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Parinibbāna de Bouddha

http://www.dhammadana.org/bouddha/parinibbana_bouddha.htm

http://www.dhammadana.org/bouddha/parinibbana/parinibbana_bouddha2.htm#ch17

par Le Moine Dhamma Sāmi, Date : Janv. 2004, Mise à jour : 14 juin 2005

 

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DICTIONNAIRE  

L’incitation de Māra pour disparaître

Peu de temps après le parinibbāna (extinction définitive des phénomènes physiques et mentaux) du Vénérable Mahā Moggalāna, alors que Bouddha demeurait à Rājāgaha, il se rendit à Vesālī, en longeant le Gange. En arrivant à Vesālī, il collecta, son repas devant les maisons, avant de le consommer. Ensuite, il se rendit à l’est de la ville, auprès du cetiya Cāpāla, accompagné de ses disciples. Il s’adressa au Vénérable Ānandā qui se tenait près de lui :

Voir la version de Soeur Vajira

« Ānandā ! Vesālī est un lieu excellent. Il est très sain et très agréable d’y vivre. Ce cetiya est également un bon endroit. Les arahant qui ont développé les quatre iddhipāda (les quatre moyens d’accomplissement que sont : la volonté, l’effort, la conscience et la sagesse) et les sept facteurs d’éveil (l’attention, l’investigation dans la réalité, l’effort, la joie, le calme, la concentration et l’équanimité), s’ils ont le souhait de vivre jusqu’à l’espérance de vie ou même plus, ce lieu s’avère très propice. Je fais partie de ces arahant qui ont développé les quatre iddhipāda et les sept facteurs d’éveil. Ainsi, si je demeurais ici, je pourrais atteindre l’espérance de vie (qui était de cent ans à cette époque), voire la dépasser. »

Bien que Bouddha répéta trois fois de suite ces propos, Le Vénérable Ānandā demeura parfaitement silencieux, au terme des trois fois consécutives. Ces paroles étaient destinées à recevoir de sa part une incitation à vivre longtemps, comme :

« Ô noble Bouddha ! Restez ici ! Vivez près de Vesālī, afin de bénéficier d’une existence aussi longue que l’espérance de vie ou même plus longue. Vous pourrez ainsi enseigner longuement le dhamma aux êtres encore si nombreux à errer dans l’univers ! »

Voir la version de Soeur Vajira

Malgré son silence, cette phrase fut cependant exactement celle qu’il voulait dire pour répondre au Bienheureux pour qui il avait tant d’amour et tant d’attachement. Néanmoins, le nuisible Māra, ne souhaitant que la disparition de Bouddha, l’en empêcha. Il réduisit sa main et l’introduisit dans la bouche du serviteur Ānandā jusqu’à pouvoir attraper ses cordes vocales qu’il serra entre ses doigts, lui interdisant ainsi toute parole. Ne voyant pas Māra, le moine demeura incapable de parler, sans comprendre ce qu’il lui arrivait. Constatant le silence de son disciple, Bouddha partit s’asseoir sous un arbre situé non loin du cetiya Cāpāla. Il envoya le Vénérable Ānandā lui chercher de l’eau pour étancher sa soif. Entre temps, Māra arriva vers le Bienheureux et lui pria de mettre un terme à sa vie :

« Gotama ! N’attendez plus ! Éteignez-vous tranquillement en parinibbāna ! Je vous avais déjà proposé cela, par le passé.

— Māra ! Je vous avais répondu que je n’entrerais pas en parinibbāna tant qu’il n’y aurait pas suffisamment d’arahant et d’êtres capables d’enseigner le dhamma dans ce monde.

— Aujourd’hui, il y a beaucoup d’arahant et d’êtres capables d’enseigner le dhamma. Les moniales sont, elles aussi, en mesure d’enseigner le dhamma, tout comme de nombreux laïcs. Vous pouvez donc tranquillement prendre votre repos. Éteignez-vous en parinibbāna !

— Ne vous inquiétez pas ! Je vais bientôt disparaître. Dans trois mois, je m’éteindrai en parinibbāna. »

L’annonce du jour du parinibbāna

Pour ménager sa santé, Bouddha avait l’habitude d’expérimenter de longs samāpatti en nibbāna ou dans les jhāna. Si elles sont fréquentes, ces absorptions ont la vertu d’assurer une vie longue. Désormais, il ne développerait plus ces choses. Comme il venait de fixer le moment de sa disparition en parinibbāna, la Terre se mit à trembler. Lorsque le Vénérable Ānandā sentit ce tremblement, les cordes vocales libérées, il vint demander à Bouddha :

« Pourquoi la Terre a-t-elle tremblé ?

— Il y a huit raisons pour lesquelles la Terre tremble.

  1. Quand l’eau terrestre est en mouvement. Sous la terre, il y a de l’eau. Sous l’eau, il y a de l’air. Quand l’air est en mouvement, l’eau se met en mouvement, quand l’eau est en mouvement, la terre se met en mouvement.
  2. Quand un être ayant de puissantes abhiñña fait trembler la Terre.
  3. Quand un bouddha (omniscient) parvient dans sa dernière vie, au moment de la conception.
  4. Quand un bouddha naît.
  5. Quand un bouddha parvient à l’éveil.
  6. Quand un bouddha délivre son premier enseignement.
  7. Quand un bouddha fixe le moment de son parinibbāna.
  8. Quand un bouddha s’éteint en parinibbāna. »

Le Vénérable Ānandā somma son maître de vivre plus longtemps :

« Ô noble Bouddha ! Restez en vie au moins jusqu’au terme de l’āyukappa. Ne disparaissez pas si vite !

— Ne me demandez plus cela ! Je vous ai donné trois fois de suite l’occasion de me le demander. Cela est de votre faute. Il est trop tard pour me suggérer de demeurer ici afin de prolonger ma vie jusqu’à l’āyukappa ou plus. Si vous m’aviez fait cette suggestion lors de chacune de ces trois occasions, j’aurais accepté. J’aurais refusé les deux premières fois, et finis par accepter la troisième fois. Si vous l’aviez suggéré seulement une ou deux fois, je n’aurai jamais accepté. Comme vous ne me l’avez pas suggéré une seule fois, à plus forte raison, je ne peux accepter. Quand un bouddha omniscient arrête sa durée de vie, il n’y revient plus. Allons à Vesālī, au monastère Mahāvana ! »

Remarque : Un bouddha a coutume de vivre une durée d’existence équivalente à près de la moitié de l’espérance de vie de son temps additionnée au tiers de cette espérance (soit environ 83 %). Bouddha Gotama, lui, vivrait jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans, ce qui correspond à quatre-vingts pour cent de l’espérance de vie de son temps.

Lorsqu’ils furent arrivés à Vesālī, le Bienheureux demanda à son fidèle serviteur attitré de réunir tous les moines demeurant dans les environs de la ville. Quand tous furent groupés, Bouddha s’adressa à tous :

« Ô moines ! J’ai achevé d’enseigner le vinaya, le suttanta et l’abhidhamma. Entraînez-vous diligemment au développement de ces dhamma ! Sans relâcher vos efforts, étudiez-les, pratiquez-les, et enseignez-les ! Aussi longtemps que vous ferez ainsi, le sāsana durera. D’ici trois mois, je vais m’éteindre en parinibbāna. »

En entendant ces paroles, les moines furent très peinés, tout comme les moines qui n’étaient pas présents, lorsqu’ils apprirent cette nouvelle à leur tour (en dehors des arahant et des anāgāmi, étant donné qu’ils ont mis un terme à la tristesse). Tous vinrent auprès du Bienheureux, afin de le servir encore, avant qu’il disparaisse à tout jamais, à l’exception d’un seul moine, le Vénérable Dhamma Rāma. Comme ce moine ne s’était pas rendu auprès de Bouddha, les autres le soupçonnèrent de n’être pas dévoué envers lui. Quand ils en informèrent le Bienheureux, celui-ci en connaissait la raison. Cependant, tout en gardant le silence, il le fit appeler pour qu’il s’expliquât lui-même auprès des autres membres du saṃgha. Lorsque le Vénérable Dhamma Rāma arriva, Bouddha l’enjoignit de prendre la parole pour expliquer son absence :

« Ô Vénérables ! Puisque notre noble Bouddha disparaîtra d’ici trois mois, j’ai pensé que la meilleure façon de l’honorer était de réaliser le stade d’arahant avant son parinibbāna.

— (Bouddha) sādhu ! sādhu ! sādhu ! (Excellent !) Celui qui respecte mon enseignement doit suivre l’exemple du Vénérable Dhamma Rāma. Ceux qui m’honorent le mieux sont ceux qui pratiquent mon enseignement ! »

Trois mois plus tard, Bouddha alla collecter son repas, accompagné du Vénérable Ānandā. Une fois le repas achevé, Bouddha et ses moines se mirent en route pour un long voyage à pied. En ce temps-là, le Vénérable Rāhulā (son fils) et la Vénérable Bhabbakañcanā (la mère de son fils, ex-princesse Yasodharā) étaient morts depuis longtemps déjà, et les deux aggasāvaka, les Vénérables Sāriputtarā et Mahā Moggalāna avaient récemment expirés en parinibbāna. Pour ce voyage, Bouddha était accompagné de son fidèle serviteur attitré, le Vénérable Ānandā, et de nombreux autres moines.

Tout au long du trajet, le Bienheureux délivra de nombreux sermons à ses disciples, dont beaucoup traitaient du comportement que devaient adopter les moines afin d’assurer une longue existence au saṃgha. Il leur rappela maintes fois de mettre constamment en pratique les enseignements qu’il leur avait donnés. L’un des sermons qu’il délivra invitait chacun à développer les sept facteurs d’éveil, un autre parlait des quatre façons de vérifier si un enseignement est de Bouddha ou pas, en les comparant avec le vinaya et le suttanta (ensemble des sermons de Bouddha et de ses principaux disciples). Il rappela aussi à plusieurs reprises le cœur de la pratique du dhamma : les 8 maggaṅga (les éléments incontournables de la voie qui mène à la libération), qui correspondent à sīla, samādhi et pañña (la vertu, la concentration et la sagesse), et qui une fois pleinement accomplis, mettent un terme définitif à toutes les souffrances.

Le dernier repas

Pendant leur périple, partis de Rājāgaha et après être passés par le village de Bhaṇḍu, le Bienheureux et ses disciples parvinrent dans la ville de Pāvā, où ils rencontrèrent le fils d’un joaillier sotāpana (être parvenu au premier stade de réalisation du dhamma) nommé Cunda, joaillier lui aussi, qui les convia à s’installer dans son jardin de manguiers avant de poursuivre leur voyage. Ce joaillier avait l’habitude de recevoir les moines de passage pour leur permettre de se reposer dans son jardin. Le joaillier Cunda invita Bouddha et le saṃgha pour le repas du lendemain. Il prépara plusieurs plats, dont de la viande de porc. Au moment de la cuisson, les deva insérèrent de la nourriture de deva avec le porc, à l’attention de Bouddha, sachant qu’il s’agissait de son dernier repas. Au moment de servir le repas au saṃgha, Bouddha interpella le joaillier :

« Cunda ! Ne donnez pas de viande de porc aux moines, contentez-vous de n’en donner qu’à moi ! Ne nourrissez personne avec les restes de ce plat ! Détruisez cette viande et jetez-la à la mer !

— Puis-je vous en demander la raison, noble Bouddha ?

— En dehors de moi, personne ne pourra digérer cette nourriture et risquerait d’en mourir (à l’exception d’un bouddha, la nourriture des deva ne convient pas du tout aux humains). »

Le dāyaka (donnateur) Cunda fit donc comme Bouddha lui recommanda. À la fin du repas, Bouddha enseigna le dhamma, et ensuite, tous retournèrent se reposer dans le jardin. Bouddha eut une forte diarrhée dans laquelle il perdit beaucoup de sang. Ce mal n’avait rien à voir avec la viande de porc qu’il consomma durant le repas. Cette viande lui fournit, au contraire, l’énergie nécessaire sans laquelle il n’aurait jamais pu poursuivre son voyage. S’il ne l’avait pas mangée, il aurait tout de même eu ses pertes de sang dans ses selles, mais aurait probablement expiré avant la fin de la journée.

Remarque : Bien que l’expression palie « sūkara maṃsa » signifie sans aucune ambiguïté « viande de porc » (sūkara = porc ; maṃsa = viande), les bouddhistes végétariens préfèrent habituellement le traduire par « champignon ». Par ailleurs, il existe de mauvaises traductions qui prétendent que Bouddha est mort à cause de cette nourriture soi-disant avariée, ce qui peut paraître grotesque de la part d’un riche dāyaka empli de vénération pour le saṃgha, et de la part de deva. Malheureusement, il semblerait que beaucoup s’appuient sur ce type de traductions (faute de trouver mieux, en général) pour exposer la vie de Bouddha.

La halte pour boire de l’eau du Gange

Une fois qu’il eut appelé le saṃgha auprès de lui, Bouddha poursuivit son voyage, péniblement à cause des douleurs qui le tiraillaient depuis quelques mois, et qui commençaient à se faire très vives. Le périple menait Bouddha et ses disciples vers la ville de Kusinārāma. Après avoir parcouru un long trajet, le Bienheureux ordonna une halte et, indiquant un arbre, il annonça :

« Je suis fatigué. Installez ma robe double sous cet arbre, je vais me reposer. »

Quand Bouddha s’était allongé, il demanda à son cousin Ananda d’aller lui chercher de l’eau à boire au Gange, car c’était la seule source d’eau des alentours. Comme le grand fleuve venait d’être traversé par un grand convoi de chars et de bêtes, l’eau troublée par la saleté fut tant remuée qu’elle était particulièrement impropre. Le Vénérable Ananda revint vers Bouddha, lui indiquant :

« Il est préférable que vous ne buviez pas l’eau du Gange, elle est vraiment très sale. Non loin d’ici coule la rivière Kakudā, où vous pourrez boire de l’eau meilleure.

— Cela ne fait rien, allez me chercher de l’eau au Gange ! »

Le Vénérable Ananda insista, mais Bouddha lui répéta trois fois d’aller lui chercher à boire au Gange, si bien qu’il s’empara du bol de son maître et se résigna d’aller lui chercher de l’eau dans le fleuve infâme. Au moment même où l’eau impure pénétra dans le bol, elle devint parfaitement claire, comme si l’ouverture du bol formait un filtre, au grand étonnement du Vénérable Ananda :

« Oh ! C’est extraordinaire ! C’est miraculeux ! Les pāramī de Bouddha sont vraiment exceptionnelles ! »

Heureux de ce phénomène prodigieux, il apporta à son noble maître cette eau pure avec laquelle il put se désaltérer. Un prince, nommé Pukkusa, disciple de l’ermite Āḷāra – qui fut le premier maître auprès duquel le renonçant Siddhattha adopta les instructions – s’approcha de Bouddha pour lui offrir deux jeux de robes. C’est alors que Bouddha lui conseilla :

« Ne m’en offrez qu’un jeu ! Offrez l’autre au Vénérable Ananda ! »

Cette nouvelle robe était sublime. Lorsqu’il la revêtit, le Bienheureux était d’une splendeur éclatante. Des lumières de six couleurs propres aux bouddhas omniscients rayonnaient autour de lui. Il appela son serviteur attitré :

« Ānandā ! Demain, j’entrerai en parinibbāna dans la ville de Kusinārāma, où règne le gouverneur Mallā. »

L’arrivée à Kusinārāma

Lorsqu’ils arrivèrent à la rivière Kakudā, Bouddha prit son dernier bain, avant de s’installer sous un manguier. Là, il appela de nouveau son noble disciple :

« Ānandā ! Le dāyaka Cunda sera certainement très troublé, il s’imaginera que mes pertes de sang et mon extinction en parinibbāna auront été provoquées par la viande de porc qu’il m’a servie. Faites-lui savoir que cela n’a rien à voir. Expliquez-lui bien ceci :

Les repas offerts à un bouddha le jour de son éveil (comme le fit la riche Sujātā) et le jour de son parinibbāna sont producteurs de beaucoup plus de kusala qu’un autre repas, ces offrandes sont particulièrement bénéfiques pour qui les octroie. La nourriture qui m’a été offerte lors de chacun de ces deux jours a été pour moi une source de haute énergie.

À présent, allons-y ! »

Quand Bouddha et ses moines parvinrent à Kusinārāma, ils pénétrèrent dans le parc du gouverneur Mallā. Alors que le Bienheureux aperçut un lit couvert d’or et orné de pierres précieuses, sur lequel avait l’habitude de se reposer le gouverneur Mallā, il demanda au Vénérable Ānandā de l’installer entre deux sals (shorea robusta), la tête au nord. Tout en installant le lit entre les deux arbres, le Vénérable Ānandā se mit à pleurer.

La raison principale qui incita Bouddha à venir jusque dans cette petite ville pour entrer en parinibbāna, malgré la gravité de sa maladie et sa grande fatigue, est un ascète qui était suffisamment mûr pour réaliser le dhamma. Il ne manquait à cet ermite, encore sous l’emprise des vues erronées, qu’un bref enseignement que Bouddha escomptait lui délivrer. Ensuite, le Vénérable Ānandā lui fit remarquer :

« Ô noble Bouddha ! Kusinārāma est une petite ville. En revanche, Sāvatthi est une grande ville. Là-bas vit un grand nombre de vos disciples et de vos dāyaka, ainsi que beaucoup de gens qui vous admirent avec une infinie vénération. Il en est de même pour les villes de Rājāgaha, Kosambī, Bārāṇasī, Kapilavatthu… Pourquoi n’iriez-vous pas dans l’un de ces lieux pour entrer en parinibbāna ?

— Ānandā ! Ne pensez pas que Kusinārāma est une ville sans importance ! Autrefois, il y a de nombreux kappa, alors que j’étais le roi du monde, ma capitale était ici même et s’appelait Kusavatī.

Le véritable hommage à Bouddha

À ce moment-là, Bouddha exposa le sutta Sudassanacakkavatti, qui explique la pratique que doivent suivre ceux qui se destinent à devenir roi du monde dans une prochaine existence. Ce sutta raconte aussi le parcours suivi par Bouddha lui-même lorsque, autrefois, il était roi du monde. Ensuite, il s’allongea sur le côté droit, alors que tous les saules du jardin se couvrirent de fleurs, laissant tomber une multitude de pétales, comme de la neige. Des fleurs s’ouvraient de partout, malgré la saison qui ne s’y prêtait pas. Aussi, les deva et les brahmas envoyèrent des fleurs géantes, qui tombèrent délicatement du ciel, avant d’aller joncher le sol du jardin, autour du Bienheureux qui venait de se coucher pour la dernière fois. Alors que tous rendaient un hommage resplendissant à Bouddha, à l’aide de fleurs d’une remarquable beauté, dont le parfum merveilleux envoûtait toute la ville, celui-ci expliqua à son noble serviteur Ānandā :

« Ānandā ! Ce que vous voyez là n’est pas encore le véritable hommage qui peut m’être fait. Il y a deux façons de me rendre hommage : la façon matérielle et la façon dhamma. Le véritable hommage que chacun peut me faire n’est pas de m’offrir de belles choses. Il est de s’efforcer noblement à la pratique du dhamma. Voilà le meilleur hommage qu’on peut me rendre ! »

Le mahāthera Upavāṇa éventait Bouddha. Pour qu’il se pousse sur le côté, Bouddha lui ordonna :

« Poussez-vous ! Ne restez pas devant moi !

— (Le Vénérable Ānandā) Ô noble Bouddha ! Avant que je ne sois votre serviteur attitré, le mahāthera Upavāṇa a parfois occupé cette tâche durant vos vingt premiers vassa. Il vous servait à manger et prenait bien soin de vous. Pourquoi aujourd’hui vous le rejetez de la sorte ?

— Ānandā ! Je n’ai rien contre le mahāthera Upavāṇa. Maintenant, des êtres viennent de tous les coins de l’univers afin de me voir une dernière fois et de me rendre hommage. Ce mahāthera a un corps imposant. Alors qu’il se tenait devant moi, il empêchait les autres de me voir. Si ces nombreuses personnes – moines et laïcs – et deva n’avaient pu me voir à cause du large dos du mahāthera Upavāṇa, ils l’auraient certainement critiqué, développant ainsi des akusala. Voilà pourquoi je l’ai chassé d’où il était. »

Ainsi, bien que plongé dans une grande tristesse, tout le monde eut la joie de rendre hommage au Bienheureux.

La question des moines face aux femmes

Le Vénérable Ānandā posa une question à Bouddha :

« Ô noble Bouddha ! Si une femme s’approche de nous (les moines), comment devons-nous nous comporter ?

— Ānandā ! Les moines sont tenus de rester dans leur vihāra. S’ils y restent, ils ne verront pas de femmes. Comme ils n’en verront pas, ils ne développeront pas les kilesā — propres au désir provoqué à la vue d’une femme. Demeurez donc là où vous ne pourrez pas voir de femmes.

— Lorsque nous allons collecter la nourriture au village, nous pouvons en voir. Comment faire dans ce cas ?

— Si vous croisez une femme, ne lui parlez pas ! Si vous parlez à une femme, vous risquerez de développer des affinités avec elle, et de ce fait, de l’attachement pourrait apparaître. Cela endommagerait votre sīla.

— Il est possible qu’une femme nous adresse la parole. Si une femme nous questionne sur le dhamma, par exemple, que devons-nous faire ?

— Si une femme vous pose des questions, faites ainsi… Si elle a l’âge d’être votre mère, considérez-la comme votre mère ! Si elle a l’âge d’être votre sœur, considérez-la comme votre sœur ! Si elle a l’âge d’être votre fille, considérez-la comme votre fille ! »

Remarque : Bouddha ne rappela pas au Vénérable Ānandā qu’un moine est tenu d’avoir constamment les yeux vers le bas lorsqu’il se rend dans des zones habitées, car il le sait déjà, étant donné que ce point constitue une règle du vinaya (sekhiya 7 et 8).

La procédure de l’incinération

Ensuite, le Vénérable Ānandā s’enquit sur la procédure de traitement du corps de son maître une fois que celui-ci aura expiré :

« Vénérable Bouddha ! Lorsque vous aurez disparu en parinibbāna, comment devrons-nous nous occuper de votre corps ?

— Ānandā ! Les brahmas, les deva et les gens vont probablement incinérer mon corps. Avant cela, enveloppez-le dans cinq cents tissus de grande qualité. Ensuite, faites placer mon corps dans un cercueil d’or. Dressez un bûcher fait de bois odorant. Cela est la procédure d’incinération des rois du monde, qui convient également aux bouddhas omniscients. Une fois le corps ayant été brûlé, récupérez mes reliques dans les cendres et enchâssez-les dans des cetiya qui seront dressés à cette occasion. Les deva et les gens pourront ainsi rendre hommage à ces reliques. Cela leur permettra de développer du mérite. Il y a quatre types de personnes dignes de bénéficier d’un cetiya pour qu’hommage leur soit rendu : un bouddha omniscient, un pacceka buddha, un arahant et un roi du monde (bien qu’un « roi du monde » est un puthujana – un être ordinaire –, il n’en est pas moins un être bénéficiant d’un kamma exceptionnel). »

Ensuite, le Bienheureux, qui était toujours allongé, entra dans la tranquillité des jhāna. Dès cet instant, le Vénérable Ānandā voulut pleurer. Il songea :

« Notre noble Bouddha va s’éteindre. Demain, il ne sera plus là pour me donner des recommandations. Il n’y aura plus personne auprès de moi pour m’enseigner le dhamma, pour répondre à mes interrogations. Je ne pourrais plus jamais le vénérer. »

Ne parvenant plus à refouler ses larmes, il partit se cacher pour pleurer sans être vu. Comme le Vénérable Ānandā n’était encore que sotāpana, il avait encore tous les kilesā liés au chagrin.

Les qualités du Vénérable Ānandā

Quand Bouddha sortit de ses jhāna, il s’enquit auprès du saṃgha de l’absence de son noble serviteur attitré :

« Où est Ānandā ?

— Le Vénérable Ānandā s’est isolé pour pleurer, Vénérable Bouddha.

— Faites-le venir ici !

— (En larmes, le Vénérable Ānandā arriva) Me voilà, noble Bouddha !

— Ānandā ! Cessez de pleurer, il n’y a aucun avantage à pleurer ! Dans l’univers, toutes les personnes chères aux êtres doivent mourir un jour ou l’autre ; cela est inévitable. Personne ne peut empêcher son corps de périr. J’ai déjà enseigné ce dhamma. Ānandā ! Vous avez d’excellentes pāramī. Entraînez-vous au développement de la vipassanā ! Si vous vous y efforcez convenablement, vous deviendrez rapidement arahant. »

Entendant les paroles du Bienheureux, le Vénérable Ānandā cessa de pleurer. Bouddha s’adressa ensuite à tous les moines :

« Ô moines ! Ānandā est quelqu’un de doté de quatre grandes qualités :

  1. Tous ceux qui rencontrent Ānandā l’admirent immédiatement en l’apercevant, de près comme de loin.
  2. De tous ceux qui entendent Ānandā enseigner le dhamma, pas un seul ne dit : “je ne veux plus l’entendre”, pas un seul n’en est rassasié, tout le monde l’écoute sans jamais se lasser.
  3. Tout le monde apprécie la voix d’Ānandā, chacun adore son éloquence.
  4. Tous ceux qui entendent Ānandā enseigner le dhamma sont très motivés pour mettre ses recommandations en pratique. Telles sont les quatre grandes qualités d’Ānandā.

(S’adressant à son serviteur attitré…) Ānandā ! Allez en ville pour chercher le gouverneur Mallā. Je vais entrer en parinibbāna cette nuit même, avant l’aube. Demandez-lui de l’annoncer aux habitants de la ville, de façon à permettre tous ceux qui le souhaitent de me rendre hommage de mon vivant, et qu’ainsi, personne ne puisse regretter de ne pas être venu vers moi avant. »

Quand le gouverneur Mallā arriva pour rendre respectueusement hommage au Bienheureux, s’acheva le premier tiers de la nuit.

La question de l’ascète Subhada

Ensuite, arriva l’ascète Subhada — pour qui Bouddha avait choisi d’effectuer son dernier voyage. Apercevant de loin le Bienheureux, l’ascète se mit à penser :

« Le renonçant Gotama va disparaître cette nuit. J’ai encore des questions à lui poser. Je vais aller vers lui. »

S’approchant du Vénérable Ānandā, il lui demanda de le conduire auprès de Bouddha, pour lui poser quelques questions. Pensant que Bouddha était très fatigué, de crainte qu’il l’opprime en l’étourdissant de questions, le serviteur attitré préféra rejeter la demande de l’ascète. En dépit de son insistance répétée trois fois consécutives, le Vénérable Ānandā ne daigna pas l’autoriser approcher Bouddha. Comme les paroles insistantes de l’ascète parvinrent à ses oreilles, le Bienheureux ordonna à son noble disciple :

« Ānandā ! Laissez venir cet ascète auprès de moi ! S’il a des questions à me poser, qu’il me les pose ! »

Lorsque l’ascète Subhada fut amené par le Vénérable Ānandā auprès du Parfait, il l’interrogea sans attendre :

« Renonçant Gotama ! J’ai rencontré les renonçants Pūraṇakassapa, Makkhaligosāla, Ajita, Pakudhakaccāyana, Sañcaya et Nigaṇṭha (qui sont les maîtres religieux les plus célèbres du sous-continent indien du temps de Bouddha). De ces renonçants, chacun prétend être, dans ce monde, un bouddha parfaitement éveillé. Cela est-il juste ? Leurs enseignements respectifs sont-ils justes ?

— Subhada ! Renoncez à une telle question ! Je n’ai plus beaucoup de temps. Écoutez-moi bien, je vais vous enseigner… Dans un sāsana (un enseignement, une doctrine) qui comporte les huit maggaṅga il y a des ariyā des êtres qui se libèrent des kilesā. Dans un sāsana qui ne comporte pas les huit maggaṅga, il n’y a – par définition – pas d’ariyā. Dans ce monde, tant qu’il y a des êtres qui mettent en application les huit maggaṅga, il y aura des arahant. Si les huit maggaṅga ne sont plus appliqués, il ne peut plus y avoir d’arahant. Ainsi, quand vous vous interrogez sur l’exactitude d’un enseignement, considérez plutôt la chose ainsi : “Comporte-t-il les huit maggaṅga ? Ne comporte-t-il pas les huit maggaṅga ?” »

Bouddha lui exposa les huit maggaṅga en détail.

Remarque : Les huit maggaṅga sont les huit facteurs qui, aussitôt qu’ils sont réunis, permettent naturellement le développement de vipassanā, la connaissance directe de la réalité. Cet entraînement répété de façon soutenue permet le développement des sept facteurs d’éveil jusqu’à nibbāna – la réalisation du dhamma –, unique moyen d’éradiquer les kilesā. Les huit maggaṅga : 1) la compréhension juste (à propos des quatre nobles vérités et des trois caractéristiques) ; 2) la pensée jute (pensée libre d’avidité, de jalousie, de malveillance et de cruauté) ; 3) la parole juste (s’abstenir de mensonges, de médisances, de langage vulgaire et de paroles futiles) ; 4) l’action juste (ne pas tuer, ne pas voler, ne pas avoir de méconduite sexuelle, ne pas s’intoxiquer) ; 5) le moyen d’existence juste (gagner sa vie honnêtement et dignement, en évitant de faire tout ce qui peut être néfaste) ; 6) l’effort juste (surmonter et éviter ce qui est défavorable, développer et maintenir ce qui est favorable) ; 7) l’attention juste (observation du corps, des sentiments, de l’esprit et des phénomènes) ; 8) la concentration juste (fixation de l’esprit sur un objet unique).

Enchanté des paroles du Bienheureux, l’ascète lui demanda immédiatement de le prendre comme disciple. Bien qu’il accepta, il lui précisa toutefois une condition :

« Subhada ! Les personnes ayant appartenues à une secte titthi (hérétique) souhaitant rejoindre le saṃgha doivent préliminairement observer une période de probation de quatre mois avant de pouvoir être pleinement admis par les autres membres de la communauté.

— Je préférerais une période de quatre ans si vous le permettez, car je voudrais être totalement accepté par les moines !

— Puisque tel est votre souhait, qu’il en soit ainsi ! Ānandā ! Intégrez Subhada dans le saṃgha ! »

Alors que le Vénérable Ānandā fit de l’ascète Subhada un moine, Bouddha lui délivra les instructions pour le développement de vipassanā. Impatient de se mettre à la tâche, le nouveau moine n’attendit pas un instant pour commencer son entraînement. Il parvint très vite au stade d’arahant, puis développa également les jhāna et les six abhiñña. Le Vénérable Subhada serait le dernier moine intégré et le dernier à devenir arahant du temps de Bouddha.

Le maître après Bouddha µ

Le Vénérable Ānandā questionna Bouddha :

« Ô noble Bouddha ! Lorsque vous aurez disparu, il n’y aura plus personne à la tête du saṃgha. Comment devrons-nous nous organiser ?

— Ānandā ! Une fois que je me serai éteint en parinibbāna, ne considérez pas que vous n’aurez plus de maître. Le vinaya, le suttanta et l’abhidhamma que j’ai enseigné seront votre maître.

Parmi tous les points du vinaya que j’ai enseigné, beaucoup concernent des petites fautes. Si vous voulez ne pas en tenir compte, laissez-les de côté ! En faisant ainsi, cela aidera les futurs moines, pour qui celles-ci pourraient constituer une contrainte, à mener plus facilement la vie monacale.

Aujourd’hui, tous les moines s’interpellent “avuso” les uns envers les autres. Une fois que je me serai éteint, il conviendra de réserver ce terme à l’intention des moines moins anciens que soi (dans le nombre de vassa). Les plus anciens que soi devront être désignés par “bhante” . Les moines qui manqueront à cela commettront un dukkaṭa.

Le moine Channa est difficile à sermonner. Pour lui, il conviendra d’effectuer un brahmadaṇḍa.

— Comment faire un brahmadaṇḍa, Vénérable Bouddha ?

— Pour ce faire, quoi qu’il fasse, il ne faut pas parler de lui, ni en bien, ni en mal. Il ne faut pas lui adresser la parole. Il ne faut rien entreprendre avec lui. Il doit être ignoré et laissé à l’écart du saṃgha. Effectuez le brahmadaṇḍa pour tous les moines qui refusent de se laisser sermonner et tant qu’ils ne changent pas leur comportement. »

Avant que le prince Siddhattha ne renonce à son existence princière, Channa était son serviteur attitré. Né le même jour que le Bienheureux, il était devenu un moine si orgueilleux qu’il refusait catégoriquement tout reproche de la part des autres. Après que Bouddha se soit éteint en parinibbāna, le saṃgha aurait appliqué le brahmadaṇḍa à l’égard du moine Channa. Celui-ci aurait eu tant de regrets, qu’après avoir supplié le saṃgha de lui retirer le brahmadaṇḍa, il se serait appliqué avec efforts à la pratique du dhamma, jusqu’à devenir arahant.

Remarque : Quand il fut demandé au Vénérable Ānandā – lors du premier concile qui se tint trois mois après la disparition de Bouddha – de quelles fautes le Bienheureux faisait-il référence lorsqu’il autorisa les moines à « laisser de côté les petites fautes », il avoua qu’il eut oublié de le lui faire préciser. De nos jours, ce sujet fait l’objet de controverses. Généralement, les moines sérieux ont tendance à interpréter les “petites fautes” comme étant les points qui sont en dehors du pātimokkha, à l’exception des thullaccaya c’est-à-dire : les dukkaṭa, les dubbhāsita et tous les points qui constituent un manquement non défini par un type de faute. Les moines qui ont une propension facile à négliger le vinaya ont, quant à eux, tendance à interpréter ces “petites fautes” comme l’intégralité des points du vinaya à l’exception des fautes graves que sont les pārājika et les saṃghādisesa. La première hypothèse semble toutefois plus plausible étant donné que les fautes de la plus petite catégorie du pātimokkha, outre le fait qu’elles n’exigent aucune complication pour qui les applique, constituent souvent une base indispensable à la complétude de sīla. En revanche, les points extérieurs au pātimokkha (à l’exception des thullaccaya), souvent destinés à donner une image propre du saṃgha (ce qui n’est toutefois pas sans importance) plus que pour s’offrir les conditions requises pour sa pratique du dhamma, sont susceptibles de constituer quelques difficultés pour celui qui s’y contraint.

Remarque : Avant que Bouddha ne s’éteigne en parinibbāna, le terme « bhante » était réservé à son attention.

La dernière parole de Bouddha

Ensuite, le Bienheureux s’adressa à tout le saṃgha :

« Ô moines ! Si vous avez des doutes, s’il y a des choses que vous ne savez pas, demandez-moi ! N’attendez pas ! Quand je ne serai plus là, il sera trop tard. »

Bien qu’il réitéra trois fois de suite son appel, aucune question ne lui fut adressée.

« Si votre respect vous empêche de me parler directement, faites-moi connaître vos interrogations par l’intermédiaire de l’un de vos compagnons ! »

Comme le silence persistait, le Vénérable Ānandā voulut signifier la raison de ce silence à son noble maître :

« Ô noble Bouddha ! Pas un moine n’a de doutes. De tous les moines qui sont présents ici, le moins réalisé est déjà sotāpana (tous sont donc des ariyā).

— Ô moines ! Je vais prononcer ma dernière parole :

Tous les saṅkhāra ont la nature de la destruction. N’oubliez jamais de vous efforcer au développement de sīla, de samādhi et de pañña. »

Bouddha s’absorba ensuite dans le premier jhāna, à l’issue duquel il entra dans le deuxième jhāna, avant d’expérimenter successivement les troisième et quatrième jhāna et les arūpa jhāna, du premier au quatrième. De là, il s’absorba dans le nirodha. À ce moment-là, le Vénérable Ānandā demanda au Vénérable Anuruddhā :

« Bouddha est-il entré dans le parinibbāna ?

— Non, il est seulement dans le nirodha. »

Quand le Bienheureux sorti du nirodha, il entra de nouveau dans les jhāna, qu’il expérimenta les uns après les autres en sens inverse, du quatrième arūpa jhāna jusqu’au premier rūpa jhāna. Du premier rūpa jhāna, il entra successivement dans le deuxième, dans le troisième et dans le quatrième. De ce quatrième rūpa jhāna, il s’éteignit en parinibbāna, dans le début du dernier tiers de la nuit, le jour de pleine lune de mai de l’an 148 de la Grande ère, un mardi, quelques instants avant l’aube du jour suivant. À l’instant précis de l’extinction de Bouddha, la Terre s’est mise à trembler.

Les gāthā adressées en mémoire de Bouddha

Après un grand silence, le brahma Sahampati prononça une gāthā :

« Bouddha était doté d’une connaissance illimitée de tout, il avait la plus grande sagesse et les plus puissants pouvoirs. Toutefois, il vient de disparaître. Si lui disparaît, les autres êtres, à plus forte raison, disparaîtront. Un jour ou l’autre, chaque être devra abandonner son corps. »

Sakka, le roi des deva, prononça à son tour une gāthā :

« Tous les saṅkhāra sont anicca. Tout ce qui apparaît est irrémédiablement destiné à disparaître. La seule chose qui permet d’échapper à cela, c’est nibbāna. nibbāna est le seul véritable bonheur. »

Ensuite, de nombreux arahant prononcèrent encore des gāthā.

Réalisant que le Parfait venait de les quitter, tous les puthujana, tous les sotāpana et tous les sakadāgāmi présents se mirent à pleurer. Dépourvus de tout attachement, les anāgāmi et les arahant ne pleurèrent pas.

Remarque : Aujourd’hui encore, il existe quatre grands lieux représentant les instants clés de la vie de Bouddha, destinés à lui rendre hommage, et à susciter une certaine motivation dans sa propre pratique du dhamma : 1) le lieu de sa naissance, à Lumbini ; 2) le lieu de son éveil, au bord de la rivière Nerañjarā, près du village Senā (Bodh-Gaya) ; 3) le lieu de son premier sermon, dans le bois de Migāvana, également connu sous le nom d’Isipatana (Sarnath) ; 4) le lieu de son parinibbāna, à Kusinārāma (Kusinaga).

La crémation

Le lendemain matin, le Vénérable Anuruddhā interpella le Vénérable Ānandā :

« avuso Ānandā ! Allez prévenir le gouverneur Mallā de l’extinction de Bouddha ! Demandez-lui de bien vouloir prendre en charge l’incinération. »

Quand le gouverneur Mallā arriva, à l’instar des autres, il sanglota de façon inconsolable. Il prévint tous les habitants de Kusinārāma, qui se rendirent sans tarder auprès du corps éteint du Bienheureux. Tous apportèrent des fleurs et diverses offrandes destinées à rendre hommage à Bouddha. Les dévotions des gens de Kusinārāma durèrent deux jours entiers, suivies de celles de gens en provenance d’autres contrées. Alors que les hommages n’avaient toujours pas cessé, commença le traitement du corps de Bouddha, selon les instructions qu’il laissa à son cousin Ānandā. Le corps fut donc enroulé dans cinq cents tissus de haute qualité, avant d’être placé dans un cercueil en or. Un grand bûcher fait de bois odorant fut dressé. Quand le temps était venu de mettre le cercueil sur le bûcher, il fut impossible de le soulever. Le gouverneur Mallā en demanda la raison au Vénérable Anuruddhā, qui lui expliqua :

« dāyaka ! Les deva ne lui ont pas encore rendu hommage. C’est pourquoi ils vous empêchent de mettre le cercueil sur le bûcher. »

Selon la volonté des deva (que le Vénérable Anuruddhā leur fit connaître), les gens firent circuler le cercueil – qui se trouvait au sud de Kusinārāma – selon un grand parcours, afin que tout le monde puisse convenablement lui rendre hommage. C’est ainsi que le cercueil fut transporté vers l’intérieur de la ville, avant d’en être ressorti par l’ouest, d’avoir été contourné autour de la ville jusqu’au nord, d’où il fut rentré de nouveau dans la ville, et enfin, ressorti par l’est, où il fut déposé. Là, les deva arrivèrent pour faire leurs dévotions. Ces nouveaux hommages durèrent les sept jours suivants.

La menace pour le sāsana

Pendant que le corps de Bouddha était vénéré à Kusinārāma, le Vénérable Mahā Kassapa était à Pāvā. Là, il apprit que Bouddha s’était éteint. Comme il voulut voir son corps, il se mit immédiatement en route pour Kusinārāma. Sur le chemin, il aperçut un ascète en provenance de Kusinārāma, muni d’une fleur géante. Afin de se protéger du soleil, il portait, en guise d’ombrelle, l’une des gigantesques fleurs lancées par les deva pour rendre hommage au Bienheureux. En la voyant, le noble moine réfléchit, avant de questionner l’ascète :

« Ce type de fleurs est inexistant dans le monde humain. Celle-ci ne peut que provenir du monde des deva. Je vais interroger cet ascète…

Ô ascète ! D’où venez-vous ?

— Je viens de Kusinārāma.

— Connaissez-vous Bouddha ?

— Certainement, il vient de s’éteindre en parinibbāna, il y a sept jours à peine. D’ailleurs, la fleur que voici, je l’ai ramassée là-bas. »

En entendant l’ascète leur raconter l’extinction de Bouddha, tous les disciples du Vénérable Mahā Kassapa se mirent à sangloter, hormis les arahant, les anāgāmi et un vieux moine puthujana, nommé Subhada (à ne pas confondre avec le dernier moine entré dans la communauté, portant le même nom) qui lança aux moines, l’air joyeux :

« Cessez de pleurer ! Bouddha nous disait tout le temps “faites ainsi !”, “ne faites pas cela !”. Maintenant, qu’il n’est plus là, nous sommes libre de faire comme bon nous semble, nous n’avons plus à faire ce qui nous contraint. »

Entendant ces paroles, le Vénérable Mahā Kassapa songea :

« Voilà à peine sept jours que Bouddha s’est éteint, il y a déjà une menace pour le sāsana au sein du saṃgha. Si d’autres moines tels que ce moine Subhada devaient apparaître, le sāsana disparaîtrait rapidement. Pour éviter un tel désastre, je vais réunir un concile. »

Le dernier hommage à la dépouille mortelle

À Kusinārāma, une fois que les deva et les gens eurent tout le loisir de rendre hommage au corps trépassé de Bouddha, ils tentèrent d’allumer le bûcher. En dépit de nombreuses tentatives, pas une seule flamme ne prit. Le gouverneur Mallā demanda pourquoi au Vénérable Anuruddhā, qui lui expliqua :

« dāyaka ! Le Vénérable Mahā Kassapa, ne lui a pas encore rendu hommage. C’est pourquoi les deva empêchent le bûcher de prendre feu, car ils ont une immense vénération pour ce noble moine. »

Entendant cela, les gens n’attendaient plus que le Vénérable Mahā Kassapa. À ce moment précis, tout le monde se retourna pour le voir arriver. S’approchant du bûcher de santal, il en fit lentement le tour. Comme la dépouille mortelle du Bienheureux était solidement entourée de cinq cents pièces de tissu et enfermé dans son cercueil d’or, il ne pouvait plus le voir. Il s’assit au bout du noble cercueil, côté pieds, et eut une intense détermination :

« Je ne peux plus apercevoir Bouddha. J’aurais cependant souhaité le revoir une dernière fois pour lui rendre hommage avant qu’il ne soit brûlé. Puissé-je apercevoir au moins ses pieds une dernière fois ! »

Après que le Vénérable Mahā Kassapa soit entré dans le quatrième jhāna, les pieds du Bienheureux défunt passèrent au travers et à l’extérieur du cercueil, puis vinrent se poser sur la tête du grand moine. Le Vénérable Mahā Kassapa se prosterna respectueusement devant le corps, appliquant ses mains sur les pieds du Bienheureux. Ses cinq cents disciples eurent ainsi l’occasion de lui rendre semblablement hommage. En voyant ce fait extraordinaire, les gens furent remplis de joie. Cet instant fut l’occasion d’un nombre considérable d’offrandes supplémentaires. Quand tout le monde eut terminé d’honorer la dépouille mortelle du Bienheureux, les pieds reprirent d’eux-mêmes place dans le cercueil. Le bûcher s’enflamma de lui-même, sans qu’il ne fût nécessaire de l’allumer. Dans les cendres du bûcher ne subsistèrent que les reliques du Bienheureux, intactes : ses quatre canines ; ses deux clavicules ; son os crânien du front ; des dhātu de trois tailles, certaines étaient grandes comme des pois, d’autres comme des grains de riz – non cuit –, et les autres comme des grains de sésame. Il se mit à pleuvoir une pluie fine, juste le temps de refroidir les cendres. Lorsque les reliques furent extraites, les gens purent leur rendre hommage sept jours durant.

Le choc du roi Ajātasatu

Dans le royaume de Rājāgaha, les gens apprirent peu à peu l’extinction de Bouddha. Quand les ministres du roi Ajātasatu prirent connaissance de la nouvelle, ils n’osaient pas l’annoncer à leur monarque, qui avait développé une vénération sans bornes pour le Bienheureux depuis huit ans. Craignant que son cœur ne pût résister à la chaleur causée par le choc en apprenant la nouvelle, ils ne surent comment s’y prendre. Finalement, ils trouvèrent une solution qu’ils mirent aussitôt en application… Ils enjoignirent un des hommes du palais à préparer un mélange de mélasse et de divers produits médicinaux, de sorte à obtenir un liquide froid dont ils remplirent trois baignoires. Les ministres n’eurent qu’à prétexter au roi un traitement pour l’entretien de sa santé. Ravi de cette idée, le roi s’allongea dans l’une de ces trois baignoires et accepta d’y dormir d’un profond sommeil. Une fois qu’il fut bien détendu, le corps complètement apaisé et frais, l’un de ses ministres s’approcha de lui et lui glissa dans l’oreille :

« Bouddha s’est éteint en parinibbāna, Sire. »

Quand il entendit ça, il eut un tel choc que son corps devint instantanément bouillant. Le liquide médical de la baignoire vite devenue très chaude, on fit mettre le roi dans la seconde baignoire. Quelques instants après, alors que le liquide médical de la seconde baignoire devint chaud à son tour, on le mit dans celui de la troisième baignoire qui, bien que devenue tiède en peu de temps, parvint à absorber tout le reste de la chaleur provoquée par le choc du roi. Sans ce triple bain, son cœur aurait lâché sous le choc. Alors que le roi Ajātasatu se faisait rincer à sa sortie du bain, des larmes roulèrent sur son visage. Quand il se faisait rhabiller, les larmes devinrent un flot non maîtrisable. Une fois revêtu, il sortit à l’extérieur, courant comme un fou et hurlant de toutes ses forces. On aurait dit qu’il avait perdu la raison. Il courut ainsi jusqu’au jardin de manguiers que le docteur Jīvaka avait offert à Bouddha. Regardant autour de lui, sans cesser ses sanglots, il balbutia, en se rappelant du Bienheureux :

« Ici est l’endroit où il dormait. Ici est l’endroit où je lui apportais son repas. Ici est l’endroit où il m’enseignait le dhamma lorsque je venais lui rendre visite. »

Le partage des reliques

Une fois que les lourds sanglots du roi Ajātasatu commencèrent à s’apaiser, il pensa :

« Je dois récupérer quelque chose de ce noble Bouddha afin que l’on puisse lui rendre hommage dans notre royaume. Il faut que j’obtienne quelques-unes de ses reliques. »

Il rentra aussitôt au palais pour écrire au gouverneur de Kusinārāma une lettre dans laquelle il revendiqua des reliques de Bouddha. Il dépêcha alors un messager pour faire rapidement connaître sa réclamation au gouverneur Mallā. Le roi Licchavī, du royaume de Vesālī, demanda également sa part de reliques au gouverneur Mallā, tout comme le roi Mahānāma du royaume de Sāvatthi, et d’autres rois et gouverneurs. Le roi Ajātasatu pensa :

« Si le gouverneur Mallā me remet des reliques du noble Bouddha, tout ira bien. Autrement, je lui déclare la guerre et lui prendrai par la force ! »

Les autres rois et gouverneurs revendiquant les reliques du Bienheureux avaient les mêmes pensées, avides de les avoir pour eux. Sept jours après l’incinération de Bouddha, tous se retrouvèrent à Kusinārāma, où ils tinrent réunion. Quand le gouverneur Mallā arriva parmi les grands dirigeants, ces derniers lui lancèrent, d’une voix :

« Allez-vous nous donner les reliques de Bouddha, ou devrons-nous vous faire la guerre ? »

Blessé dans son orgueil, le gouverneur Mallā entra dans une vive colère. Il cria à l’adresse de tous les dirigeants réunis :

« Pour qui me prenez-vous donc ? Vous ne me faites pas peur ! Nous allons voir qui est le plus courageux ! Puisque vous voulez la guerre, faisons la guerre ! »

Alors que tous les rois et gouverneurs commencèrent à se dresser contre le gouverneur Mallā, le brahmane Doṇa, qui fut le professeur de tous les rois et gouverneurs présents, arriva sur les lieux. Tous le craignaient et le respectaient. Dès son apparition, un grand silence s’était subitement imposé. Le brahmane s’exprima d’une voix grave, sermonnant tous les rois qui l’écoutèrent dans un respectueux silence :

« Je vais me charger moi-même d’effectuer le partage. Bouddha n’a jamais toléré la guerre. Vous étiez tous ses disciples. Soyez plutôt solidaires !

— (Tous les dirigeants) Oui, maître ! Partagez pour nous ! »

S’emparant de la coupe en or contenant les reliques de Bouddha que lui remit en mains le gouverneur Mallā, le brahmane Doṇa fit asseoir tout le monde en cercle, et se mit au milieu. Ouvrant le couvercle de la coupe devant les yeux ébahis des dirigeants, le vieux brahmane plaça la coupe au milieu du cercle, de sorte qu’elle soit bien visible. Là, tous prirent conscience que Bouddha n’était plus là. Ils fondirent alors tous en larmes. Profitant de l’inattention causée par leur chagrin, le brahmane se saisit de la canine supérieure droite du Bienheureux, de peur qu’il ne lui restât rien de Bouddha pour lui rendre hommage, et la cacha dans son chignon. Ensuite, il partagea toutes les reliques entre les rois et les gouverneurs. Le roi deva Sakka, qui observait le partage des nobles reliques, remarqua l’absence de la canine :

« Où est passée l’incisive supérieure droite de Bouddha ? »

Comme il la trouva aisément dans les cheveux du brahmane Doṇa, il se demanda si celui-ci avait les moyens d’honorer convenablement la relique dont il s’était emparée. Comme il vit qu’il était pauvre, il retira la dent de son chignon à son insu, avant de l’enchâsser dans le monde des deva, dans un cetiya appelé Cūḷāmaṇi, pour l’honorer dignement. Quand le vieux brahmane voulut tâter sa dent qu’il croyait toujours dans son chignon, il s’aperçut avec effroi qu’elle avait disparu. Honteux de son escamotage, il n’osa rien en dire. En guise de consolation, il demanda simplement qu’on lui laisse la coupe d’or ayant contenu toutes les reliques, néanmoins vide. Heureux d’avoir obtenu leur part de reliques, les rois et les gouverneurs ne lui refusèrent pas cette modeste faveur.

Le gouverneur Moriya, de la ville Pippalivana, arriva après le partage, auprès du gouverneur Mallā, pour réclamer des reliques du Bienheureux. Comme il venait trop tard, il se contenta de récupérer les cendres, mélange de bois du bûcher et du corps de Bouddha. Ainsi, toutes les reliques et les cendres de Bouddha furent partagées le vingt et unième jour après son parinibbāna.

 

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