L’exclusivisme de Nichiren dans une perspective historique


8 - Conclusion

Jacqueline I. STONE*


Ce bref aperçu permet de voir que l’exclusivisme nichirénien est bien plus complexe qu’une simple “intolérance”. Il fut rarement une pure doctrine religieuse (bien que cela aussi jouât un certain rôle). A chaque époque, il fut lié à des intérêts spécifiques sociaux, politiques et institutionnels. Au cours de la période médiévale, il servit à concrétiser une résistance envers diverses formes d’autorité politique, était supprimé sous le règne des Tokugawa, resurgit avec une orientation fortement nationaliste à l’ère Meiji et fut repris comme base d’un mouvement pour la paix dans les années d’après-guerre.

Bien que la revendication d’être l’unique possesseur du Dharma conduisant à la délivrance dans les Derniers Jours du Dharma traverse toute la doctrine de Nichiren, l’école nichirénienne, en tant qu’institution, a rarement été engagée de façon globale dans une pratique de shakubuku de confrontation. Au contraire, une certaine tension a toujours existé entre les factions prônant la confrontation et celles plus accommodantes, les frontières entre les deux se modifiant fréquemment au gré des développements institutionnels et des changements sociaux.

Parfois les deux tendances se sont tenues en équilibre, chacune tempérant l’extrémisme de l’autre ; à d’autres moments les tensions entre elles ont produit des conflits néfastes à l’intérieur de l’école. L’exclusivisme rigoureux et le shakubuku de confrontation semblent refaire surface avec force à des moments de troubles sociaux, ou lors  d’un danger national, ou quand une branche de l’école ressent le besoin d’affirmer la supériorité de son orthodoxie vis-à-vis des autres. Car si shakubuku est une pratique dirigée vers ceux qui n’ont pas foi dans le Lotus, c’est aussi un acte d’auto-affirmation proclamant la fidélité à Nichiren face aux autres courants de la même tradition.

Il est donc extrêmement difficile d’évaluer l’exclusivisme nichirénien de façon univoque. Historiquement, il provoqua des conflits et même des persécutions ; aujourd’hui il irrite ceux qui sont ouverts au pluralisme. Par ailleurs, il a mobilisé plus d’énergie, de dévotion et d’abnégation que les formes plus modérées du courant nichirénien. En faisant de la foi dans le  Sutra du Lotus une source d’autorité transcendante, il a ouvert la voie à la critique et à la contestation du statu quo.

En dépit de quelques voix isolées appelant à une résurgence du shakubuku de confrontation, (réf. et note) la prépondérance est actuellement du côté des modérés qui estiment que cela s’accorde mieux avec la rhétorique contemporaine de tolérance et de pluralisme. On peut aussi penser que le débat en faveur du shakubuku de style traditionnel a subi l’épreuve des études critiques bouddhistes modernes qui démontrèrent que ni le Sutra du Lotus ni aucun autre sutra bouddhiste ne peuvent être considérés comme les mots du Bouddha au sens strict et que toute discussion concernant leurs mérites relatifs doit être basée sur des considérations autres que celles accordées par la tradition aux prédications de Shakyamuni.

En tout état de cause, le bouddhisme nichirénien actuel doit faire face à un défi majeur, qu’il a en commun avec d’autres religions revendiquant une vérité exclusive : comment coopérer et respecter les autres traditions, tout en préservant sa propre intégrité. Il ne faudrait pas non plus négliger la possibilité d’une réémergence de l’exclusivisme nichirénien sous une forme inattendue. Depuis le XIIIe siècle, cet exclusivisme s’est avéré assez charismatique pour s’adapter encore et encore aux nouvelles circonstances historiques.

Original dans

http://ebookbrowse.com/search/the-lotus-sutra

http://www.princeton.edu/~jstone/Articles%20on%20the%20Lotus%20Sutra%20Tendai%20and%20Nichiren%20Buddhism/Rebuking%20the%20Enemies%20of%20the%20Lotus%20-%20Nichirenist%20Exclusivism%20in.pdf

http://nirc.nanzan-u.ac.jp/publications/jjrs/pdf/421.pdf

Copyright Jacqueline I. Stone.

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