passé, le présent et l'avenir. Dès le commencement nous devons, en même temps que notre désir d'atteindre l'Eveil Suprême, faire voeu de libérer tous les êtres animés. Notre résolution en ceci doit être aussi ferme et constante que l'or ou l'acier ; nous devons être énergiques et courageux, prêts à sacrifier pour cela notre vie,rien ne doit pouvoir nous détourner même après que nous aurons acquis tout le Dharma (l'enseignement) du Bouddha. Ayant fait ce voeu sincère, ayant des pensées justes, nous pouvons contempler la véritable nature des choses (note) car toutes choses méritoires ou déméritoires, la mémoire, l'oubli, la conscience erronnée qui surgit de la perception par nos sens des objets et des processus de l'esprit, tous les courants impurs qui coulent de l'esprit, et des passions mauvaises, aussi bien que toutes les lois dans le triple monde des causes et effets, de la naissance et de la mort, l'action et la non-action, peuvent maintenant être saisis par l'esprit.
Aussi est-il écrit dans le Dasabhumika Sutra *
« Il n'y a rien dans le Triple monde que l'opération de nos propres esprits. Quand tu auras compris qu'il n'y a pas, de personnalité dans ton esprit, tu reconnaîtras qu'il n'y a aucune réalité non plus dans les choses. » (note)
Si nos pensées ne s'attachent pas aux choses et ne sont pas influencées par elles, l'action, les faits, la naissance et la mort cessent et n'ont jamais été. Se rappelant tout ceci, commencez la pratique de Dhyana, suivant l'ordre dans les stages ici indiqués. Examinons alors le 4e titre. Que veut-on dire par ''Régler et Réajuster'' ? On- peut comparer ceci au travail d'un potier. Avant de fabriquer un bol, ou un autre objet, il faut qu'il prépare la terre glaise, qui ne doit pas être trop molle ni trop dure. Si un musicien veut produire une musique harmonieuse, il doit d'abord accorder les cordes de son instrument ; nous devons en faire autant avant de pouvoir contrôler notre esprit ; pour atteindre l'Eveil il faut régler et ajuster les conditions intérieures. Pour régler et réajuster les conditions de notre pratique de Dhyana il faut apprendre cinq leçons. Si ces leçons sont bien apprises et bien appliquées le samadhi sera facilement atteint, autrement on rencontrera beaucoup de difficultés et la tendre racine de bonté pourra à peine pousser.
1. La première leçon s'occupe de nos habitudes de nourriture. Il est nécessaire de manger pour maintenir le corps et l'esprit durant sa recherche de l'Eveil, mais trop de nourriture peut être une cause de maladie qui serait pénible et un empêchement à la méditation. Une nourriture insuffisante peut émacier le corps, produire des malaises de la faim, une faiblesse et instabilité de l'esprit, un affaiblissement de notre résolution. Ni l'un ni l'autre de ces extrêmes ne peut nous procurer les fruits de Dhyana. Si nous mangeons ce qui nous répugne, notre esprit sera troublé et notre compréhension deviendra confuse. Toute nourriture qui nous est contraire peut nous rendre malades et affaiblir notre résolution. Telles sont les raisons pour lesquelles nous devons faire attention à notre nourriture. Le Sutra dit :
La force de la résolution d'atteindre l'Eveil t'arrive avec la force de ton corps. La nourriture et la boisson doivent être contrôlés : tu dois garder ton esprit tranquille et éviter des pensées troublantes. Quand l'esprit est calmé tu trouveras une grande satisfaction, dans la pratique de Dhyana. Tels sont les enseignements de tous les Bouddhas. »
2. La deuxième leçon s'occupe de la régularisation de la paresse et du, sommeil. La torpeur est l'un des plus grands empêchements à la méditation, On ne doit lui accorder aucune indulgence. Si nous donnons trop de temps au sommeil nous perdons des heures qui auraient pu être consacrées à notre pratique de Dhyana, ou à d'autres activités utiles. L'excès de sommeil rendra l'esprit terne et le plongera dans l'eau profonde de la mélancolie. Il faudrait se rappeler l'inperpanace de nos vies et bien employer notre temps en maîtrisant la torpeur et limitant le sommeil. Quand le cerveau sera ainsi rafraîchi, les pensées purifiées, réalisant samadhi, le coeur-esprit (citta) sera au repos dans un saint refuge. il est écrit dans le Sutra :
« Dans la soirée et après minuit tu n'oublieras pas la pratique de Dhyana. »
On ne doit pas passer sa vie (même s'il est naturel de le faire) dans un état de torpeur ni de somnolence. Une telle façon de vivre est vaine et sans profit. Il faut se rappeler que l'impermanence, comme un feu, balaie le monde et qu'il ne faut pas somnoler pendant la recherche de la libération.
3. Les troisième, quatrième et cinquième leçons se rapportent au contrôle du corps, â son état physique, à sa respiration et à son état mental. Il faut les considérer dans le début, le centre et la fin comme constituant une seule règle. Pour concentrer l'esprit en Dhyana, il faut d'abord régler la condition du corps et la position (asana), ensuite il faut régler la respiration et après cela les états mentaux. Cela implique qu'avant de commencer à pratiquer le Dhyana il faut veiller sur nos activités physiques, nos allées et venues, notre travail, notre position debout, notre position assise, etc. (note), pour ne pas ni trop nous fatiguer, ni trop nous exciter, ce qui rendrait notre respiration rapide ou forcée, car ainsi l'esprit ne serait pas en bon état pour la pratique de Dhyana au contraire il serait troublé, irrité, obscurci et sans tranquillité. A toute heure nous devons prendre des précautions contres ces états, même si nous n'avons pas l'intention de nous adonner de suite à la pratique de Dhyâna, afin que notre esprit soit dispos et en bon. état. Mais c'est surtout au moment de commencer le Dhyana que nous devons nous préoccuper de l'état physique du corps. Il faudrait aussi se préoccuper de l'endroit choisi pour la pratique, car il faut trouver un endroit où nous ne serons pas dérangés et où nous trouverons le moins possible de difficultés. Ensuite il faut considérer la posture (asana) du corps. Il faut croiser les pieds, le pied gauche sur le pied droit, tirer les jambes tout contre le corps, ayant les pieds en ligne avec l'extérieur des hanches. Ceci est appelé ''la demi-posture''. Si vous désirez prendre ''la posture entière'', placez le pied gauche sur la cuisse droite et le pied droit sur la cuisse gauche en angle droit l'un avec l'autre *. Ensuite il faut desserrer toute ceinture et arranger les vêtements de façon qu'ils ne se déplacent pas pendant notre pratique. Après ceci on doit poser la paume gauche sur la main droite et placer les mains sur le pied gauche que nous attirons près du corps. Il faut alors redresser le corps et le balancer plusieurs fois pour trouver le centre d'équilibre, la colonne vertébrale ne doit être ni trop penchée, ni trop droite. Le cou doit à son tour être redressé pour que le nez soit en ligne perpendiculaire avec le nombril. Après cela il faut ouvrir la bouche et expirer lentement et soigneusement (pour ne pas accélérer la circulation) tout le mauvais air dans les poumons. Fermez alors la bouche et aspirez l'air frais par le nez. Si le corps est bien réglementé (en bon état) une fois suffira, sinon répétez cet exercice deux ou trois fois. Fermez ensuite les lèvres, la langue doit se reposer contre le palais supérieur. Fermez les yeux suffisamment pour éviter la lumière inutile. Dans cette position demeurez assis aussi fermement que si vous étiez une pierre d'assise. Ne laissez pas bouger le corps, ni la tête, ni les mains ou les pieds. Telle est la meilleure façon de régler le corps pour la pratique de Dhyana. Ne le faites pas hâtivement ni négligemment.
4. La quatrième leçon se rapporte à la respiration. La respiration peut se diviser en quatre espèces sifflante, haletante, bruyante, silencieuse. Dans la respiration sifflante, le souffle est renvoyé avec force par le nez. Dans la respiration
haletante notre respiration est trop rapide et dure. La respiration bruyante a lieu quand nous entendons le passage du souffle par le nez. Si l'on était debout ou entrain de travailler on ne ferait pas attention à ce bruit, mais, assis en pratiquant le Dhyana, cela suffit pour distraire l'esprit. Dans la respiration silencieuse il n'y a aucun bruit, aucune contrainte, aucune force employée, il n'y a qu'une sensation de la tranquillité de notre respiration produisant dans l'esprit l'impression de sécurité et de paix ; ce n'est qu'en pratiquant
la respiration silencieuse que nous pouvons atteindre le samadhi, les autres façons de respirer troublent la concentration, l'alourdissent ou la fatiguent.
Telle est la leçon qui concerne la respiration, qu'il faut apprendre au début de notre pratique du Dhyana. Il faut en même temps porter des vêtements larges qui ne serrent pas le corps et qui permettent à l'air de baigner le corps et de le rafraîchir. II faut imaginer que chaque pore de la peau participe à la respiration. La respiration n'étant ni forcée, ni trop rapide, mais douce, naturelle et consciencieusement réglée, il s'ensuit que par cela l'esprit devient clair; la maladie sera évitée, on prendra plaisir dans la pratique de Dhyana. On
sortira de la méditation avec profit.
5. La cinquième leçon se réfère à la réglementation et à l'ajustement de l'esprit. Il y a trois étapes à suivre en réglant
l'esprit : a) l'entrée dans le Dhyana b) la pratique ; c) la sortie de la méditation. Dès l'entrée en Dhyâna, l'esprit doit
être vidé et tranquillisé. Le courant des pensées dont nous sommes à moitié conscients, toutes les pensées vagabondes
et confuses doivent être arrêtées. Il faut éviter que ces pensées vagabondes se lèvent de nouveau, il faut également éviter tous les états d'esprit défavorables ou mauvais, tel que le découragement, la faiblesse des résolutions, le manque de contrôle ou la tension excessive de l'esprit.
Voyons plus en détail comment il faut régler et ajuster ces états. Quand nous sommes assis, droit et parfaitement tranquille, on peut facilement devenir inattentif, somnolent et la tête peut vaciller. A ces moments-là il est utile de concentrer l'attention sur le bout du nez, en gardant l'esprit vide et tranquille ; ainsi l'esprit ne pourra pas sombrer dans le découragement et être sans but. D'autres fois, assis droit et tranquille, le contrôle est facilement perdu et l'esprit commence à errer. Le corps se relâche et toute espèce de pensées
errantes se lèvent et disparaissent. A ces moments-là il est préférable de fixer l'attention sur le nombril car ainsi l'esprit sera, unifié et la confusion d'esprit sera évitée. Tant que les activités agitées de l'esprit sont arrêtées la tranquillité durera. Si l'esprit est réglé et ajusté il ne tombera pas en somnolence et il n'ira pas à la dérive. Quant à la tension excessive de l'esprit cela peut être le résultat de notre effort sincère de pratiquer la concentration ; nous aurons exagéré l'effort et nous nous serons servis de moyens incorrects. Le résultat est que le cerveau se fatigue et il est possible que l'on ressente une fatigue douloureuse dans la tête et à la poitrine. A ces moments il faut relâcher légèrement l'effort et ne pas essayer de chasser les pensées vagabondes ; il faut plutôt les laisser s'en aller naturellement, ce qu'elles feront si nous centrons notre attention pendant un moment sur le nombril.
Si le contrôle mental est trop relâché, l'esprit peut devenir terne et l'attention se disperser, le corps ne sera plus tenu
droit, la bouche sera ouverte et peut baver, tandis que l'on sera vaincu par le sommeil. Dans ce cas il faut renouveler
l'attention et l'effort de contrôler l'esprit, car l'esprit et le corps peuvent s'aider mutuellement dans la réussite (de
Dhyana). Pour réussir, il faut établir une progression graduée d'un état d'activité physique à un état de tranquillité mentale. Ainsi
que la respiration doit devenir douce et silencieuse, le courant de l'activité mentale doit de même devenir doux et imperceptible.
On doit alors régler et ajuster les activités de l'esprit de la même façon que l'on a réglé les activités du corps jusqu'au
moment où la tranquillité et la paix s'établissent.
Dans la deuxième partie de la cinquième leçon pour régler l'esprit pendant qu'il demeure en Dhyana, il y a trois façons de le régler. On doit se servir du cerveau pour concentrer l'esprit à chaque instant, et il faut trouver des expédients habiles pour prolonger le temps de la méditation d'une heure à deux, à quatre et même à six heures des vingt-quatre de la journée. Pour pouvoir faire ceci, il faut un contrôle parfait des conditions de nos corps, de notre respiration et de nos esprits. Il faut pouvoir régler et ajuster les conditions pour qu'elles soient les meilleures possible pendant toute la durée de la méditation. Si cependant le corps devient trop détendu, ou trop tendu, ou relâché, il faut immédiatement le redresser et le rendre attentif. Il faut refaire ceci maintes fois. Il se peut que notre corps reste droit, mais que la respiration devienne mauvaise, soit contractée, ou haletante ou assez forte pour être entendue. Il faut tout de suite corriger ceci et la rendre douce, régulière, silencieuse. Il se peut aussi que bien que le corps et la respiration soient réglés, l'esprit s'en aille à la dérive, ou sombre, ou se relâche ou soit trop tendu. Aussitôt que l'on est conscient de ceci il faut de nouveau le régler. Il n'y a point d'ordre fixe pour régler les trois (le corps, la respiration et l'esprit), il faut simplement régler et réajuster celui qui se trouve déréglé. Tant que nous pratiquons le Dhyana, il faut tenir les trois sous contrôle et dans un état d'harmonie bien ajustée. Si cela se fait, il n'y aura aucune rechute, aucun empêchement à l'obtention de l'Eveil.
Dans la cinquième leçon, la troisième étape se réfère à la sortie de Dhyana ; il faut faire attention à trois choses. D'abord détendre doucement l'esprit ; ensuite ouvrir la bouche et expirer l'air comme si l'on vidait chaque partie du corps avec ses artères et ses veines. Il faut alors remuer le corps peu à peu ; remuer ensuite les épaules, les mains et le cou ; remuer les pieds jusqu'au moment où ils deviennent souples, frotter doucement le corps, ensuite les mains, jusqu'au moment où la chaleur de la circulation est ressentie. Il ne faut pas, avant ceci, ouvrir les yeux et les frotter avec nos mains chaudes. Rester alors tranquille quelques moments et en suite il faut doucement se lever et partir. Le Dhyana étant un état qui diffère des conditions de vie active, si nous abandonnons tout d'un coup la méditation et si nous partons brusquement, l'harmonie sera détruite, la tête fera mal, une sensation de paralysie dans les jointures peut se produire. De ceci l'esprit peut devenir inquiet ou mal à l'aise et on sera mal disposé pour la prochaine séance de méditation. Voilà pourquoi il faut faire attention en sortant de la méditation. Puisque l'on se retire d'un état minimum d'esprit vers le maximum d'activité du corps, il faut procéder graduellement et attentivement, apportant dans notre vie ordinaire la pratique (la mémoire de l'expérience) de la concentration de l'esprit. Dans le Lotus du Dharma Merveilleux (Saddharma Pundarika) est écrit :
«Tu ne feras pas seulement des règles pour le temps où tu es assis, mais tu feras aussi des règles pour te retirer de la méditation, pour qu'il n'y ait aucun soubresaut entre l'activité minimum de l'esprit et l'activité maximum du corps. »
Dans ce Sutra il est également écrit :
« C'est pour l'amour de l'Eveil de tous les Bouddhas, que les Bodhisattvas-Mahdsattvas, ici assemblés, ont dévoué leur vie avec ardeur et persévérance. Ils ont expérimenté des centaines de myriades de kotis de samadhi en entrant dans le Dhyana, demeurant dans le Dhyana et en se retirant du Dhyana. »
« Ils ont obtenu les pouvoirs transcendantaux, ils ont, pendant de longues époques, effectué la pratique de Brahma, ils ont étudié tous les sutras pendant des milliers innombrables de myriades de kalpas. »