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L'Expérience du ZEN


Extrait de l’Expérience du ZEN –Thomas HOOVER – Albin Michel (1989) - Traduction Nelly Lhermillier et Marc de Smedt de The Zen experience (1980)

Le saint François du Zen (594-657)


Dans cette parade des patriarches, on ne peut passer Farong sous silence, car si ce maître ne fut jamais officiellement couronné patriarche, son humanité fit de lui une légende.

Farong (594 - 657), dont le nom de famille était Wei, naquit dans une province de la rive sud du fleuve Yangzi, et fut dans ses jeunes années un étudiant de la pensée confucéenne. Mais, rapidement, son aspiration au défi spirituel le conduisit au bouddhisme. Il s’installa finalement dans une grotte à flanc de falaise, près d’un monastère célèbre du mont Niutou [Nieou-t’eou]. D’après ce que l’on raconte, sa sainteté était telle que des oiseaux venaient lui faire des offrandes de fleurs.

Selon la chronique zen de La Transmission de la lumière de la lampe (1004), à un moment situé entre 627 et 649, le quatrième patriarche, Daoxin, pressentant qu’un grand bouddhiste vivait le mont Niutou, s’y rendit afin de se mettre en quête de cet homme. Après de nombreux jours de recherche, il rencontra enfin un être pieux qui se tenait assis au sommet d’un rocher. Pendant que les deux maîtres faisaient connaissance, des broussailles et des ronces qui se trouvaient plus haut sur la montagne parvint soudain le rugissement d’un tigre. Daoxin parut s’en alarmer, ce qui fit dire à Farong, ami des animaux, avec un sourire forcé : «Je vois que cela est encore en vous.» Le sens de cette phrase était bien sûr que Daoxin était encore l’esclave du monde des phénomènes, qu’il n’était pas complètement détaché de ses peurs et de ce qu’il percevait.

Après qu’ils eurent bavardé un moment, Farong dut quitter son siège et s’éloigner pour aller satisfaire un besoin naturel. En son absence, Daoxin inscrivit le caractère chinois du nom du Bouddha sur le rocher où il avait été assis. Quand Farong revint pour reprendre sa place, il fut un instant choqué à l'idée de s’asseoir sur le nom du Bouddha. S’attendant à une telle réaction, Daoxin sourit et dit : «Je vois que cela est encore en vous. »

Il avait montré que Farong restait intimidé par l’apparat du bouddhisme classique et n’était pas encore devenu un maître du pur Esprit détaché de toute chose. On dit que Farong ne put comprendre le sens de cette remarque et implora Daoxin de lui enseigner le Chan, ce que le quatrième patriarche fit sans tarder. Une fois encore, le message de Daoxin recommandait la non-distinction, le non-attachement, la non-discrimination ; il disait de renoncer aux émotions, aux valeurs, à la lutte. Soyez simplement naturel, soyez ce que vous êtes, car c’est la partie de vous qui est la plus proche de l’idéal bouddhique de liberté mentale. Rien ne manque en vous et vous n’êtes pas différent du Bouddha. Il n’y a d’autre manière de parvenir à l’état de Bouddha que de laisser à votre esprit la liberté d’être lui-même. Vous ne devriez contempler ni purifier votre esprit. N’y laissez entrer ni désir obsédant ni haine, et n’ayez ni crainte ni anxiété. Soyez sans limites et absolument libre de toutes les conditions. Ayez la liberté d’aller dans la direction qui vous plaît, quelle qu’elle soit. N’agissez ni dans le but de faire le bien, ni dans celui de poursuivre le mal. Que vous marchiez ou que vous restiez, que vous soyez assis ou couché, quoi qu’il vous arrive il s’agit de la merveilleuse activité du Grand Illuminé. Tout est joie, sérénité — c’est ce qu’on appelle Bouddha.

Après la visite de Daoxin, les oiseaux cessèrent d'apparaître avec leurs offrandes de fleurs : ce qui prouve, disent les maîtres ultérieurs du Chan, que l’être physique de Farong s’était entièrement évanoui. Son école du mont Niutou fleurit un certain temps. On y enseignait que l’on pouvait atteindre les objectifs de la pratique du Chan en contemplant le Vide de Nagarjuna. Farong interprétait ainsi les enseignements de la Voie du Milieu : Tous les discours n’ont rien à voir avec la Nature originelle de l’homme que l’on peut atteindre seulement à travers sunyatâ. Pas de pensée, telle est la Réalité absolue dans laquelle l’esprit cesse d’agir. Quand l’esprit d’un homme est vide de pensées, sa nature a atteint l’Absolu.

Les enseignements de Farong furent transmis par la suite au Japon grâce à un pèlerin japonais de passage, mais son école ne se perpétua dans aucun des deux pays au-delà du VIIIe siècle. Elle fut le premier groupe dissident du Zen; étant trop attachée au bouddhisme traditionnel, peut-être lui manquait-il l’innovation nécessaire à sa survie.

Comme Farong avançait en âge, on l’encouragea à descendre de sa montagne pour aller vivre dans un monastère, ce qu'il aurait peut-être fait de lui-même. On dit qu’après qu’il eut fait ses derniers adieux à ses disciples, il fut suivi au bas de la montagne par les lamentations de ses oiseaux et de ses animaux. Un maître plus ordinaire aurait été oublié, mais ce saint François du Zen était tant aimé qu’il devint un sujet de conférences et qu’on se souvint toujours de lui avec respect.

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