Question : Une question m'est venue en lisant « Lotus Seeds ». Je viens de terminer la lecture de la première partie et j'aimerais mieux comprendre ce que signifie prendre refuge dans les trois trésors.

Je comprends que l’on prenne refuge dans le Bouddha et le Dharma, puisque le Bouddha éternel et le Dharma sont inconditionnés et « toujours présents ». Mais j'ai plus de difficultés avec le Sangha. Je pratique le bouddhisme depuis environ 2 ans et j'ai déjà vécu plusieurs séparations de Sangha et beaucoup de tensions. Je pense que c'est inévitable puisque les humains sont ce qu'ils sont, loin d'être parfaits, mais alors, comment et pourquoi devrions-nous prendre refuge dans quelque chose d'aussi instable ?

Réponse : Concernant ta question sur le Sangha, permet-moi de préciser que le Sangha ne désigne pas une institution ou une communauté de personnes non-éveillées qui ne sont bouddhistes que de nom. Il s'agit plutôt de l’ensemble de personnes qui respectent réellement le Dharma et ont atteint ainsi un certain degré d'éveil et de libération. Je vais t’épargner les descriptions techniques. Fondamentalement, ceux qui respectent réellement le Dharma sont ceux qui, pour le moins, ont surmonté les doutes qui les auraient empêchées de prendre sincèrement refuge, comprenant qu'il n'y a pas de soi substantiel auquel s'accrocher, et réalisant également que de simples pratiques extérieures ou des préceptes n'apportent pas la libération ; ceux qui contrôlent suffisamment leur avidité et leur haine pour ne plus perpétuer les causes menant aux quatre mondes-états inférieurs. A mesure qu'ils progressent, ils apprennent à se contrôler davantage et finissent par éteindre l'avidité, la haine, l'orgueil, l'agitation, le désir d'une existence continue dans les mondes célestes (cela peut désigner également une préférence addictive pour des méditations subtilement béates) et l'ignorance fondamentale. Prendre refuge dans le Sangha signifie croire que si le Bouddha s'est réellement éveillé, et que le Dharma a été transmis correctement ou du moins est toujours une réalité à laquelle on peut s'éveiller, alors il y aura toujours quelque part ce genre de personnes avec différents degrés de maturité spirituelle. Prendre refuge dans le Sangha signifie rechercher ces personnes, être inspiré par elles, et si possible, pratiquer avec elles. Le Bouddha lui-même s'est éloigné de différents groupes de moines inappropriés et ne s'associait qu'avec les moines qui étaient à la hauteur ou qui du moins essayaient sincèrement de l'être. Les préceptes enseignés par le Bouddha visaient essentiellement à déterminer quelles actions des moines n'étaient pas conformes aux normes de son époque.

Enfin, le Bouddha nous conseille de ne pas pratiquer avec ceux qui ont perdu l’esprit, et si nous ne trouvons pas de personnes sages avec qui pratiquer, de le faire seul, comme un rhinocéros dans la forêt (peut-être voulait-il dire un éléphant solitaire). En d'autres occasions, il a admonesté des moines qui préféraient rester seuls, leur expliquant qu'être autonome ne signifiait pas ne pas s'associer aux autres mais plutôt de se libérer de l'avidité, de la haine et de l'illusion.

Il y a aussi une façon plus profonde de voir cela. Si le Bouddha et le Dharma sont inconditionnés, alors pourquoi le Sangha ne ferait-il pas également référence à quelque chose d'inconditionné, c'est-à-dire d’éternellement présent ? En fait, du point de vue du Mahayana, tous les dharmas (phénomènes) étant sans nature propre, sont hors des naissances-morts, et donc inconditionnés. Le bouddhisme Mahayana n'enseigne pas que certaines choses sont conditionnées et d’autres inconditionnées. Cette idée est rejetée en tant que mode de pensée hinayana (provisoire).

Donc, si le Bouddha et le Dharma sont présents ici et maintenant, comment se manifestent-ils ? Ne les vois-tu pas justement à l'œuvre dans ce qui se manifeste comme des phénomènes conditionnés ? Il en va de même pour le Sangha. Si le Sangha est la présence inconditionnelle de l'esprit d'Éveil (ou de la nature de Bouddha) dans tous les êtres, alors tu le verras au travers de la nature phénoménale apparemment conditionnée de ces êtres. Même les faux-pas sont le témoignage de la nature de Bouddha. C'est l’inclusion mutuelle des dix mondes-états. Le Bouddha-Dharma-Sangha du monde-état de bouddha se manifeste différemment dans les mondes-états inférieurs. Le monde-état de bouddha est l’effet que nous recherchons tous, les monde-états inférieurs contiennent les causes de cet effet désiré. La véritable nature de cet effet (la bouddhéité) est de s’associer avec et d’œuvrer au travers de la causalité des neuf mondes-états inférieurs.

Dans les neuf mondes inférieurs, le Sangha imparfait suit le Dharma d’une manière imparfaitement comprise et pratiquée afin d'atteindre une bouddhéité imaginaire imparfaite. Les personnes sont inspirées et guidées par l’idée du Sangha parfait, qui suit le Dharma parfaitement compris et pratiqué du Bouddha parfait du monde-état de Bouddha. C'est l'unicité de cause et d'effet.

Question :
Merci pour ta réponse, je l’ai lu plusieurs fois mais je ne suis pas sûr d'avoir tout compris.

Dans le premier paragraphe, tu parles de deux types de personnes : les personnes « non-éveillée » et les personnes qui ont atteint un certain degré d'éveil et de libération. Cela m'amène à me demander : penses-tu qu'au cours de la vie d'un pratiquant bouddhiste, il existe une sorte de point de non-retour où, quelles que soient les souffrances de la vie (maladie, choc émotionnel, ...), on ne retombe pas dans ces mauvais schémas (probablement l'une des quatre mauvaises voies) ? Pour moi, ce serait comme un message d'espoir et en même temps, une sorte de peur (quand vais-je l'atteindre et comment savoir quand je l'aurai atteint...). Et surtout, n'est-ce pas contradictoire avec la possession mutuelle des dix mondes-états ? Et comment être sûr que la personne qui dirige le sangha à atteint ce niveau ?

Venons-en maintenant au dernier paragraphe. De manière très simplifiée, pourrions-nous dire que la perfection des Trois Trésors est cachée par notre obscurité fondamentale, mais que nos efforts (causes) pour l'atteindre, et notre foi/confiance qu'ils existent quelque part en nous, sont le chemin vers l'éveil (effet) ?

Réponse : Tu poses de très bonnes questions. Les réponses à certaines d'entre elles sont techniques car elles sont apparues au cours du développement du bouddhisme en Inde et en Asie de l'Est, et je vais donc m'inspirer des réponses traditionnelles :

« Penses-tu qu'au cours de la vie d'un pratiquant bouddhiste, il existe une sorte de point de non-retour où, quelles que soient les souffrances de la vie (maladie, choc émotionnel, ...), on ne retombe pas dans ces mauvais schémas (probablement l'une des quatre mauvaises voies) ? »

C'est tout à fait le cas dans le bouddhisme où les pratiquants sont censés atteindre un point de non-retour. Dans le bouddhisme hinayana, ce point est appelé « entrée dans le courant ». Je l'ai décrit dans mon dernier courriel :

« Fondamentalement, ceux qui respectent réellement le Dharma sont ceux qui, pour le moins, ont surmonté les doutes qui les auraient empêchées de prendre sincèrement refuge, comprenant qu'il n'y a pas de soi substantiel auquel s'accrocher, et réalisant également que de simples pratiques extérieures ou des préceptes n'apportent pas la libération ; ceux qui contrôlent suffisamment leur avidité et leur haine pour ne plus perpétuer les causes menant aux quatre mondes-états inférieurs. »

Tout cela décrit « l'entrée dans le courant », le premier niveau de réalisation pour ceux qui se trouvent dans le monde des auditeurs (Shravakas, les disciples qui écoutent la voix, la SGI l’appelle l’état d’étude). Ils pourraient même aller jusqu’à l’état d’arhat dans leur vie actuelle mais en fait cela prend jusqu’à sept vies supplémentaires, toutes dans les mondes-états des hommes et du ciel.

Dans le bouddhisme Mahayana, les bodhisattvas très avancés sont censés atteindre l'état de non- rétrogression. Voici la définition de mon dictionnaire à ce sujet :

Non-rétrogression :
(S. avaivartika ou avivartika ou avinivartanīy ; J. abibatchi/abeibatchi ou futaiten ou futai ou ayui-otchi ; 阿毘跋致/阿鞞跋致 ou 不退転 ou 不退 ou 阿惟越致) Aussi traduit par "irréversible" ou "irrévocable". C'est l'état mental dans lequel les pratiquants du bouddhisme parviennent à l'éveil le plus élevé sans retomber dans les stades spirituels inférieurs. C'est l'état dans lequel on est assuré d'atteindre la bouddhéité.

La non-rétrogression diffère toutefois de « l'entrée dans le courant », car le pratiquant qui « entre dans le courant » est assuré d'atteindre le nirvana hinayana, qui consiste à réduire son corps en cendres et à éteindre sa conscience (c'est-à-dire qu'il croit qu'il ne renaîtra plus). La non- rétrogression atteinte par les bodhisattvas avancés garantit qu'ils atteindront l'état de bouddha, même s'ils ont encore de nombreuses vies à vivre avant d'être mûrs.

« Pour moi, ce serait comme un message d'espoir et en même temps, une sorte de peur (quand vais-je l'atteindre, et comment savoir quand je l'aurai atteint...). »

Cette anxiété à propos du quand et comment du stade de non-rétrogression est un thème récurrent dans la spiritualité bouddhiste mahayana de toutes les écoles. Il apparaît dès les premiers sutras de la Perfection de la Sagesse, dans les sutras de la Terre Pure et dans le Sutra du Lotus. Dans le Sutra du Lotus que nous utilisons pour notre programme d'étude, il est fait référence à la « non-régression ». Il y a 26 endroits où ces termes sont utilisés. Un de ceux-ci se trouve au chapitre XII, dans le passage parlant de la fille du Roi-dragon. Il est dit : « Elle a déployé en un instant la pensée de l'Éveil et a obtenu un état de non-régression ». Et nous qui récitons daimoku, sommes ceux dont parle le Bouddha lorsqu'il dit au chapitre XIV : « Il maîtrisera les mantra-dharani et attestera la sagesse sans régression. » L'essentiel ici est que nous pouvons être assurés que nous avons atteint le stade de non-régression simplement par le fait que nous sommes capables de rencontrer le Sutra du Lotus, de le recevoir et garder, de nous en réjouir et d'être motivés à le mettre en pratique.

« Et surtout, n'est-ce pas contradictoire avec la possession mutuelle des dix mondes-états ? »

C'est une très bonne question. Si l'on parle de ne plus naître dans les quatre mondes inférieurs ou de l'atteinte de la bouddhéité garantie aux bodhisattvas avancés, on a l'impression que les mondes-états inférieurs seraient définitivement supprimés, ce qui annulerait leur possession mutuelle. D'autre part, si nous disons que la libération de la souffrance dans les six mondes inférieurs, obtenue par les quatre mondes supérieurs, n'est que transitoire, alors les dix mondes-états ne seraient qu'impermanents et sujets à la souffrance et il n'y aurait aucun nirvana d'aucune sorte.

Une partie du problème ici est que les gens ne comprennent pas à quel point les quatre mondes supérieurs sont sublimes, ils pensent qu'ils sont faciles à atteindre alors qu'en fait ils décrivent des états qui ne peuvent être atteints que par un effort conscient. Un deuxième problème est que pour encourager les gens à rechercher l’étude, l'enseignement provisoire présentait ces quatre mondes-états supérieurs comme s’ils n’avaient aucun lien avec les six mondes inférieurs. Voici donc comment cela fonctionne :

Les six mondes inférieurs sont parcourus par ceux qui s’obstinent à rechercher le bonheur inconditionnel dans les phénomènes conditionnés. Dans les quatre mondes-états inférieurs, ils le font d’une manière très malsaine pour eux-mêmes et pour les autres et, dans les mondes-états humain et céleste, ils le font d’une manière relativement saine pour eux-mêmes et pour les autres.

Tous ceux qui se trouvent dans les quatre mondes-états supérieurs ont compris (et une fois qu'ils en ont pris conscience cela change à jamais leur façon de voir le monde) qu'il est impossible d'obtenir un bonheur inconditionnel à partir de phénomènes conditionnés et que, par conséquent, on ne peut que se libérer de ses attachements au conditionné pour que l'inconditionné (le nirvana) puisse se manifester. Le nirvana n'est cependant pas une chose. Il s'agit plutôt d’absence de tout phénomène. On pourrait en tout cas dire que ces personnes ayant atteint les monde-états supérieurs n’ont plus d’illusions sur les promesses et menaces des six mondes-états inférieurs et qu'ils sont spirituellement libérés de tout cela. Ils sont également libérés du questionnement sur soi parce qu'ils ont pris conscience qu'il n'y a jamais existé un soi permanant, indépendant et immuable.

Chacun des six mondes-état est inclus dans l'autre de diverses manières. Un être humain peut se sentir très mal ou en grande détresse dans un état céleste. Le monde-état du Ciel peut faire sentir son existence par des miracles ou des sentiments momentanés de transcendance à ceux qui se trouvent dans les mondes-états inférieurs. Les dieux des mondes-états célestes sont angoissés à l’idée de voir leur pouvoir s'épuiser et de tomber dans un monde-état inférieur.

Les deux mondes supérieurs des auditeurs (Shravakas) et Eveillé pour soi (Pratyekabuddha) sont, bien sûr, des états atteints par ceux qui se trouvent dans les mondes des Hommes ou du Ciel. De ce seul fait, ils sont impliqués d'une certaine manière dans les autres mondes inférieurs. Ils possèdent également la nature de bouddha et sont donc inconsciemment poussés dans leurs activités et leurs aspirations par les mondes de bodhisattva et de bouddhéité qui sont en eux, mais dont ils n’ont pas encore conscience. Selon l'enseignement du véhicule unique, ils réaliseront qu'ils ont toujours été sur le véhicule de la bouddhéité et deviendront alors bouddhas.

Les bodhisattvas peu avancés peuvent apparaître dans n'importe lequel des mondes inférieurs. Ils ne réalisent pas non plus que le monde-état de bouddha est déjà en eux. Les bodhisattvas avancés peuvent également continuer à se manifester dans tous les monde-états inférieurs. Les bodhisattvas avancés non régressifs et/ou ceux qui pratiquent le Véhicule Unique peuvent même apparaître comme des auditeurs et des éveillés pour soi, ainsi que dans des mondes-états inférieurs. Ils se sentent assurés de la bouddhéité, mais ne réalisent peut-être pas que la bouddhéité se manifeste déjà en eux.

Les bouddhas réalisent pleinement la possession mutuelle des dix mondes et peuvent donc se manifester comme des bodhisattvas, apparaissant dans et à travers n'importe lequel des autres mondes.

En résumé, les personnes se trouvant à des stades inférieurs de développement peuvent recevoir des enseignements provisoires qui donnent l'impression que les mondes inférieurs sont isolés et que les mondes supérieurs relatifs sont hors de portée. Mais les bodhisattvas avancés et les bouddhas réalisent que les mondes-états se possèdent tous mutuellement et peuvent participer à tous les monde-états librement, sans craindre de perdre la perspicacité et la maturité qui les placent principalement dans les conditions de vie du bodhisattva ou du bouddha.

J'espère avoir un peu éclairci cela.

« Et comment être sûr que la personne qui dirige le sangha à atteint ce niveau ? »

C'est une question qui relève du discernement et du jugement personnel de chacun. Cependant, l'or peut être transporté dans un vieux sac laid, et on peut stocker de la merde dans une urne antique. Pour ma part, j'ai toujours été encadré par des personnes que je connaissais depuis assez longtemps pour pouvoir leur faire confiance et les respecter et dont j'étais sûr qu'elles en savaient suffisamment pour combler ma soif d’apprendre. Je suppose que tu dois simplement continuer à te demander : « Est-ce que j’apprends, est-ce que je suis encouragé, est-ce que je suis inspiré, et est-ce que ce qu'ils enseignent est conforme à ce qu'ils prétendent enseigner ? »

« J'en viens maintenant au dernier paragraphe. D'une manière très simplifiée, pourrions-nous dire que la perfection des Trois Trésors est cachée par notre obscurité fondamentale, mais que nos efforts (causes) pour l'atteindre, et notre foi/confiance qu'ils existent quelque part en nous, sont le chemin vers l'illumination (effet) ? »

Oui, je dirais cela. Et tu as raison de dire que c’est à l'intérieur de nous, et cela se reflètera à divers degrés à l'extérieur également. D’après ce qu’on m’a dit, au moment de l’éclosion le poussin perce la coquille de l'extérieur et la poule de l’extérieur. Ainsi, notre propre nature de bouddha nous pousse à essayer de voir au-delà de nos vues limitées et la nature de bouddha autour de nous répondra et nous aidera à nous libérer de la coquille de l'illusion. Il existe une expression technique qui apparaît souvent dans le bouddhisme d'Asie orientale à ce sujet (y compris dans notre école) :

Concordance des sentiments et de la réponse :
(J. kannō ou kannō-dōkō ; 感応 ou 感応道交) Les idéogrammes 感応 peuvent aussi être traduits par " résonance sympathique " ou " stimulus et réponse " ou " résonance et réponse. " La correspondance entre la capacité ou la réceptivité des êtres sensibles et la réponse d'un bouddha ou d'un bodhisattva avancé.*

Merci encore une fois pour ces très bonnes questions.

Namu Myoho Renge Kyo

Ryuei