[Pour quelles raisons vient-on au bouddhisme ? Pour quels bénéfices
y reste-t-on ? ]
J’ai posé la question à plus de neuf cents
pratiquants du bouddhisme zen et tibétain dans un questionnaire.
3.1. Les facteurs d’attraction
du bouddhisme
Les résultats font apparaître six facteurs
d’attraction :
- les valeurs – compassion, liberté,
respect de la vie, non-violence, tolérance – arrivent
en tête (28 %) ; - viennent ensuite les bénéfices de la pratique
(20 %) – travail sur le corps et les émotions, aide
psychologique, sérénité ; - les réponses ayant trait à la rationalité
et au pragmatisme – religion sans Dieu ni
dogme, place centrale de l’expérience, appui sur la
raison – suivent de près (18 %) ;
- la philosophie et la doctrine – impermanence,
karma (loi universelle de causalité selon laquelle chaque
acte produit un effet. Appliquée au plan de la destinée
individuelle, elle stipule que certains événements
de la vie présente sont des effets d’actes commis dans
des vies antérieures), réincarnation, interdépendance,
etc. – arrivent en quatrième position (14 %) ; - le caractère traditionnel et ancien du bouddhisme,
qui rassure et séduit par la présence de maîtres
spirituels expérimentés (13 %) ; - enfin, le côté exotique et esthétique
du bouddhisme ne recueille que 5 %.
3.2. Les bénéfices
de la pratique
En ce qui concerne les bénéfices de la pratique, les
pratiquants soulignent tous qu’ils ont le sentiment de progresser
humainement et spirituellement grâce à des techniques
psychocorporelles. Des mots comme sérénité,
paix intérieure, unité
reviennent le plus souvent.
4. LE BOUDDHISME EN
FRANCE ET SON ÉVOLUTION
[Quelles ont été les évolutions marquantes
du bouddhisme en France ? Quelles formes peut-il prendre à
l’avenir ? ]
4.1. Origine du bouddhisme
en France
Le bouddhisme a des adeptes en France depuis la fin du siècle
dernier. Alexandra David-Neel en est un bon exemple.
Depuis les années 70 toutefois, on a assisté à
un phénomène nouveau : celui de l’implantation
de nombreux centres de méditation sur le sol français
– plus de deux cents. Mais au fond, le nombre de personnes
engagées dans une pratique est encore très restreint.
4.2. L’avenir du bouddhisme
en France
Pour l’avenir, il y a deux scénarios
possibles : - soit le flot des sympathisants va fortement grossir celui des
pratiquants, faisant du bouddhisme la plus grande religion de l’Occident
avec le christianisme ;
- soit le nombre des sympathisants ne va pas se convertir dans la
catégorie des pratiquants, laquelle continuera de progresser
de manière très lente.
Je penche plutôt pour cette seconde hypothèse. Même
en Orient, très peu pratiquent la méditation, et la
voie bouddhique a toujours été réservée
à une élite. Prise à la lettre, elle est très
rigoureuse et exigeante. La plupart des Français touchés
par le bouddhisme sont finalement peu impliqués ; ils sont
surtout touchés par certains aspects simples et universels
du message du bouddhisme.
5. LE BOUDDHISME ET
LA MODERNITÉ RELIGIEUSE
[Vous dites dans votre livre que la diffusion du bouddhisme
en France est un excellent laboratoire des métamorphoses
de la religion dans la modernité. Pourquoi ? ]
Disons, pour aller très vite, que l’on peut observer
deux grands mouvements à l’œuvre dans
la modernité religieuse :
- un courant de décomposition, lié à l’individualisation
et à la mondialisation, se traduisant par une "subjectivisation"
et un bricolage des croyances et des pratiques qui minent la cohérence
et l’autorité des grandes religions ;
- le deuxième mouvement, bien plus restreint, concerne des
individus qui tentent de réagir contre cette individualisation
en agrégeant leur parcours spirituel solitaire à une
lignée croyante, à une tradition ancienne.
Or le bouddhisme active ces deux mouvements :
- par sa souplesse, sa fluidité
et son caractère non dogmatique,
il se prête merveilleusement bien au bricolage et à
la religion en kit.
- En même temps, il offre des gages d’"authenticité"
et d’ancienneté, ainsi que des maîtres
spirituels expérimentés, qui rassurent un certain
nombre d’individus peu tentés par une quête spirituelle
solitaire.
6. Le bouddhisme
à la porté de tous
[Quelle est cette “pédagogie bouddhiste”
dont vous parlez ? ]
Tandis que la plupart des dogmes chrétiens, comme l’Incarnation
ou La Trinité, sont présentés comme des mystères
qui échappent à l’entendement, la plupart des
croyances bouddhistes sont présentées comme des solutions
logiques.
6.1. La question du “mal”
pour les bouddhismes et les chrétiens
Par exemple face à la question du mal, le christianisme invoque
le mythe du péché originel, tandis
que le bouddhisme parle de la loi de causalité du
karma, ce qui apparaît
plus crédible et rationnel aux Occidentaux. D’autre
part, les bouddhistes incarnent tout précepte dans une pratique
corporelle.
6.2. La notion de “pardon
pour les bouddhismes et les chrétiens”
Ainsi, lorsqu’il est demandé à un adepte de
pardonner à quelqu’un, son maître spirituel lui
apprendra des techniques psychocorporelles qui
l’aideront à gérer l’émotion négative
et à la transformer positivement. C’est pourquoi on
peut dire que la méditation bouddhiste est une véritable
alchimie des émotions… assurément
l’une des plus grandes lacunes de la civilisation occidentale,
qui tend à nier le corps et les émotions.
7. Les pièges
du bouddhisme à éviter
7.1. Idéaliser
le bouddhisme sans discernement
Idéaliser sans discernement cette nouvelle sagesse. Opposant
le bouddhisme à la religion de leur enfance, de nombreux
disciples occidentaux abandonnent tout esprit critique sous prétexte
qu’ils ont affaire à des lamas tibétains ou
à des maîtres zen. De nombreux scandales ont ainsi
éclaté, autour notamment de questions d’argent,
de sexualité et d’abus de pouvoir, qui révèlent
tout autant une profonde immaturité de ces disciples que
des pratiques assez douteuses de certains "maîtres"
renommés.
7.2. Le
bouddhisme, un outil vers le matérialisme spirituel
Se forger un bouddhisme ajusté aux
besoins de son ego. Ce deuxième piège est
davantage lié à la manière dont les Occidentaux
"consomment" la spiritualité, ce que le lama tibétain
Chogyam Trungpa appelait le "matérialisme spirituel".
Au lieu de suivre la voie exigeante proposée par le Bouddha
et d’abandonner ses dernières illusions, le nouvel
adepte ne fera que renforcer les penchants narcissiques de sa personnalité.
On rencontre cela chez certains adeptes du bouddhisme tibétain
qui collectionnent les "grandes initiations" auprès
des plus "grands maîtres", se donnant ainsi le sentiment
illusoire d’atteindre un "haut degré d’élévation
spirituelle", sans que cela ne s’incarne réellement
dans leur vie quotidienne.
7.3. Le
bouddhisme confondu avec la spiritualité personnelle
Se concentrer uniquement sur sa progression spirituelle
personnelle, à travers la pratique de la méditation,
en se détournant de plus en plus d’une véritable
ouverture à autrui, faisant ainsi fi du message d’amour
et de compassion qui donne un sens ultime aux enseignements du bouddhisme
du Grand Véhicule.
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Remarques : a) Les phrases. entre
[ ] sont les questions posées par la revue “Psychologies
magazine”.
b) Voir également : Frédéric Lenoir “Le Bouddhisme
en France” (Fayard).