Donald S. Lopez Jr. et Jacqueline I. Stone ; Princeton University Press Chapitre quatorze - Pratiques paisibles |
Ce chapitre poursuit le thème de la pratique "dans les mauvais âges à venir" après le nirvana du Bouddha. Il commence avec Manjushri qui demande au Bouddha comment les bodhisattvas qui enseignent le Sutra du Lotus doivent se comporter dans les temps difficiles à venir (reflétant probablement encore une fois, l'expérience des fidèles au moment de la compilation du Sutra). Le corps du chapitre explique en détail quatre types de pratiques que les bodhisattvas du Mahayana doivent suivre pour enseigner le Sutra du Lotus à cette époque dégénérée, à savoir les actions du corps, la parole, les pensées et les vœux. En Chine, elles seront résumées par les "quatre pratiques paisibles" (si anle xing). L'expression "pratiques paisibles" (anrakugyo) dans le titre du chapitre, parfois traduite par ''pratiques aisées'' peut désigner une stabilité tranquille de l'esprit au milieu de toutes les activités. Huisi , le maître de Zhiyi , l’a appelé "pratique sans caractéristiques", c'est-à-dire une méditation qui n'est pas définie par une posture ou un cadre rituel spécifique, mais qui peut être effectuée au cours de toute autre activité. De nombreuses instructions du Bouddha pour une ''pratique paisible'' dans ce chapitre évoquent des ''actions qui n'offensent pas''. Par exemple, le bodhisattva (qui ici est manifestement supposé être un moine) doit se tenir à l’écart des rois, des princes, des ministres, hauts fonctionnaires, des liens qui pourraient entraîner le sangha dans des conflits politiques. Il ne doit pas s'associer avec des hors-castes, des lutteurs, des clowns, des jongleurs, des courtisanes, des bouchers ou d'autres personnes en marge de la société dont la compagnie pourrait susciter des critiques sociales. Il doit éviter les situations qui pourraient sembler compromettantes, par exemple une association étroite avec des femmes ou avec des personnes de sexe ambigu. En fait, il ne doit pas parler aux femmes ; s'il leur enseigne le Dharma, il ne doit pas montrer ses dents quand il sourit, et il ne doit pas se dénuder. Un bodhisattva doit éviter les moines et les nonnes qui suivent le Véhicule des shravaka. Il ne doit pas avoir pour disciples de jeunes garçons. Il ne doit pas non plus susciter l'inimitié des autres en critiquant sévèrement leurs opinions ; au contraire, il doit toujours être doux et tolérant. D'autres instructions concernent le comportement mental et l'attitude du bodhisattva dans la prédication. Il devrait toujours tirer ses explications du Mahayana et non des enseignements du Véhicule des shravakas. Il ne doit pas s'attendre à des offrandes de vêtements, de literie, de nourriture ou de médicaments, mais penser uniquement à l'enseignement du Dharma. Il ne doit pas se faire enseigner lors de disputations doctrinales mais toujours être motivé par la compassion, se libérant de la jalousie, de la colère, de l'orgueil et de la fausseté. Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses instructions données dans ce chapitre. Le Bouddha poursuit en expliquant que le bodhisattva qui a maîtrisé ces injonctions sera irréprochable dans l'enseignement du Dharma et sera respecté par tous les membres de la société, y compris les rois, les ministres, les moines, les nonnes, les roturiers et les chefs de famille. Les dieux l'accompagneront et le protégeront lorsque les gens viendront lui poser des questions. Les bâtons et les pierres ne l’atteindront pas, le poison ne lui fera pas de mal et la bouche de ceux qui le calomnient sera scellée.
Soulignant une fois de plus à quel point le Sutra du Lotus est rare, le Bouddha déclare :
Le chapitre se termine par la sixième des sept paraboles du Sutra Lotus, l'une des plus énigmatiques, la parabole du joyau inconcevable dans l’ushnisha (protubérance au sommet du crâne d’un bouddha). Lorsqu'un Chakravartin décide d'aller à la guerre, il rassemble son armée ; ensuite, il accorde toutes sortes de cadeaux aux combattants qui se sont courageusement acquittés de leur tâche dans la bataille. Mais il ne leur donne pas son trésor le plus précieux, le joyau de son ushnisha. S'il le faisait, ses serviteurs seraient mécontents. Mais il finit par l'offrir. De la même manière, le Bouddha enseigne de nombreuses doctrines, mais dans un premier temps il n'enseigne pas le Sutra du Lotus. Finalement,
Nichiren connaissait parfaitement le Sutra du Lotus et, comme il l'a fait pour d'autres chapitres, il s'est parfois inspiré de phrases et de passages du chapitre Pratiques paisibles pour étayer son enseignement. Par exemple, il cite la déclaration qui suit la parabole du joyau dans l’ushnisha :
- pour réfuter les affirmations selon lesquelles les enseignements secrets ou ésotériques dépassaient le Sutra du Lotus. Il a cité le passage : « en d'innombrables royaumes, on ne peut pas même entendre le titre de ce Sutra du Lotus du Dharma », pour souligner l'immense chance d'être né dans un pays où, bien que loin du lieu de naissance du bouddhisme en Inde, on pouvait rencontrer le Sutra du Lotus et réciter son daimoku . Il a également cité la référence au "les mauvais âges à venir" du chapitre Pratiques paisibles , que son prédécesseur Saicho avait spécifiquement identifié à l'âge du Dharma final , et invoquait fréquemment l'affirmation selon laquelle le Lotus « a de nombreux ennemis dans l'ensemble des mondes, qui est difficilement croyable ». Néanmoins, il a explicitement rejeté les "quatre pratiques paisibles" du chapitre comme étant inadaptés à son époque. Ces pratiques étaient appropriées, dit-il, dans les époques précédentes, les âges du Dharma correct et du Dharma formel , mais elles n'étaient pas adaptées à l'âge du Dharma final .
Nichiren considérait plutôt que la situation au Japon de son temps exigeait l'approche shakubuku : Maintenant, à une époque où les enseignements provisoires et définitifs sont inextricablement mêlés, il ne serait pas moins anormal de s'isoler dans les montagnes, de suivre la pratique aisée de shoju, et d'éviter de réfuter les ennemis du Sutra du Lotus. La personne qui le ferait perdrait toute chance de pratiquer le Sutra du Lotus. Aujourd'hui, à l'époque des Derniers jours du Dharma, qui accomplit la pratique de shakubuku en parfait accord avec le Sutra du Lotus ? Imaginez qu'une personne, peu importe qui, proclame haut et fort que seul le Sutra du Lotus peut mener les hommes à la bodhéité et que tous les autres sutras, loin de leur permettre d'atteindre l'Éveil, ne peuvent que les précipiter en enfer. Observez alors ce qui se passera si cette personne essaye de réfuter les maîtres et les doctrines de toutes les autres écoles. Les trois grands ennemis ne manqueront pas d'apparaître.
|