Traduit du chinois par Jean-Noël Robert copyright Rissho Kosei-kai et Livrairie Arthème Fayard, 1997 |
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Chapitre IV - Croire et comprendre |
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En cette heure, Subhûti, Mahâkâtyâyana, Mahâkâçyapa, Mahâmaudgalyâyana, qui avaient la sagesse pour force vitale, à la Loi sans précédent qu'ils entendaient de l'Éveillé, à l'annonciation de l'Éveil complet et parfait sans supérieur que le Vénéré du monde conférait à Çâriputra, déployèrent une disposition d'esprit rarement atteinte et exultèrent d'allégresse. Ils se levèrent de leur siège, ajustèrent leurs vêtements, se dénudèrent l'épaule droite et touchèrent le sol du genou droit; d'un seul coeur, ils joignirent les paumes et s'inclinèrent en témoignage de respect; Ievant les yeux avec déférence vers le visage du Vénéré, ils s'adressèrent à l'Éveillé en ces termes : Nous qui siégeons à la tête de la communauté et sommes pareillement décrépits par l'âge, nous estimions avoir désormais obtenu l'Extinction et ne plus pouvoir supporter d'autres tâches; aussi ne cherchions-nous plus à progresser vers l'Éveil complet et parfait sans supérieur. Vénéré du monde, cela fait longtemps que, depuis les temps anciens, vous prêchez la Loi; nous, durant ce temps, nous étions à nos sièges, le corps las, indolents, n'ayant à l'esprit que la Vacuité, l'Indifférencié, le Sans-Opération. Pour ce qui est de la Loi des êtres d'Éveil, pour ce qui est de maîtriser en se jouant les pouvoirs extraordinaires, de purifier le champ d'Éveillé, de mener les êtres à la réalisation, notre pensée n'en avait nulle jubilation. Comment cela se fait-il ? C'est que le Vénéré du monde nous a fait sortir des trois mondes et permis d'attester l'Extinction. De plus, nous sommes à présent décrépits par l'âge et, alors que l'Éveillé enseignait et convertissait les êtres d'Éveil à l'Éveil complet et parfait sans supérieur, nous n'en concevions pas la moindre pensée de joie. Or, maintenant que nous entendons, en présence de l'Éveillé, conférer à des auditeurs l'annonciation de l'Éveil complet et parfait sans supérieur, notre coeur jubile d'une joie extrême, obtenant un état sans précédent. Nous ne pensions pas obtenir maintenant, si soudainement, d'entendre une Loi aussi rare et nous nous félicitons profondément d'acquérir ce grand profit, de gagner spontanément un trésor d'un prix incalculable, sans l'avoir recherché. Vénéré du monde, nous souhaiterions à présent exposer une parabole qui éclairera ce sens. Imaginez un homme qui, dès sa prime jeunesse, avait abandonné son père et s'était enfui pour demeurer longtemps dans une contrée étrangère, peut-être dix, vingt, jusqu'à cinquante ans. Devenu adulte, sa misère n'avait fait que croître; courant aux quatre orients en quête de vêtement et de nourriture, graduellement son errance l'amena par hasard vers son pays d'origine. Son père, qui avait depuis lors cherché l'enfant sans le trouver, avait entre-temps fait halte dans une certaine cité. Sa maison y était d'une grande richesse, ses trésors innombrables : l'or, l'argent, le béryl, le corail, l'ambre, le cristal, les perles et autres, ses entrepôts en étaient tous pleins à déborder. Il avait abondance de serviteurs, de ministres et d'intendants, d'éléphants et de chevaux, de chars et de véhicules, de bovins et d'ovins sans nombre. Les intérêts provenant de ses opérations financières s'étendaient à l'ensemble des pays étrangers; ses marchands et négociants, eux aussi, étaient fort nombreux. Un jour, l'enfant pauvre, qui errait de village en village, passait de contrée en contrée, finit par arriver dans la cité où son père avait fait halte. Le père avait constamment son fils à l'esprit et, depuis plus de cinquante ans qu'il en était séparé, il n'avait jamais parlé à quiconque de cet état de chose. Il ne faisait qu'y penser en son coeur et ressassait son amertume; il songeait en lui-même qu'il était usé par la vieillesse, que ses biens étaient abondants, que ses entrepôts d'or, d'argent, de trésors étaient pleins à déborder et qu'il n'avait plus de fils; un jour il mourrait, ses biens seraient dispersés sans personne à qui les léguer. C'est pourquoi il se souvenait constamment et intensément de son fils. Il se faisait encore cette réflexion : si seulement je trouvais un fils à qui léguer mes biens, je serais serein et heureux, je ne me ferais plus de soucis. Vénéré du monde, il se trouva alors que l'enfant pauvre, qui passait d'un employeur à un autre, arriva d'aventure à la résidence de son père. Il s'arrêta près du portail et vit au loin son père assis sur un trône léonin, les pieds sur un escabeau de matières précieuses, tandis que brahmanes, nobles et maîtres de maison l'entouraient tous respectueusement. Il avait le corps paré de perles et de bracelets dont le prix se chiffrait par milliers de myriades; intendants et serviteurs, des émouchoirs blancs à la main, se tenaient à sa droite et à sa gauche; un dais précieux l'abritait, où étaient suspendues de splendides bannières; le sol était imprégné d'essences parfumées et jonché de fleurs rares. Des trésors étaient étalés, que l'on sortait ou emmagasinait, que l'on recevait ou donnait. Avec une si grande variété d'ornements et de parures, sa majesté était particulièrement impressionnante. L'enfant pauvre, voyant la grande autorité du père, en conçut de la frayeur et regretta d'être venu là; il se dit en son for intérieur : Il s'agit d'un roi, ou de l'égal d'un roi, ce n'est pas un endroit où je pourrai me faire embaucher et gagner quelque chose. ll vaut mieux pour moi aller dans un village misérable, où il y aura une terre pour dépenser ma force et où vêtements et nourriture seront faciles à gagner. Si je reste trop longtemps ici, je serai sans doute astreint et forcé et l'on m'obligera à travailler. S'étant fait cette réflexion, il partit rapidement en courant. À ce moment, le maître de maison, sur son trône léonin, aperçut son fils et le reconnut aussitôt. Son coeur se réjouit grandement et il eut cette pensée : mes biens et mes trésors, j'ai maintenant à qui les léguer ! Ce fils à qui je pensais toujours sans moyen de le revoir, voici soudain qu'il vient de lui-même. Mes voeux sont ainsi comblés, car, bien qu'usé par les ans, j'étais comme autrefois en proie au désir et au regret. Il dépêcha en hâte des assistants à sa poursuite pour le ramener; les envoyés se précipitèrent alors et l'agrippèrent. L'enfant pauvre fut étonné et effrayé; estimant avoir affaire à des ennemis, il s'écria : « Je n'ai rien fait d'illégal, pourquoi m'arrêter ? » Les envoyés ne firent que resserrer leur poigne et le tirèrent pour le ramener. L'enfant pauvre pensa alors par devers soi : « Me voici prisonnier sans avoir commis de crime; c'est à coup sûr la mort pour moi. » Sa terreur ne fit qu'augmenter; il perdit connaissance et s'écroula sur le sol. Le père vit cela de loin et dit aux envoyés : « Je n'ai nul besoin de cet homme, ne le forcez pas à venir. Versez-lui de l'eau froide sur le visage pour le faire revenir à lui, mais ne lui adressez plus la parole. » Pourquoi donc cela ? Le père s'était rendu compte de la vile inclination d'esprit de son fils et avait compris que sa propre richesse était pour lui un obstacle; il savait parfaitement que c'était son fils, mais, en manière d'expédient, il ne déclara pas aux autres : "C'est mon fils." Les envoyés dirent à ce dernier : "À présent nous te relâchons, va donc où tu veux." L'enfant pauvre conçut alors une joie inouïe; il se releva de terre et se dirigea vers un village misérable, en quête de vêtement et de nourriture. Alors le maître de maison, dans le désir de s'attirer son fils, mit au point un expédient : il dépêcha en secret deux hommes émaciés d'apparence et sans rien d'imposant : « Il faudrait que vous vous rendiez là-bas et que vous annonciez avec ménagement à l'enfant pauvre : "Il y a un emploi ici pour toi, avec double de paye." S'il en est d'accord, vous l'amènerez ici et le ferez travailler. S'il vous demande ce qu'il lui faudra faire, vous n'aurez qu'à lui annoncer : "Tu seras employé à enlever les immondices; nous deux, nous travaillerons avec toi." » Les deux envoyés se mirent alors à la recherche de l'enfant pauvre et, une fois qu'ils l'eurent trouvé, lui rapportèrent en détail la proposition précédente. À ce moment, l'enfant pauvre perçut tout d'abord son salaire et ensuite déblaya les immondices avec eux. Le père voyait son fils avec pitié et effarement. Un autre jour, alors qu'il regardait de loin, par la fenêtre, son fils décharné et émacié, couvert de poussière et de saletés, maculé de souillures, il se dépouilla de son pectoral, de ses vêtements de dessus, de ses parures, et revêtit des haillons tachés de graisse et de boue; il s'enduisit le corps de crasse et prit dans sa main droite des outils de nettoyage. Sous cette allure effrayante, il s'adressa aux ouvriers : « Allez, vous autres, travaillez dur, que je ne vous voie pas fainéanter ! » Grâce à ce stratagème, il parvint à approcher son fils. Plus tard, il lui déclara encore : « Holà, mon gars, reste donc toujours à travailler ici sans plus aller ailleurs; ton salaire sera augmenté et tu n'auras pas à te soucier du nécessaire : vaisselle, riz, blé, sel, épices. Il y a même un vieux serviteur usé qui te sera donné si tu en as besoin. Il est bon que tu te rassures, je serai comme ton père et tu n'auras plus de souci à te faire. Pourquoi cela ? Je suis bien âgé et toi, tu es en pleine jeunesse; jamais, lorsque tu travailles, je n'observe chez toi tous les défauts que je vois chez les autres : paresse, colère, paroles hargneuses. Dorénavant, tu seras comme mon fils, celui que j'aurais engendré. » Dès lors, le maître de maison lui conféra en plus un nom et l'appela son enfant. L'enfant pauvre, bien qu'heureux de cette bonne fortune, n'en continua pas moins à se tenir lui-même pour un vil ouvrier de passage. Pour cette raison, on lui fit constamment déblayer les immondices pendant vingt années. Au terme de cette période, ils se comprenaient mutuellement et se faisaient confiance en leur coeur; lui entrait et sortait sans difficulté, cependant il demeurait encore en son lieu d'origine. Vénéré du monde, en ce temps-là le maître de maison tomba malade; il se rendit compte que sa mort était prochaine et s'adressa en ces termes à l'enfant pauvre : « De l'abondance d'or, d'argent, de matières précieuses dont mes entrepôts sont à présent pleins à déborder, tu connaîtras tout avec exactitude, ce qui est à recevoir et ce qui est à donner. Telle est ma disposition d'esprit et il te faut bien comprendre mon intention. Pourquoi cela ? Il n'y a maintenant plus de différence entre toi et moi. Il te faut redoubler de prudence afin de ne pas permettre de pertes. » Dès lors, l'enfant pauvre reçut son instruction et maîtrisa la connaissance des nombreuses possessions : or, argent, matières précieuses ainsi que les entrepôts, mais il ne lui vint pas à l'esprit de vouloir s'approprier ne fût-ce que l'équivalent d'un repas. Et cependant il demeurait encore en son lieu d'origine, sans être capable de renoncer à la vilenie de sa pensée. Il se passa encore quelque temps, et le père connut que la mentalité de son fils s'était graduellement épanouie, qu'il avait enfin réalisé en lui une volonté de grandeur et qu'il n'avait plus que mépris pour sa précédente disposition d'esprit. À l'article de la mort, il ordonna à son fils de se rencontrer avec le roi, les ministres, les nobles et les maîtres de maison; quand tous furent rassemblés, il leur fit lui-même cette proclamation : « Sachez, messieurs, que celui-ci est mon fils, celui que j'ai engendré; c'est en telle cité qu'il m'a abandonné pour s'enfuir; il a vagabondé et souffert pendant plus de cinquante ans. Son nom d'origine est Untel, le mien est Untel et Untel. Autrefois, dans ma ville d'origine, rongé d'angoisse, j'avais mené des recherches et tout d'un coup c'est dans ces parages que je l'ai retrouvé par hasard. il est réellement mon fils et je suis réellement son père. À présent, l'ensemble des biens que je possède sont tous à lui; c'est mon fils qui connaît les dépenses et les revenus qui ont eu lieu précédemment. » Vénéré du monde, au moment où l'enfant pauvre entendit ces mots de son père, il se réjouit grandement, comme jamais auparavant et il eut cette pensée : je n'avais originellement pas le coeur à rien rechercher et voici qu'à présent ces trésors, spontanément, m'arrivent. Vénéré du monde, le richissime maître de maison, c'est l'Aînsi-Venu, et nous tous, nous ressemblons aux fils de l'Éveillé. L'Aînsi-Venu prêche toujours que nous sommes ses enfants. Vénéré du monde, nous autres, en raison des trois sortes de douleur, nous subissons la touffeur des passions au sein des naissances et des morts. Égarés, inscients, nous nous délectons de notre attachement à des enseignements mineurs. En ce jour, le Vénéré du monde nous a amenés à réfléchir et à déblayer les immondices des puériles tractations de ces enseignements, alors que nous, nous redoublions de zèle dans ceux-ci afin de gagner le salaire d'une journée qu'est l'accès à l'Extinction; une fois celui-ci gagné, nous nous en réjouissons grandement, nous l'estimons suffisant et nous prétendons alors, grâce à notre zèle appliqué dans la doctrine de l'Éveillé, avoir fait des acquis vastes et abondants. Or, le Vénéré du monde savait à l'avance que notre pensée s'attacherait à des désirs dépravés et que nous nous complairions à des enseignements mineurs; nous avons alors été laissés à nous-mêmes et il ne nous a pas fait remarquer : « Vous aurez part au trésor qu'est le savoir et la vision d'Éveillé. » Alors que le Vénéré du monde, de par le pouvoir de ses expédients, prêche la sagesse d'Aînsi-Venu, nous autres, ayant gagné de l'Éveillé ce salaire d'une journée qu'est l'Extinction, nous estimons avoir fait là grand gain et, pour ce qui est de ce Grand Véhicule, nous n'avons plus la volonté de le rechercher. Nous-mêmes, par ailleurs, du fait que la sagesse d'Aînsi-Venu avait été révélée et exposée aux êtres d'Éveil, n'avions à cet égard nul souhait ni volonté. Pourquoi cela ? L'Éveillé savait que notre pensée se complaisait dans l'attachement aux enseignements mineurs et, de par le pouvoir de ses expédients, prêchait ce qui nous était approprié, si bien que nous ne savions pas que nous étions en vérité enfants de l'Éveillé. Nous venons à présent de nous en rendre compte; le Vénéré du monde, en ce qui concerne la sagesse d'Éveillé, est dépourvu d'avarice. Comment cela ? Nous sommes de longue date de vrais fils d'Éveillé et, pourtant, nous ne nous complaisions que dans les enseignements mineurs. Si nous avions une pensée se complaisant dans le Grand, l'Éveillé nous aurait alors prêché la Loi du Grand Véhicule. Dans ce livre, il ne prêche plus que le Véhicule unique; alors qu'aux temps anciens, en présence des êtres d'Évei, il avait blâmé les auditeurs de se complaire dans les enseignements mineurs, l'Éveillé a cependant, en réalité, enseigné et converti par le Grand Véhicule. C'est pourquoi nous disons qu'alors que nous n'avions originellement pas l'esprit à rien rechercher, voici que le grand trésor du roi de la Loi, spontanément, nous arrive. Tout ce qu'en tant que fils de l'Éveillé nous devions obtenir, nous l'avons désormais obtenu. Alors Mahâkâçyapa, voulant réitérer cette idée, s'exprima en stances : Nous autres en ce jour,
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