Après la cérémonie proprement dite qui comprenait, en plus des textes lus le matin, la lecture du Hoben Pon, le Révérend très touché par le thème « Atteindre la bodhéité dès ce corps » (Shokushin-jobutsu) l’a repris et commenté en ces termes.

Comment effectivement concevoir atteindre la bodhéité dès ce corps en ce monde si mauvais ? Serait-ce une croyance utopique, voire dystopique, réfléchissait-il tout haut. Pourtant, deux grands concepts bouddhiques relèvent de cette croyance : le thème dont il est précisément question, « Shokushin-jobutsu », et celui de « Vies et morts menant au nirvana », « Shoji soku nehan ».

Le Sutra de Vimalakirti rappelle que le Bouddha transforme la terre en la touchant du doigt, et le chapitre XVI du Sutra du Lotus que la terre pure du Bouddha ne peut jamais être détruite.

Autrement dit, un Bouddha voit la terre comme étant pure, vision qui ne correspond généralement pas à la nôtre.

Une terre pure n’est cependant pas une terre céleste, agréable et idéale, où tout est beau et parfait physiquement, intellectuellement et spirituellement : c’est, selon les sutras et l’interprétation que le Révérend en fait, une terre offrant tout ce dont chacun a besoin pour parvenir à l’éveil dès ce corps, à la bodhéité en cette vie, ce qui implique cependant de réfléchir et de travailler sur sa réalité, sa personnalité, ses attentes et sa vie : la terre pure du Bouddha, c’est donc accepter sa propre réalité et travailler avec cette réalité personnelle, psychologique et environnementale. C’est aussi accepter et comprendre que sa croyance et sa pratique bouddhique n’éviteront ni la maladie, ni la vieillesse ni la mort qui font partie intégrante du cycle de la vie. Même les grands bodhisattvas, même le Bouddha n’ont pu les éviter.

Par ailleurs, le Sutra de Vimalakirti enseigne que le grand bodhisattva Vimalakirti tombe malade par réaction empathique envers le monde malade, faute d’ignorer le Dharma bouddhique. Le chapitre XVI rappelle quant à lui que le Bouddha est atemporel, qu’il apparait toujours à ceux qui le recherchent et que ses paroles ne sont jamais vaines.

La bodhéité correspond donc à la capacité de voir non seulement le monde avec joie, compassion, une certaine poésie et fantaisie, mais aussi d’être totalement présent à ce qu’il s’y passe, de vivre le moment présent le plus consciemment et pleinement possible – d’être éveillé à ce que nous vivons en le vivant ici et maintenant : c’est être de plain-pied dans ce moment présent, pleinement engagé dans ce que nous vivons, dans notre vie et la société, cultivant altruisme et attitude compassionnelle, en un mot les qualités de cœur et d’agissement d’un Bouddha qui recherche à tout instant comment sauver ses semblables. Il s’agit d’une attitude dynamique qu’à l’instar du Bouddha nous pouvons adopter à chaque instant.

Le Sutra du Lotus enseigne pourtant à plusieurs reprises que la réalité de la terre de Bouddha est « difficile à croire et difficile à comprendre», réalité qu’il est donc difficile de reconnaitre et d’accepter. Accepter le monde dans lequel nous vivons comme il est et sa réalité telle qu’elle est, s’avère effectivement extrêmement difficile si nous sommes dans une situation que nous considérons inacceptable, intolérable, indigne. Cependant, c’est en acceptant les événements tels qu’ils sont* que nous pourrons commencer à les travailler et les faire évoluer.

Pour ce faire, gardons à l’esprit que le Sutra du Lotus représente l’enseignement authentique du véritable espoir*, car le Bouddha ne prêche qu’à des bodhisattvas, raison pour laquelle nous aussi, qui faisons partie de ces bodhisattvas comme l’enseigne ce Sutra, pouvons devenir de telles personnes dès ce corps et cette vie.

Evoquant la difficulté d’y croire et de le comprendre, Michael s’est mis à parler de sa relation à son père vieillissant souffrant de plus en plus de démence, une maladie dont souffrait également son grand-père. Malgré le profond amour et l’admiration qu’il éprouve envers son père, Michael est conscient de se sentir comme bloqué lorsqu’il lui rend visite et maladroit, voire dur dans ses paroles et son comportement. En réfléchissant à ses blocages, il a compris que ses années de pratique et ses connaissances bouddhiques l’ont maintenu dans une certaine illusion : croire d’une part qu’elles lui permettront d’échapper à cette maladie « familiale » et, d’autre part, qu’il pourra sauver son père. Bien qu’il ne puisse lui-même savoir s’il en sera atteint, il comprend en même temps que refuser la réalité de cette maladie l’empêche d’agir et de réagir de façon appropriée. Peut-on en effet agir correctement si notre esprit refuse d’accepter ce qui est ? Le déni empêche d’appréhender avec justesse la réalité.

Pour évoquer l’engagement total dans l’instant présent que préconise le bouddhisme, Michael a parlé de la vie de Malcom X (1925-1965), un Noir américain qui fit évoluer les droits de cette communauté, et dont la biographie le touche particulièrement. Malcom X était en effet un homme à ce point engagé dans tout ce qu’il entreprenait, engagé dans chaque instant présent, qu’il faisait progresser toutes les causes pour lesquelles il travaillait.

A ce propos fut également évoquée la réaction que nous devrions avoir face au fondamentalisme, au racisme et tous ces « –ismes » à considérer comme des sortes de maladie, mais savoir accepter ces situations tout en essayant de lutter habilement contre elles en utilisant les moyens salvifiques dont parle le chapitre II du Sutra du Lotus.

Pour évoquer d’un autre point de vue cet engagement, un participant a mentionné une vidéo qui l’avait particulièrement bouleversé : un moine soufi âgé d’une trentaine d’années retrouve la communauté des moines soufis et leur dit être capable d’offrir sa vie, là, tout de suite, devant eux. Son maitre le mettant au défi, le jeune moine s’étend par terre, place ses souliers sous sa tête et rend son dernier soupir sous leurs yeux. Bien que mourir volontairement ne soit absolument pas le but du bouddhisme, l’attitude de ce soufi met ainsi en évidence la capacité que l’on a de pouvoir faire corps avec ce que l’on a décidé d’accomplir dans l’instant présent*.

Informations

Récent exposé de la Révérende Myokei Caine-Barrett partageant son point de vue sur l’urgence de transmettre le Dharma : https://www.youtube.com/watch?v=LhU6ilGkkbE

Lien aux différents exposés donnés par la NBA : https://www.youtube.com/results?search_query=nichiren+bay+area

Etude du Sutra du Lotus, chapitre XIV, dimanche 12 décembre