Compte rendu du 22 novembre 2020

Gosho 16 - par Béatrice

« Demain, je dois partir pour la province de Sado. Dans le froid, ce soir, je pense aux conditions qui doivent être les vôtres en prison et je partage votre souffrance. » ( Lettre au moine Nichiro , 1271)

N’ayant pas su prendre la parole ou l’ayant laissée à d’autres, je souhaiterais partager maintenant mes réflexions suite à l’échange qui s’est déroulé ce matin, en revenant sur cette phrase sur laquelle s’interrogeait Matt. Cet extrait est en effet plus particulièrement présent dans mon quotidien depuis environ 4 ans en raison de mon fils, âgé aujourd’hui de 34 ans.

Je n’avais pas froid à l’époque, bien au chaud chez nous, mais son père et moi savions que lui devait être glacé, peut-être même mort, en raison de la rigueur de l’hiver et des conditions d’hébergement qu’il avait délibérément choisies pour éviter des frais de loyer plus importants.

Malgré son manque d’argent et l’absence d’un travail sûr et régulier, il commettait à nos yeux erreur sur erreur : excepté ses conditions de vie dramatiques puisqu’il habitait à l’époque dans un local à vocation industrielle sans eau ni chauffage, il avait par exemple acheté une voiture d’occasion qui nécessitait des frais, tout en n’ayant pas encore son permis de conduire : impossible donc de rentabiliser cet engin. Il avait également acheté au rabais un énorme container en métal qu’il retapait sur son lieu de vie, ce qui représentait un travail titanesque et empoussiérait tout son espace. Il acceptait également des travaux saisonniers qui lui permettaient de travailler dans le domaine qu’il aimait – ce que nous comprenions, mais nous paraissait le comble du mauvais choix du fait que pour ce faire, il négligeait volontairement des propositions plus sûres sur le long terme et plus lucratives. Il devait ainsi dans l’intervalle accepter des travaux en usine mal rémunérés pour subvenir à ses frais.

Ces erreurs l’ont peu à peu conduit à des problèmes de santé sévères puisque, suite aux quelques syncopes dont il fut victime, fut diagnostiquée en mars 2020 une insuffisance cardiaque, alors qu’au même moment sa petite amie décidait de rompre avec lui. Cette double déchirure le laissait perplexe, et nous aussi. S’il y avait bien longtemps que nous le sentions fragile, nous ne l’avions également jamais senti à ce point troublé, perdu, désespéré. A quoi cela sert-il et comment continuer de vivre si je dois mourir dans 5-10 ans, disait-il en sanglotant et se sentant victime d’une immense injustice.

Après le déni et la révolte vint l’apaisement : il prenait peu à peu conscience de sa réalité, recherchant des informations, posant des questions, pour mieux comprendre son affection et y faire face. Il exprimait le désir de méditer, et nous pratiquions de temps à autre ensemble lorsque je l’y invitais ou qu’il le demandait.

Premier bienfait, voire « résultat » : décision de quitter son logement insalubre et de répondre à notre proposition de s’installer chez nous, le temps de se refaire une santé physique et morale. Décision de sa part toute aussi radicale de changer d’alimentation et d’hygiène de vie : cigarettes et boissons alcoolisées mises au panier.

Deuxième : décision de changer d’activité professionnelle en renonçant aux tâches physiques et manuelles auxquelles il prenait plaisir et était habitué, pour se concentrer sur un travail plus sédentaire.

Troisième : après avoir trouvé un poste de ce type et s’être formé à ses nouvelles tâches, il a retrouvé peu à peu joie de vivre et confiance dans l’avenir, mais surtout commencé à changer d’attitude par rapport à l’existence. Quelle n’est en effet notre surprise lorsque nous l’entendons (involontairement) parler au téléphone à ses clients : lui qui avait toujours eu du mal à saluer ou remercier qui que ce soit, lui qui se comportait souvent comme s’il était seul sur Terre, niant ou refusant les règles, ne tenant pas compte de ses frère et sœur ni même parfois de la présence de sa petite amie, il doit maintenant grâce à ce travail prendre soin de ses interlocuteurs, leur accorder son attention.

C’est cependant le ton de sa voix qui nous émeut le plus : plus enjoué et doux, plus prévenant et aimable, il l’est également devenu avec ses proches - apaisé avec lui-même, ayant retrouvé comme le rappelait Bertrand une « unité ».

Pour en revenir à l’enseignement bouddhique dont nous cherchons tous à nous rapprocher en pratiquant, je dirais qu’au fur et à mesure que nous progressons dans cette tâche, nous trouvons l’attitude, les paroles, les gestes appropriés, et apprenons à mieux accueillir et « partager » la souffrance d’autrui, à la ressentir pour soulager celui qui la vit, celui qu’elle trouble, tout en apprenant à cultiver et élargir en nous notre cœur de bodhisattva. Voilà en tout cas cette compréhension sensible que l’histoire récente de notre fils nous a permis de développer.

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