Pour une psychologie de l'éveil Un court extrait John Welwood |
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A la fin de son ouvrage, où il analyse l'apport mutuel entre la psychanalyse et la pratique bouddhique, l'auteur met en garde contre la tentation de suivre un maître qui "sape les schémas habituels du soi". Nous en présentons quelques extraits, renvoyant pour plus d'approfondissement au livre publié aux éditions de la Table Ronde. |
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Pour définir les "caractéristiques des groupes spirituels pathologiques" John Welwood dégage cinq points : | ||
1. Le leader assume un pouvoir total de validation ou de négation de l'estime de soi de ses adeptes et il utilise très largement ce pouvoir. Dans les groupes pathologiques, le leader est habituellement une personne magnétique, charismatique qui, selon les termes de Eric Hoffer, respire « une confiance illimitée en elle-même. Ce qui compte est l'attitude arrogante, le mépris complet de l'opinion des autres, le geste de défi, seul face au monde. » Quelque chose de cette confiance en soi imperturbable séduit particulièrement ceux qui ont une mauvaise opinion d'eux-mêmes et qui deviennent souvent hypnotisés par le manège grandiose du leader autoproclamé de la secte. Comme le fait remarquer Hoffer : « La foi en une cause sainte est... un substitut à la foi en nous-mêmes que nous avons perdue. » Le faux prophète et le vrai croyant sont faits l'un pour l'autre ; ils sont les deux faces d'une même pièce. À travers leur collusion mutuelle, le leader obtient le pouvoir et le contrôle, tandis que les adeptes obtiennent de lui réconfort et sécurité grâce à ses directives et à son approbation, ainsi qu'un pouvoir par procuration en s'identifiant à lui. […] Le leader corrompu [...] vous vide le cerveau, vous ne savez rien. Et
après ça, quoi qu'il fasse, vous devez alors le remercier
pour ce qu'il a fait. Et vous devenez totalement dépendant de
lui, parce que vous-même, vous n'avez rien d'autre. Tout ce que
vous aviez était mauvais. J'entends par là qu'il disait
: «Tu vas m'écouter et je vais t'apprendre ce qu'il y avait
de bon », et la plupart des gens y croyaient réellement...
Il faisait croire à tous qu'ils étaient quelqu'un. L'efficacité d'une telle idéologie découle de sa certitude absolue en tant que seule et unique Vérité, bien plus que de sa vérité ou de son sens inhérents. Pour qu'une doctrine soit aussi certaine, il faut croire en elle, au lieu de la comprendre ou de la mettre à l'épreuve. Si les adeptes essayaient de comprendre la doctrine ou de la tester, ils devraient faire confiance à la validité de leur propre expérience ; mais dans la mesure où ils rejoignent au départ le groupe par manque d'estime d'eux-mêmes, ils sont peu enclins à faire appel à la vérité de leur propre expérience. Plus la confiance en soi est déficiente, plus les adeptes tentent de se fondre dans le moule de l'image de membre idéal prévalant dans le groupe, en copiant souvent les actions, les manies et la pensée du leader. Il règne dans cet environnement un haut niveau de suspicion parmi les membres, de peur que l'un d'entre eux ne trahisse la Cause. Tout cadre de référence indépendant est interprété comme une hérésie, une déloyauté ou une trahison vis-à-vis de la mission du groupe. Et il peut exister des réseaux d'espionnage servant à dénoncer des membres qui sont en dissidence avec la mission centrale. Les membres qui ont abandonné leur propre intelligence et leur autonomie se sentent menacés par la façon de penser indépendante de certains membres de la confrérie et ils deviennent donc, de leur plein gré, des informateurs. [...] Dans un groupe au sein duquel l'estime de soi dépend de la Cause, le doute est un péché mortel. Et puisque l'allégeance à la Cause est en premier lieu fondée sur une croyance, tout autant que sur des besoins émotionnels d'appartenance et d'approbation, plutôt que sur une authentique recherche de vérité ou sur une discipline de connaissance de soi, l'idéologie est souvent utilisée pour justifier moralement un comportement discutable. La Cause a la préséance sur la décence commune et sur le respect de la dignité humaine. 3. Le leader fait marcher droit ses adeptes en
manipulant des émotions d'espoir et de peur. La monnaie
d'échange du royaume gouverné par le chef d'une secte
est la promesse. Le leader promet à ses adeptes des récompenses
- l'obtention du salut ou d'un statut spécial, supérieur
au reste du monde, s'ils restent fidèles à la Cause. Ce
« système de la carotte » séduit l'avidité,
la vanité et la pauvre estime que les adeptes ont d'eux-mêmes.
Les récompenses futures de l'allégeance à la Cause
prennent le pas sur toute appréciation ou jouissance de l'expérience
présente. 4. Il y a une frontière stricte et rigide, tracée entre le groupe et le monde extérieur. Etre dans le groupe est par définition une bonne chose ; être en dehors du groupe est perçu comme une dégradation ou une corruption. De tels groupes entretiennent souvent une notion de mal absolu, défini comme étant le monde à l'extérieur de ses frontières. [...] 5. Les leaders de sectes corrompues sont habituellement de prétendus prophètes qui ne se sont pas soumis à une longue formation ni à une discipline sous la conduite de grands maîtres. De nombreuses traditions religieuses ont des lignées de transmission spirituelle claires. Ceux qui doivent enseigner aux autres sont habituellement mis à l'épreuve par leur propre maître avant d'être autorisés à se présenter eux-mêmes en tant que maîtres. C'est particulièrement vrai dans le bouddhisme et dans d'autres traditions asiatiques. Le processus de test et de transmission est utile en tant que forme de contrôle de qualité, pour être sûr que les enseignants en question ne déforment pas les enseignements dans un but purement personnel. Mais la plupart des figures sectaires dangereuses de notre époque sont des gourous autoproclamés qui influencent leurs adeptes grâce à leurs talents charismatiques, en dehors du contexte stabilisateur d'une tradition, d'une lignée ou d'une transmission. L'autorité spirituelle relative L'analyse ci-dessus s'adresse uniquement aux dynamiques
les plus extrêmes et les plus malsaines qui surviennent dans des
groupes spirituels. Néanmoins, au-delà de cela, de nombreux
maîtres et communautés spirituelles opèrent dans
une zone plus grise, mêlant souvent des enseignements authentiques
à des pratiques et un comportement discutables. En vérité,
il y a souvent une frontière très fine entre un brillant
enseignant et un enseignant sans scrupule. II n'est donc pas suffisant
de faire des listes de caractéristiques problématiques,
car cela montre uniquement ce que de faux maîtres font de mauvais,
sans nous dire ce que les maîtres authentiques font de bien. Pour
approfondir cette discussion, nous devons considérer ce qu'est
une autorité spirituelle véritable et d'où elle
vient. |
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John
Welwood. Pour une Psychologie de l'Éveil. - Bouddhisme, psychothérapie
et chemin de transformation personnelle et spirituelle. Ed. de La Table
Ronde. Collection "Les Chemins de la Sagesse". Paris 2003. Traduit
de l'américain par Dominique Thomas. |
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