Pratique alternée anglais-français*

Lecture en français du « nouveau » texte sur « la Triple vérité »* jusqu’à l’entête sur l’Abhidharma.

Question : Le bouddhisme ne tenant pas compte de questions métaphysiques, comment parler de loi de causalité s’il existe un karma « inconjecturable »*, imprévisible ? Cela reviendrait donc à approuver la théorie du chaos.

Réponse : Le Tripitaka* cite quatre sortes de karmas impossibles à conjecturer : la bodhéité du Bouddha, l’expérience de l’absorption méditative, la recherche des effets karmiques, la conjecture sur l’origine, etc. du monde, lesquelles mènent toutes à une impasse, à savoir la folie et la désillusion. L’analyse des actes eux-mêmes donne déjà une idée du karma qui en résultera. Or le Bouddha enseigne que l’essentiel est d’observer l’instant présent car c’est lui qui est porteur de mérites (cf. les chapitres XVII, XVIII et XIX du Sutra du Lotus). Nichiren fit précisément de ce Sutra la pierre angulaire de tous les enseignements bouddhiques parce que seul ce sutra dit que :

Autrement dit, notre bodhéité, notre état de bouddha, est à exprimer, à travailler dans l’instant présent.

Remarque d’un participant : Analyser son karma est donc secondaire par rapport aux bienfaits qu’enseigne le Sutra du Lotus qui dit que ces bienfaits existent là, maintenant, dans l’instant présent. Rappelons-nous que même Devadatta, le cousin du Bouddha qui voulut attenter à sa vie, peut devenir bouddha ! Les discours du Bouddha ne sont ni intellectuels, ni scientifiques : comme le dit ce texte, ce qui compte pour lui est la mise en application de la Voie du milieu.

Remarque du Révérend : Cette nouvelle version de Fleur du Dharma, chapitre 6, s’appuie sur le canon pali : tous les arguments sur le « non soi » que cette version développe en faisaient déjà partie alors qu’ils furent repris plus tard par Nagarjuna et d’autres écoles.

Question : Importance du choix des mots - désillusion VS déception VS désabusement. La déception n’est-elle pas une désillusion dans le sens qu’être déçu fait souffrir et que cette souffrance peut faire perdre la raison ? La déception peut donc être une désillusion : la perte d’une illusion.

Réponse : Je répondrai par un exemple de type électoral. Supposons qu’une personne vote pour un candidat qui ne remporte pas les élections : cette personne éprouvera du désappointement, sera déçue par ces résultats. Supposons maintenant que cette même personne apprenne que le candidat qui a remporté les élections s’est servi des pires moyens (pot de vin, comptes faussés, etc.) pour être élu : en l’apprenant, cette personne se sentira bernée, trompée, abusée. Prisonnière de ses illusions, elle se faisait par conséquent une fausse idée de la réalité, et souffre maintenant de ce désabusement. Or le but du bouddhisme est la vue juste et claire qui permet de ne plus avoir d’illusions, de se libérer de ses idées préconçues et de toute attente illusoire : but que se donne précisément un bodhisattva.

Question : Pourquoi vous référez-vous si souvent au canon pali ?

Réponse : Quand j’ai découvert le bouddhisme de Nichiren, j’ai éprouvé le besoin de retourner aux textes bouddhiques fondamentaux, écrits justement en pali, et il m’a fallu pour cela remonter le courant du japonais par les langues chinoise et sanscrite : j’avais besoin de retrouver le contexte initial des mots que je lisais. La langue que parlait le Bouddha était le pali, un dialecte sanscrit du Magadha, la région dans laquelle vivait Shakyamuni. Très proche du sanscrit, le pali permettait facilement au Bouddha de parler avec les gens qu’ils rencontraient alors que le sanscrit était la langue que les brahmanes utilisaient pendant les rituels cérémoniels.
C’est de plus en pali que fut consigné le Tripitaka. C’est aussi le pali qui est la langue du Theravada, école qui possède l’une des plus importantes collections de textes sur l’histoire du bouddhisme. Ces textes qui furent traduits dans d’autres langues européennes, notamment l’anglais depuis le XIXe, continuent d’être traduits directement du sanscrit depuis les années 1980. Ils sont donc beaucoup plus faciles d’accès aujourd’hui.
Rédigés en sanscrit, le contenu des sutras mahayana montre aussi que les textes palis leur étaient familiers.

Remarque d’un participant : Trouver le bon mot, la tournure exacte pour traduire un concept requiert parfois un grand effort de recherche : la note du traducteur en bas de page peut être bien utile pour préciser le sens d’une expression, du contexte d’utilisation, etc. Vous-même, Révérend, faites appel à toutes vos connaissances linguistiques et à des applications de traduction pour rédiger vos textes en anglais en précisant toujours quels sont les symboles, les idéogrammes à la racine d’un concept.

Question : Pali, sanscrit et chinois étaient-ils des langues aussi riches autrefois que le sont les langues d’aujourd’hui ?

Réponse : Pali et sanscrit étaient très proches, mais mon impression est que le sanscrit possédait une grammaire très précise, ce qui en faisait une langue encline à l’abstraction. Le chinois qui n’a pas cette précision est en revanche beaucoup plus imagé, plus « humain ».
La langue japonaise possède des caractères chinois, mais bien peu de Japonais savent aujourd’hui lire le chinois sans l’aide d’une transcription japonaise placée au-dessus des caractères chinois. Nichiren, qui reçut une solide formation au sein de son monastère, connaissait bien le chinois. De fait, il appartient à une tradition qui remonte à Kumarajiva (Inde) et à Zhiyi de l’école Tiantai (Chine).
Mon objectif est de suivre ce lignage et de retrouver ce qui a pu se perdre au fil des traductions. Zhiyi a consigné d’ailleurs dix points à observer pour savoir adapter le Dharma, dont l’un est précisément de savoir traduire. Il soulignait aussi la nécessaire mise en pratique de la Voie du milieu, le besoin de trouver un équilibre en tout, raison pour laquelle il écrivit par exemple : « Suivre le Dharma, non la personne » ou encore « Suivre le sens du Sutra, non les mots », etc., repris par Nichiren dans Le Choix en fonction du temps*.

Prochaine réunion prévue le 3 juillet au cours de laquelle nous approfondirons l’étude du « non soi » à partir de l’entête : « Tous les dharmas sont vides d’une nature propre ». Le Révérend laisse à notre appréciation la lecture du passage remanié sur l’Abhidharma dont nous pourrons également parler si nous le souhaitons.