Le Sûtra du Lotus

DICTIONNAIRE
Traduit du chinois par Jean-Noël Robert

copyright Rissho Kosei-kai et Librairie Arthème Fayard, 1997
Chapitre premier - Le prologue


Ainsi l'ai-je entendu, en un temps où l'Éveillé demeurait en la cité de Maison-le-Roi, au mont Pic du Vautour, accompagné d'une foule de douze mille grands moines, tous des Méritants, dont les infections étaient venues à terme, désormais exempts de passions, fermement munis de leur bien propre, ayant mis fin aux entraves de l'existence, souverains d'esprit. Ils avaient nom Ajñâtakaundinya, Mahâkâçyapa, Uruvilvâkâçyapa, Gayâkâçyapa, Nadîkâçyapa, Çâriputra, Mahâmaudgalyâyana, Mahâkâtyâyana, Aniruddha, Kapphina, Gavâmpati, Revata, Pilindavasta, Bakkula, Mahâkausthila, Nanda, Sundarananda, Pûrnamaitrâyanîputra, Subhûti, Ananda, Râhula. C'étaient ainsi de grands Dignes d'offrande, bien connus des multitudes.

Il y avait encore deux mille disciples, apprentis et au-delà de l'étude; la moniale Mahâprajâpati, accompagnée de six mille de sa suite; la moniale Yaçodhana, mère de Râhula, accompagnée de sa suite; quatre-vingt mille êtres d'Éveil, grands êtres, dont aucun ne régresserait plus de l'Éveil complet et parfait sans supérieur, tous munis des formules détentrices et de l'éloquence rendant la prédication plaisante, ayant mis en branle la roue de la Loi et fait offrande à d'innombrables centaines de milliers d'Éveillés; ils avaient planté maintes racines de mérites auprès des Éveillés et fait l'objet des constants éloges de ceux-ci; ils avaient exercé leur personne à la compassion, habilement pénétré la sagesse d'Éveillé; ils avaient accédé à la grande sapience et étaient parvenus à l'autre rive. Leur renom se faisait entendre partout en d'innombrables mondes. Ils étaient en mesure de sauver d'innombrables centaines de milliers d'êtres. Ils avaient nom l'être d'Éveil Mañjuçrî, l'être d'Éveil Considérant les Voix du Monde (Avalokiteshvara), l'être d'Éveil Muni de Grande-Force, l'être d'Éveil Zèle-Constant, l'être d'Éveil Sans-Repos, l'être d'Éveil Joyau en Paume, l'être d'Éveil Roi des Remèdes, l'être d'Éveil Hardi-Donateur, l'être d'Éveil Lune de Joyaux, l'être d'Éveil Éclat-Lunaire, l'être d'Éveil Pleine-Lune, l'être d'Éveil Grande-Force, l'être d'Éveil Force Sans Mesure, l'être d'Éveil Au delà des Trois Mondes, l'être d'Éveil Vertueux-Gardien, l'être d'Éveil Maitreya, l'être d'Éveil Amas de Joyaux, l'être d'Éveil Précepteur-Dirigeant.

Tels étaient les êtres d'Éveil, les grands êtres, au nombre de quatre-vingt mille, qui l'accompagnaient.

Il y avait alors Indra, roi des dieux, avec sa suite de vingt mille fils de dieux. Il y avait aussi le fils de dieu Lune de Gloire, le fils de dieu Fragrance-Répandue, le fils de dieu Éclat de Joyaux, les quatre grands rois divins, accompagnés d'une suite de dix mille fils de dieux; le fils de dieu Souverain et le fils de dieu Grand-Souverain, accompagnés d'une suite de trente-mille fils de dieux; le roi divin Brahmâ, maître du monde d'endurance, le grand dieu brahmique Çikhin, le grand dieu brahmique Éclat-Lumineux, et d'autres, accompagnés d'une suite de douze mille fils de dieux.

Il y avait les huit rois dragons : le roi dragon Nanda, le roi dragon Upananda, le roi dragon Sâgara, le roi dragon Vâsuki, le roi dragon Takshaka, le roi dragon Anavatapta le roi dragon Manasvin, le roi dragon Utpalaka, chacun avec une suite de plusieurs centaines de milliers.

Il y avait les quatre rois chimères : le roi chimère Loi, le roi chimère Loi-Sublime, le roi chimère Grande-Loi, le roi chimère Mainteneur de la Loi, chacun avec une suite de plusieurs centaines de milliers.

Il y avait les quatre rois centaures : le roi centaure Musique, le roi centaure Son-Musical, le centaure Beauté, le roi centaure Son de Beauté, chacun avec une suite de plusieurs centaines de milliers.

Il y avait les quatre rois titans : le roi titan Bâlin, le roi titan Kharaskandha, le roi titan Vemacitrin, le roi titan Râhu, chacun avec une suite de plusieurs centaines de milliers.

Il y avait les quatre rois griffons : le roi griffon Grande-Dignité, le roi griffon Grand-Corps, le roi griffon Grande-Excellence, le roi griffon Conforme au Désir, chacun avec une suite de plusieurs centaines de milliers; le roi Ajâtaçatru, fils de Vaidehi, avec une suite de plusieurs centaines de milliers.

Chacun s'était prosterné aux pieds de l'Éveillé et s'était retiré d'un côté pour s'asseoir.

Alors le Vénéré du monde, après que les quatre groupes l'eurent entouré, lui eurent fait offrande et rendu hommage, l'eurent honoré et loué, exposa le livre canonique du Grand Véhicule appelé Les Sens innombrables, Loi enseignée aux êtres d'Éveil et gardée en mémoire par les Éveillés. Quand il eut exposé ce livre canonique, il s'assit les jambes repliées et croisées, puis entra dans le Recueillement de Demeure dans les sens innombrables, immobile en corps et en pensée. A ce moment, les dieux firent pleuvoir des fleurs d'arbre-corail et de grands arbre-corail, de manjûsaka et de mahâmañjûsaka qui se dispersèrent sur l'Éveillé et les quatre congrégations. L'ensemble du monde d'Éveillé trembla de six façons. Alors les moines et nonnes, les pieux laïcs et les laïques pieuses, les dieux, les dragons, les silènes, les centaures, les titans, les griffons, les chimères, les pythons, les humains et non-humains, de même que les rois mineurs et les saints rois de l'orbe, tous ces groupes présents à l'assemblée furent saisis de ce prodige sans précédent; remplis de joie, ils firent révérence, les paumes jointes, et contemplèrent l'Éveillé d'un seul coeur.

Alors l'Éveillé émit de la marque de sa touffe blanche entre les sourcils une lumière qui illumina dix-huit mille mondes en direction de l'orient, sans nul lieu où elle ne se diffusât, en bas jusqu'à l'enfer Sans-Intervalle, en haut jusqu'au Ciel des Dieux-Parfaits. En ce monde-ci, on vit complètement les êtres des six destinées de cette terre, on vit les Éveillés du présent en cette terre et on entendit aussi l'enseignement par eux prêché; de même que l'on y vit les moines et les nonnes, les pieux laïcs et les laïques pieuses accéder par les pratiques à la Voie. On vit les êtres d'Éveil, les grands êtres, pratiquer la voie d'être d'Éveil en une variété de causes et conditions, en une variété de foi et de compréhension, en une variété d'aspects. On vit aussi les Éveillés en Extinction suprême et encore, après leur Extinction suprême, l'érection des pagodes faites des sept matières précieuses avec leurs reliques.

Alors l'être d'Éveil Maitreya eut cette pensée : voici qu'à présent le Vénéré du Monde manifeste des prodiges caractéristiques; pour quelles raisons ces auspices ont-ils lieu ? Or l'Éveillé, Vénéré du Monde, est maintenant plongé en recueillement; qui convient-il d'interroger sur cet événement inconcevable, cette rare manifestation ? Qui sera capable de répondre ?

Il pensa encore : Mañjuçrî, que voilà, fils du roi de la Loi, a approché et honoré d'innombrables Éveillés du passé. Il a forcément vu ces signes rares; il me convient maintenant de l'interroger.

Alors les moines et nonnes, les laïcs pieux et les pieuses laïques, ainsi que les dieux, les dragons, les démons et les génies eurent tous cette pensée : de cet éclat lumineux de l'Éveillé, de ces signes merveilleux, auprès de qui convient-il à présent de s'enquérir ?

Alors l'être d'Éveil Maitreya, désireux de résoudre par lui-même ses doutes, discernant en outre les pensées de l'assemblée, des quatre groupes de moines et nonnes, de laïcs pieux et pieuses laïques, ainsi que des dieux, dragons, démons et génies, interrogea Mañjuçrî en ces termes : « Pour quelles raisons ces auspices, ces signes de pouvoirs miraculeux ont-ils lieu, et cette émission d'éclat lumineux qui éclaire dix-huit mille terres de l'orient, révélant en détail l'ornementation de leurs royaumes d'Éveillé ? »

Là-dessus, l'être d'Éveil Maitreya, voulant réitérer cette idée, s'exprima en stances :

Mañjuçrî,  
pourquoi le maître, l'instructeur,
de la touffe blanche entre ses sourcils,
éclaire-t-il l'univers d'une grande lumière ?
Il fait pleuvoir des fleurs d'arbre-corail
et de mañjûsaka;
une brise parfumée de santal
réjouit le coeur de la foule.
En vertu de ces circonstances,
la terre est tout ornée et purifiée
et ce monde
a tremblé de six façons.
Les quatre congrégations alors
sont toutes remplies de joie,
jubilant en corps et en esprit;
elles sont saisies d'un état sans précédent.
L'éclat lumineux d'entre ses sourcils
éclaire vers l'orient
dix-huit mille terres,
toutes comme d'une couleur dorée;
de l'enfer Sans-Intervalle
jusqu'au Faîte de l'Etre,
dans les divers mondes,
les destinées où les êtres des six voies
sont portées par le cycle des existences,
les liens de leurs actes en bien et en mal,
les rétributions bonnes et mauvaises qu'ils reçoivent,
tout s'y voit en détail.
Et l'on aperçoit aussi les Éveillés,
les saints maîtres, les lions
exposer les livres canoniques
sublimes et primordiaux;
leur voix est pure,
elle résonne, mélodieuse,
pour enseigner les êtres d'Éveil
en incalculables myriades;
la voix brahmique, profonde et sublime,
est plaisante à entendre pour les humains.
Chacun en son monde
expose la Loi correcte
en une variété de relations,
par d'innombrables paraboles;
ils élucident la Loi d'Éveillé,
la révèlent et la font comprendre aux êtres.
Si des hommes, confrontés à la douleur,
prennent en dégoût vieillesse, maladie, mort,
ils leur prêchent l'Extinction
qui mènera les douleurs à leur terme;
si d'autres ont les bénédictions
venant d'offrandes à un Éveillé
et aspirent à une Loi supérieure,
ils leur prêchent l'Éveil par les liens causaux;
s'il est des fils d'Éveillé
qui s'exercent aux diverses pratiques
et aspirent à l'ultime sagesse,
pour eux ils prêchent la voie de pureté.
Voilà, Mañjuçri,
ce qu'en demeurant ici
je vois et j'entends,
et des myriades de choses encore.
Si nombreuses qu'elles soient,
il m'incombe pourtant de brièvement les dire.
Je vois en cette terre
autant d'êtres d'Éveil que les sables du Gange,
en des circonstances variées,
rechercher la voie d'Éveillé.
Certains pratiquent le don d'objets précieux
- or, argent, corail,
perles, joyaux,
nacre et agate,
diamants -,
d'esclaves et de chars,
de palanquins richement ornés ;
ils font ces dons dans l'allégresse
pour les reconvertir à la voie d'Éveillé,
dans leur souhait d'accéder à ce véhicule
suprême dans les trois mondes,
exalté par les Éveillés.
D'autres êtres d'Éveil
font don de quadriges précieux,
avec appuie-mains, dais splendides
en ornements.
Je vois encore des êtres d'Éveil 
faire don de leur corps, de leur chair, de leurs membres
et même de leurs femme et enfants
dans leur quête de la Voie insurpassable;  
et je vois des êtres d'Éveil
se départir sans regret
de leur tête, de leurs yeux, de leur corps,
en quête de la sagesse d'Éveillé.
Mañjuçrî,
je vois des rois
se rendre auprès de l'Éveillé
pour s'enquérir de la Voie insurpassable
et renoncer à parcs et jardins,
palais, concubines, courtisans,
pour se raser barbe et cheveux
et revêtir l'habit de Loi.
Je vois encore des êtres d'Éveil
se faire moines mendiants,
demeurer solitaires dans des lieux à l'écart,
se plaire à la récitation des textes.
Je vois encore des êtres d'Éveil
qui, dans un zèle farouche,
pénètrent au profond des montagnes
pour réfléchir à la voie d'Éveillé.
J'en vois encore se dégager du désir
et faire des solitudes leur constante demeure,
s'exercer profondément à méditation et concentration
pour obtenir les cinq pouvoirs miraculeux.
Je vois encore des êtres d'Éveil
s'installer en méditation, paumes jointes,
et, en dizaines de millions de stances,
faire l'éloge des rois de la Loi.
Je vois encore des êtres d'Éveil
de profonde sagesse, de ferme volonté,
capables d'interroger les Éveillés,
retenir en détail ce qu'ils entendent;
je vois de même des fils d'Éveillé,
munis de sagesse et concentration,
qui, à l'aide d'innombrables paraboles,
exposent la Loi à la multitude;
ils se plaisent à prêcher la Loi
et convertissent les êtres d'Éveil;
ils défont les hordes du Malin
et battent le tambour de la Loi.
Je vois encore des êtres d'Éveil,
plongés dans un silence paisible;
dieux et dragons leur rendent hommage
et ils n'en retirent nulle joie.
Je vois encore des êtres d'Éveil,
demeurant dans les forêts,
émettre une lumière
qui va sauver des souffrances les êtres infernaux
et les fait entrer dans la voie d'Éveillé.
Je vois encore des fils d'Éveillé
qui n'ont jamais connu le sommeil
et déambulent dans la forêt
en quête assidue de la voie d'Éveillé.
J'en vois encore, en possession de la moralité,
d'une dignité sans défaut,
purs comme des perles précieuses,
rechercher ainsi la voie d'Éveillé.
Je vois encore des fils d'Éveillé
demeurer dans la force de leur patience :
les outrecuidants
les insultent et les battent,
mais ils peuvent endurer tout cela
dans leur quête de la voie d'Éveillé.
Je vois encore des êtres d'Éveil
se séparer des jeux et des ris,
ainsi que de la compagnie des sots,
fréquenter les sages,
de tout coeur rejeter le tumulte
et se recueillir dans montagnes et forêts
pendant des myriades et dizaines de millions d'années
afin de rechercher la voie d'Éveillé.
Ou bien je vois des êtres d'Éveil
faire don à l'Éveillé et à la communauté
de mets et boissons délicats,
de cent sortes de simples en décoctions;
d'habits fameux, de vêtements supérieurs
valant des mille et des dix mille,
ou de vêtements sans prix
ils font don à l'Éveillé et à la communauté.
De dizaines de millions de myriades de sortes
de précieuses résidences de santal,
de merveilleuse literie en abondance,
ils font don à l'Éveillé et à la communauté;
de purs jardins et bosquets
où foisonnent fleurs et fruits,
avec leurs fontaines et bassins,
ils font don à l'Éveillé et à la communauté.
De tels dons,
en leur merveilleuse variété,
il les font dans la joie et sans dégoût,
en quête de l'insurpassable Voie.
Il y a aussi des êtres d'Éveil
qui prêchent la voie de la Disparition en apaisement;
par leurs enseignements variés, ils guident
d'innombrables êtres.
Je vois aussi des êtres d'Éveil
contempler, dans la nature des entités,
l'absence de caractère duel,
à l'instar de l'espace.
Je vois encore des fils d'Éveillé
dont la pensée est sans attache;
à l'aide de leur sagesse sublime,
ils recherchent la Voie insurpassable.
Mañjuçri,
il y a encore des êtres d'Éveil       
qui, après la Disparition d'un Éveillé,
font offrandes à ses reliques.
Je vois encore des fils d'Éveillé
bâtir pagodes et temples,
aussi innombrables que les sables du Gange
pour en orner les pays;
des pagodes précieuses d'une hauteur merveilleuse
de cinq mille parasanges,
de longueur et largeur égales
de deux mille parasanges;
chacune de ces pagodes
a mille bannières,
des tentures ajourées de perles,
de précieuses cloches à l'harmonieuse résonance;
les dieux, les dragons, les génies,
les humains et non-humains,
de parfums et fleurs, de danses et musiques,
leur font constante offrande.
Mañjuçrî,
les fils de l'Éveillé
ont orné et décoré les pagodes       
pour faire offrande aux reliques,
le pays s'en est trouvé spontanément
embelli de singulière façon,
comme le roi des arbres divins       
voit ses fleurs s'épanouir.       
L'Éveillé émet un seul rayon lumineux       
et, avec toute l'assemblée,       
je vois ce pays       
et la variété de ses merveilles;       
les pouvoirs miraculeux des Éveillés       
et leur sagesse sont choses rares :       
par l'émission d'un seul et pur éclat       
sont illuminées d'innombrables contrées;       
nous les voyons,       
saisis de ce fait sans précédent.       
Mañjuçrî, fils de l'Éveillé,       
je souhaite que tu résolves la foule des doutes;       
les quatre congrégations, joyeusement attentives,       
ont le regard fixé sur toi et moi.       
Pourquoi le Vénéré du Monde émet-il cet éclat lumineux ?       
Fils d'Éveillé, en répondant à temps,       
tu résoudras les doutes et susciteras la liesse.       
Pour quels fertiles bienfaits       
déploie-t-il cet éclat lumineux ?       
La Loi sublime à laquelle accéda l'Éveillé,       
assis au Lieu de la Voie,       
doit-on penser qu'il va l'exposer ?       
Doit-on penser qu'il conférera l'annonciation ?       
Manifester dans leur pureté ornée de gemmes       
les terres d'Éveillés,       
de même que voir les Éveillés,       
cela n'est pas une affinité mineure.       
Sache, Mañjuçrî,       
que les quatre congrégations, les dragons et génies       
ont le regard fixé sur toi;       
que vas-tu leur dédarer ?

Alors Mañjuçrî s'adressa à l'être d'Éveil, au grand être Maitreya, ainsi qu'aux grands seigneurs :
Fils de bien, selon mon jugement, l'Éveillé Vénéré du Monde va à présent prêcher sa grande Loi, il va faire pleuvoir la pluie de la grande Loi, il va souffler la conque de la grande Loi, il va faire retentir le tambour de la grande Loi, il va exposer le sens de la grande Loi.

Ô fils de bien, j'ai déjà vu auprès des Éveillés du passé ces signes auspicieux : après avoir émis une telle lumière, ils prêchaient la grande Loi. Sachez que si l'Éveillé a maintenant fait apparaître cette lumière, c'est qu'il en est de même : il va faire entendre et connaître à tous les êtres une Loi incroyable pour l'ensemble des mondes. C'est pour cela qu'il a fait apparaître ces signes auspicieux.

Ô fils de bien, de la même façon, il y a de cela d'innombrables, d'infinies, d'inconcevables quantités incalculables d'éons dans le passé, était alors un Éveillé appelé l'Ainsi-Venu Luminaire de Soleil et de Lune, Digne d'offrande, au savoir correct et universel, muni de science et de pratique, bien parti, comprenant le monde, seigneur suprême, dompteur, précepteur des dieux et des hommes, Éveillé, Vénéré du Monde, qui exposa la Loi correcte, bonne en son début, bonne en son milieu, bonne en sa fin, profonde et lointaine de sens, subtile et sublime d'énoncé, pure, une et sans mélange, complète en sa candeur, marquée de la pratique brahmique.

Pour ceux qui recherchaient l'état d'auditeur, il prêchait la Loi adaptée selon les quatre vérités, qui sauve de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort, qui mène à parachever l'Extinction.

Pour ceux qui recherchaient l'état d'Éveillé pour soi, il prêchait la Loi adaptée selon les douze liens causaux.
Pour les êtres d'Éveil, il prêchait celle adaptée selon les six perfections, leur permettant d'accéder à l'Éveil complet et parfait sans supérieur et de réaliser la science de tous les aspects.

Il y eut ensuite un Éveillé qui avait nom Luminaire de Soleil et de Lune. Puis il y eut encore un Éveillé qui avait aussi nom Luminaire de Soleil et de Lune, et ainsi vingt mille Éveillés, tous du même nom personnel Luminaire de Soleil et de Lune et, en plus, du même nom clanique Bharadvâja. Sache donc, Maitreya, que du premier Éveillé au dernier Éveillé, ils avaient tous le même nom personnel, à savoir Luminaire de Soleil et de Lune, qu'ils étaient en pleine possession des dix appellations et que la Loi qu'ils prêchaient était bonne en son début, en son milieu et en sa fin.

Alors que le dernier de ces Éveillés n'avait pas encore quitté la famille, il avait eu huit enfants, des princes : le premier avait nom Muni-d'Intention, le second Bonne-Intention, le troisième Intention-Incommensurable, le quatrième Intention-Précieuse, le cinquième Intention-Auguste, le sixième Intention-Indubitable, le septième Intention-Résonante, le huitième Intention de Loi.

Ces huit princes, en leur souveraine majesté, gouvernaient chacun un monde de quatre continents. Quand les princes entendirent que leur père avait quitté la famille et obtenu l'Éveil complet et parfait sans supérieur, ils renoncèrent tous au trône et, à sa suite, quittèrent la famille; ils déployèrent l'intention du Grand Véhicule, pratiquèrent constamment la conduite brahmique et devinrent tous des maîtres de Loi, plantant des racines de bien auprès de milliers de millions d'Éveillés.

En ce temps-là, l'Éveillé Luminaire de Soleil et de Lune exposa le livre canonique du Grand Véhicule intitulé Les Sens innombrables, Loi enseignée aux êtres d'Éveil et gardée en mémoire par les Éveillés. L'ayant exposé, il s'assit au sein de la multitude, les jambes repliées et croisées, et entra dans le Recueillement de Demeure dans les Sens innombrables, immobile de corps et d'esprit. Les dieux firent alors pleuvoir des fleurs d'arbre-corail et de grands arbres-corail, de mañjushaka et de mahâmânjushaka qui se dispersèrent sur l'Éveillé et la multitude; partout dans le monde d'Éveillé, la terre trembla de six façons. Alors, dans l'assemblée, toutes les vastes multitudes de moines et de nonnes, de pieux laïcs et laiques pieuses, de dieux, de dragons, de silènes, centaures, titans, griffons, chimères, pythons, humains et non-humains, de même que les rois mineurs et les saints rois de l'orbe furent tous saisis de ce fait sans précédent; dans l'allégresse, les paumes jointes, ils contemplèrent l'Éveillé d'un seul coeur.

Alors l'Ainsi-Venu émit de la touffe blanche caractéristique entre ses sourcils une lumière qui éclaira à l'est dix-huit mille terres d'Éveillé, sans nul endroit où elle ne se répandit, comme les terres d'Éveillé que nous voyons maintenant.

Sache, Maitreya, qu'il y avait alors dans l'assemblée vingt myriades d'êtres d'Éveil qui désiraient entendre la Loi; ces êtres d'Éveil, à la vue de la clarté qui illuminait l'ensemble des terres d'Éveillé, furent saisis de ce fait sans précédent et voulurent connaître les raisons qui avaient produit cette lumière.

Il était en ce temps-là un être d'Éveil du nom de Lumière-Sublime qui avait huit cents disciples; l'Éveillé Luminaire de Soleil et de Lune émergea alors de son recueillement et, à cause de l'être d'Éveil Lumière-Sublime, il exposa le livre du Grand Véhicule intitulé La Fleur du lotus de la Loi sublime, Loi enseignée aux êtres d'Éveil et gardée en mémoire par les Éveillés. Durant soixante éons mineurs, il ne quitta pas son siège, et ceux qui étaient alors dans l'assemblée à l'écouter restèrent assis au même endroit pendant soixante éons mineurs, immobiles en corps et en esprit. Pour eux, écouter la prédication de l'Éveillé n'avait duré, eût-on dit, que l'espace d'un repas, et pendant tout ce temps, dans l'assemblée, pas un homme, que ce fût en corps ou en pensée, ne conçut lassitude ou torpeur. L'Éveillé Luminaire de Soleil et de Lune, ayant exposé ce texte canonique en soixante éons mineurs, fit alors à Brahmâ et au Malin, aux religieux et aux brahmanes, ainsi qu'aux hommes, aux dieux et aux titans, cette déclaration : « Aujourd'hui, au milieu de la nuit, l'Ainsi-Venu entrera dans l'Extinction sans reste ».

Il y avait alors un être d'Éveil du nom de Réceptacle de Mérites; l'Éveillé Luminaire de Soleil et de Lune lui conféra alors l'annonciation et déclara aux moines : « Cet être d'Éveil Réceptacle de Mérites deviendra par la suite Éveillé sous le nom d'Ainsi-Venu Corps Pur, Méritant, Complet et Parfait Éveillé. » Ayant conféré l'annonciation, il entra au milieu de la nuit dans l'Extinction sans reste.

Après le passage de l'Éveillé dans l'Extinction, l'être d'Éveil Lumière-Sublime garda le Livre de la Fleur du lotus de la Loi sublime et remplit quatre-vingts éons mineurs à l'exposer aux hommes.

Les huit fils de l'Éveillé Luminaire de Soleil et de Lune eurent tous Lumière-Sublime pour maître; celui-ci, de par son enseignement salvateur, affermit et consolida chez eux l'Éveil complet et parfait sans supérieur. Ces princes, ayant fait offrande à d'incalculables centaines de milliers, de dizaines de milliers, de myriades d'Éveillés, réalisèrent tous la voie d'Éveillé. Le dernier à la réaliser avait nom Brûle-Lampe.

Parmi ses huit cents disciples, il s'en trouvait un, du nom de Cherche-Gloire, qui était avide de gain; bien qu'il récitât encore et encore les livres canoniques, il ne les pénétrait pas avec acuité et nombreux étaient les passages qu'il oubliait, ce pour quoi il était surnommé Cherche-Gloire. Or, les circonstances ayant fait qu'il avait planté des racines de bien variées, il obtint de rencontrer d'innombrables centaines, milliers, dizaines de milliers, myriades d'Éveillés, à qui il fit offrande et rendit hommage, prodigua vénération et louange. Sache, Maitreya, que l'être d'Éveil Lumière-Sublime de ce temps-là - qui d'autre eût-il été ? -, c'était moi-même. L'être d'Éveil Cherche-Gloire, c'était toi en personne.

Ces signes auspicieux que nous voyons à présent ne sont en rien différents d'autrefois; c'est pourquoi je juge que l'Ainsi-Venu va aujourd'hui prêcher le texte canonique du Grand Véhicule intitulé La Fleur du Lotus de la Loi sublime, Loi enseignée aux êtres d'Éveil et gardée en mémoire par les Éveillés.

Alors Mañjuçrî, au sein de la vaste multitude, voulant réitérer cette idée, s'exprima en stances :

J'ai souvenir qu'en un âge passé,       
il y a de cela d'innombrables éons,       
était un Éveillé, vénéré parmi les hommes,       
qui avait nom Luminaire de Soleil et de Lune.       
Le Vénéré du Monde exposa la Loi       
et sauva des êtres innombrables,       
d'incalculables myriades d'êtres d'Éveil,       
qu'il fit pénétrer dans la sagesse d'Éveillé.       
Alors que cet Éveillé résidait encore dans sa famille,       
il lui était né huit princes;       
ayant vu le grand saint quitter la famille,       
ils pratiquèrent à sa suite la conduite brahmique.       
L'Éveillé prêcha alors le livre du Grand Véhicule       
appelé Les Sens innombrables       
au sein de la multitude       
et leur en détailla les distinctions.       
Ayant prêché ce texte, l'Éveillé       
s'assit sur le trône de Loi;       
jambes repliées, dans le recueillement       
dit Demeure dans les sens innombrables.       
Les dieux firent pleuvoir des fleurs d'arbre-corail,       
les tambours divins résonnèrent spontanément;       
dieux, dragons, démons, génies       
firent offrande au Vénéré parmi les hommes.       
L'ensemble des terres d'Éveillé       
tremblèrent alors grandement.       
L'Éveillé émit d'entre ses sourcils une lumière       
qui fit apparaître des choses rarissimes.       
Cette lumière éclaira vers l'orient       
dix-huit mille terres d'Éveillé;       
elle montra à l'ensemble des êtres       
les lieux de rétribution de l'Acte dans le cycle des existences.       
Il en était qui virent les terres d'Éveillé,       
ornées d'une multitude de joyaux,       
aux couleurs de béryl et de cristal,       
cela grâce à la lumière de l'Éveillé qui les illuminait.       
Ils virent aussi les dieux et les hommes,       
la foule des dragons, des génies, des silènes,       
les centaures et les chimères       
faire chacun offrande à cet Éveillé.       
On vit encore les Ainsi-Venus       
réaliser spontanément la voie d'Éveillé,       
le corps comme une montagne d'or,       
majestueux, sublimes ô combien,       
telles, dans un pur béryl,       
apparaîtraient des statues d'or inaltéré.       
Le Vénéré du Monde, en cette grande foule,       
développait les sens de la profonde Loi;       
en chacune des terres d'Éveillé,       
les foules sans nombre d'auditeurs,       
de par la lumière d'Éveillé qui les éclairait,       
se voyaient tout entières en leur grande multitude.       
Il y avait aussi des moines       
qui, par montagnes et forêts,       
maintenaient avec zèle la pure moralité,       
de même que l'on garde une perle lumineuse.       
On voyait encore des êtres d'Éveil       
pratiquer don, patience et autres;       
leur nombre égalait les sables du Gange,       
éclairés qu'ils étaient par la lumière de l'ÉveIllé.       
On voyait encore des êtres d'Éveil       
plongés en de profondes concentrations,       
calmes et immobiles de corps et de pensée,       
à la recherche de la Voie insurpassable.       
On voyait encore des êtres d'Éveil       
connaître les entités en leur aspect de Disparition apaisée       
et, chacun en son royaume,       
prêcher la Loi et rechercher la voie d'Éveillé.       
À ce moment, les quatre congrégations,       
à la vue de l'Éveillé Luminaire de Soleil et de Lune       
déployant la grande force de ses pouvoirs miraculeux,       
eurent toutes le coeur en liesse       
et se demandèrent les unes les autres       
quelles étaient les raisons de cet événement.       
Le Vénéré des dieux et des hommes       
émergea juste alors de son recueillement       
et fit l'éloge de l'être d'Éveil Lumière-Sublime :       
Tu es l'oeil du monde,       
celui chez qui tous prennent avec foi refuge,       
capable de maintenir le réceptacle de la Loi;       
cette Loi, telle que je la prêche,       
toi seul peux l'attester.       
Le Vénéré du Monde, par ces louanges,       
mit Lumière-Sublime en liesse;       
Sa prédication du Livre du lotus de la Loi       
remplit soixante éons mineurs       
sans qu'il se levât de son siège.       
La Loi éminente et sublime qu'il exposa,       
Lumière-Sublime, ce maître de Loi,       
put l'accepter et la garder toute.       
L'Éveillé, par la prédication du Lotus de la Loi,       
ayant mis la foule des êtres en liesse,       
aussitôt après, ce même jour,       
il annonça à la multitude des hommes et des dieux :       
Ce que veut dire l'aspect réel des entités,       
je vous l'ai désormais exposé;       
aujourd'hui, à l'heure de minuit,       
j'entrerai dans l'Extinction.       
Vous, exercez de tout coeur votre zèle,       
il faut vous départir de tout relâchement.       
Fort difficiles à rencontrer sont les Éveillés,       
en une myriade d'éons, on n'en rencontre qu'une fois.       
Les fils du Vénéré du Monde,       
entendant que l'Éveillé entrait dans l'Extinction,       
conçurent, chacun pour soi, tristesse et chagrin :       
Pourquoi l'Éveillé disparaît-il donc si rapidement ?       
Le roi de la sainte Loi suprême       
consola l'innombrable multitude :       
Lors de mon passage en Disparition,       
que nul d'entre vous ne s'afflige.       
L'être d'Éveil Réceptacle de Mérites, ici présent,       
a eu accès en pensée à la compréhension       
de l'Aspect réel sans infections.       
Il deviendra par la suite Éveillé,       
aura nom Corps de Pureté       
et sauvera lui aussi des êtres innombrables.       
L'Éveillé, cette nuit-là, passa en Disparition,       
comme s'éteint le feu à l'épuisement du bois à brûler.       
On se répartit ses reliques       
et on édifia d'innombrables pagodes.       
Les moines et les nonnes,       
nombreux comme les sables du Gange,       
redoublèrent dans leur zèle       
à la recherche de la Voie insurpassable.       
Lumière-Sublime, ce maître de Loi,       
détenteur du réceptacle de la Loi d'Éveillé,       
au cours de quatre-vingts éons mineurs,       
propagea largement le Livre du lotus de la Loi.       
Ces huit princes       
furent convertis par Lumière-Sublime;       
adhérant fermement à l'insurpassable Voie,       
ils étaient appelés à voir des Éveillés sans nombre       
et, ayant fait offrande aux Éveillés,       
ils pratiquèrent à leur suite la grande Voie;       
ils se succédèrent dans la réalisation de l'état d'Éveillé       
et se conférèrent tour à tour l'annonciation.       
Le tout dernier, dieu parmi les dieux,       
fut appelé l'Éveillé Brûle-Lampe,       
instructeur des immortels;       
il mena à la délivrance d'innombrables êtres.       
Lumière-Sublime, ce maître de Loi,       
avait alors un disciple       
à l'esprit toujours paresseux et indolent;       
avide de lucre et de renom,       
qu'il recherchait sans se lasser.       
Il fréquentait la maison des grands,       
rejetant ce qu'il avait appris et récité,       
l'oubliant, ne le comprenant plus avec acuité.       
C'est pour ces raisons       
qu'on l'avait surnommé Cherche-Gloire.       
Il pratiquait aussi nombre d'actes de bien       
et obtint de voir d'innombrables Éveillés.       
Il fit offrande aux Éveillés       
et pratiqua à leur suite la grande Voie.       
Muni des six perfections,       
il voit à présent le lion des Çâkya       
et deviendra par la suite Éveillé       
sous le nom de Maitreya;       
il sauvera largement les êtres       
en nombre illimité.       
Celui qui, après la Disparition de l'Éveillé d'alors,       
était paresseux et indolent, c'était toi.       
Lumière-Sublime, ce maître de Loi,       
c'est à présent moi-même.       
Lorsque je vis l'Éveillé Brûle-Lampe,       
les signes auspicieux furent alors les mêmes;       
c'est ainsi que je sais qu'à présent l'Éveillé       
va prêcher le Livre du lotus de la Loi.       
Les signes d'aujourd'hui, comme les auspices d'alors,       
sont des expédients salvifiques des Éveillés.       
Maintenant, l'Éveillé émet une lumière éclatante       
qui aide à développer ce que veut dire l'Aspect réel.       
Que les hommes en prennent à présent connaissance,
qu'ils attendent de tout coeur, les paumes jointes !
L'Éveillé fera pleuvoir la pluie de la Moi
et comblera ceux qui recherchent la Voie ;
si, de ceux qui recherchent les trois véhicules,
certains ont des doutes ou des regretes,
l'Éveillé, certes, les leurs ôtera,
il les dissipera sans qu'il en reste rien.

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