Cultiver l'équanimité


L'équanimité est l'aboutissement et l’apogée des quatre demeures divines dont chacune inclut en elle le souhait que tous les êtres se sentent bien et heureux. Cet amour-empathie* s’exprime néanmoins différemment selon chaque demeure. Lorsque l'on peut percevoir les êtres affligés par la souffrance, l'amour-empathie devient compassion* ; lorsque l'on peut se réjouir des bienfaits qu’une personne obtient d’une action méritoire, l’amour-empathie devient joie partagée*. L'équanimité* signifie cependant que l’on reste imperturbable - ou d’humeur égale - face à la souffrance et la joie : c'est être capable d'avoir le même esprit en toute circonstance, que ce soit envers des amis ou face à des ennemis ; c’est être capable de considérer tous les êtres avec amour et bienveillance, sans une once de partialité ou de préjugé. C'est un amour-empathie développé jusqu'à transcender toutes les frontières. La quatrième demeure divine est aussi celle où l'amour-empathie devient bien plus qu'un simple sentiment de bienveillance, mais la Voie vers une paix et une sérénité inébranlables.

Bien que le Sutra du Lotus mette l’accent sur la joie et la compassion, l'équanimité y est aussi indéniablement présente. Dans le chapitre II , le Bouddha annonce que l'unique grand but (note) pour lequel les bouddhas apparaissent dans le monde est d'ouvrir la porte de l’intuition, la perspicacité et la compréhension (note) des bouddhas pour tous les êtres ; de leur montrer à tous l’intuition, la perspicacité et la compréhension de tous les bouddhas (note) ; de permettre à tous les êtres d’obtenir l'intuition, la perspicacité et la compréhension des bouddhas, et de les mener tous dans la voie de l'intuition, la perspicacité et la compréhension de tous les bouddhas (note). Cette déclaration ne laisse de côté personne, aucun être vivant. De plus, le Bouddha déclare qu’enseignant aux bodhisattvas, il destine en fait le Véhicule Unique du Bouddha à tous les êtres et pas seulement à certains .  C'est là l'impartialité du Bouddha. Le chapitre XVI se termine en réitérant de façon puissante l'attention que le Bouddha porte constamment, sans partialité ni préjugé, à tous les êtres :

« Je sais qui pratique la Voie
Et qui ne la pratique pas.
D'après cela, j'expose les divers enseignements
Les plus appropriés à leur salut (selon leur capacité à les comprendre)
Je pense à tout moment :
"Comment amener tous les êtres vivants
À la Voie insurpassable (qui conduit à la bodhéité) ? " »

Parmi les chapitres remarquables du Sutra du Lotus, les chapitres XIV et XX, Pratiques paisibles et Bodhisattva Fukyo, comportent des passages qui mettent l’accent sur le fait que le Bouddha et les bodhisattvas ont pour tous les êtres une égale considération. Cette valeur d'équanimité et de considération impartiale envers tous est toutefois mentionnée tout au long du Sutra du Lotus.

L'équanimité désigne également l'attitude que nous devrions savoir adopter face aux vicissitudes de l’existence. Avant que le Sutra du Lotus ne soit transmis, le Bouddha utilisait la formule des huit vents pour décrire les différentes circonstances, bonnes et mauvaises, qui peuvent influencer l'esprit des êtres dans l’erreur et leur faire perdre leur équanimité. Nichiren lui-même fait référence à ce concept dans ses écrits :

« Un homme véritablement sage ne se laissera emporter par aucun des huit vents : fortune, misère, disgrâce, honneurs, louange, critique, souffrance, plaisir. Il ne tire pas orgueil de la prospérité, ni ne se lamente des revers de fortune. Les divinités bouddhiques protègeront à coup sûr celui qui ne plie pas devant les huit vents. Mais si vous nourrissez une rancune déraisonnable contre votre suzerain, elles ne vous protégeront pas, malgré toutes vos prières. »  Huit vents

Dans une lettre attribuée à Nichiren, il est précisé que l'équanimité et la foi en Namu Myoho Renge Kyo vont de pair :

« Souffrez s’il faut souffrir, et goûtez pleinement la joie lorsqu'elle se présente. Considérez la souffrance et la joie comme des réalités inséparables de la vie et continuez de réciter Namu Myoho Renge Kyo, quoi qu'il arrive. Vous connaîtrez alors la joie illimitée que procure le Dharma. Fortifiez votre foi plus que jamais. » Le bonheur en ce monde

Le Sutra du Lotus enseigne lui aussi que toutes les choses sont non-substantielles, vides (ku), et n'existent qu'en vertu de causes et de conditions. Les percevoir ainsi aide à comprendre que toutes les circonstances, bonnes ou mauvaises, sont impermanentes et conditionnées et qu’en définitive, cette ultime perspective ne donne pas lieu de perdre son équanimité. De fait, n'ayant pas de nature fixe ou de substance propre, les choses peuvent même être considérées comme paisibles au plus profond d'elles-mêmes puisqu’elles sont sans stigmate ou trouble permanent. Dans cette optique, le chapitre II du Sutra du Lotus déclare :   

« Tous les dharmas sont, dès l'origine et pour l'éternité,
marqués du sceau de leur propre apaisement et disparition. »

Sentiments de paix et sérénité sont les résultats d'une telle vision, ainsi qu’actions fondées sur la sérénité, un amour et une bonté impartiale envers tous les êtres : voilà ce qu'est la demeure divine de l'équanimité. Il est important de ne jamais la confondre avec indifférence ou réserve, mise à distance. L’esprit qui anime le Bouddha, sa motivation profonde ne correspond à rien d'autre qu’à tenir compte de tous les êtres, à les « embrasser »  en toute circonstance et ce, en faisant usage d'innombrables expédients afin de les conduire tous vers le Véhicule Unique du Bouddha pour qu'eux aussi puissent goûter cette paix et cette sérénité.

L'exercice suivant peut être utilisé pour cultiver l'équanimité d'une manière similaire au développement de l’amour-empathie expliqué précédemment.

1. Prenez quelques instants pour vous retrouver avec vous-même : asseyez-vous et respirez profondément, en toute conscience. Faites un cycle de dix respirations ou plus, éventuellement en les comptant. Sans porter de jugement, prenez note de votre état physique et psychologique. Commencez ensuite à développer un sentiment d'équanimité envers vous-même en considérant d’un même œil ce que vous avez vécu de bon et de mauvais ; en considérant votre expérience comme étant le résultat de manifestations passagères de causes et de conditions volatiles, non fixes et sans substance. Vous pouvez même vous répéter : « Quelles que soient les conditions qui se présentent, puissé-je demeurer à jamais dans le royaume sans limites du cœur paisible et de l'esprit serein présents depuis la nuit des temps » ou « Puissé-je surmonter la souffrance et obtenir le bonheur de la libération bienheureuse grâce aux mérites de l'enseignement du Sutra du Lotus » (note). Poursuivez cet exercice pendant quelques minutes au moins.

2. Prenez maintenant quelques minutes pour faire preuve d'équanimité envers une personne que vous ne connaissez pas particulièrement ou pour laquelle vous n'avez pas de sentiments particulièrement forts dans un sens comme dans l'autre. Contrairement aux trois autres demeures divines, commencez par une personne neutre envers laquelle il est plus facile d’éprouver impartialité et absence de préjugé. Considérez que cette personne fait également l'expérience de bonnes et de mauvaises choses liées à des causes et conditions. Étendez sur elle la pensée d'équanimité en vous répétant : « Que [nom de cette personne] demeure à jamais dans le royaume illimité du cœur paisible et de l'esprit serein présents depuis la nuit des temps » ou « Que [nom] surmonte la souffrance et obtienne le bonheur de la libération bienheureuse grâce aux mérites de l'enseignement du Sutra du Lotus ».

3. Prenez maintenant quelques minutes pour adresser ce sentiment d'équanimité à une personne qui est un bienfaiteur ou un ami.

4. Imaginez maintenant quelqu'un que vous avez du mal à apprécier ou avec qui vous avez du mal à vous entendre, et faites le vœu que cette personne « puisse demeurer à jamais dans le royaume sans limites du cœur paisible et de l'esprit serein toujours présents » ou « puisse surmonter la souffrance et obtenir le bonheur de la libération bienheureuse grâce aux mérites de l'enseignement du Sutra du Lotus ». Si vous pouvez maintenir ce souhait pour ceux avec qui vous avez des difficultés avec autant de conviction et de force que pour votre ami ou bienfaiteur, vous saurez alors que vous commencez véritablement à développer un esprit d'équanimité impartial et sans préjugé.

5. Consacrez maintenant votre temps à développer simultanément ce sentiment d'équanimité envers vous-même, une personne neutre, un ami ou bienfaiteur, et la personne avec laquelle il est difficile de vous entendre.

6. Enfin, vous devriez passer quelque instants à cultiver le souhait « Que tous les êtres dans toutes les directions demeurent à jamais dans le royaume illimité du cœur paisible et de l'esprit serein toujours présents » ou « Que tous les êtres de tous les mondes soient aidés de manière égale, qu'ils surmontent la souffrance et obtiennent le bonheur de la libération bienheureuse grâce aux mérites de l'enseignement du Sutra du Lotus », étendant ainsi à tous les sentiments que vous avez cultivés dans les exercices précédents.

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