Célébration du parinirvana du Bouddha Shakyamuni par le Réverend Ryuei McCormick Le Bouddha historique était une personne réelle 7 février 2021 Arthur C. Clarke a dit : ''On n’arrive pas distinguer de la magie une technologie suffisamment avancée''. J'aimerais proposer ceci : ''On n’arrive pas à distinguer le divin d'une maturité suffisamment avancée.'' Je dis cela en gardant à l'esprit l'image pratiquement surhumaine, voire divine, que beaucoup d'entre nous ont du Bouddha historique Shakyamuni, dont nous commémorons aujourd'hui la mort ou, pour parler plus techniquement, le parinirvana. J'aimerais examiner cela d'un peu plus près. Pour commencer, selon les récits du canon de pali, le Bouddha historique Shakyamuni était apparemment une figure très impressionnante comme l'illustre le récit suivant : Un jour, le Bienheureux marchait sur la route entre Ukkattha et Setavya. Et il se trouve que le brahmane Dona marchait également sur cette route. Dona le brahmane a vu sur les empreintes du Bienheureux les traces de roues à mille rayons, avec jante et moyeu, parfaites à tous égards. En voyant ces marques, il s'est dit : "C'est vraiment merveilleux, c'est étonnant ! Ce ne sont certainement pas les empreintes d'un être humain". Entre-temps, le Bienheureux avait quitté la route et s'était assis sous un arbre non loin de là, jambes croisées, le corps droit, méditant en pleine conscience. Dona le brahmane, suivant les traces du Bienheureux, l'a vu assis sous l’arbre, d'apparence agréable, inspirant confiance, avec des traits calmes et un esprit serein, dans un calme parfait et un équilibre contrôlé et concentré (comme) un éléphant bien dressé.
De toute évidence, beaucoup de contemporains du Bouddha ne croyaient pas qu'il pouvait être un simple être humain. Pourtant, curieusement, dans cette histoire, le Bouddha nie à la fois l'humanité et la divinité. L'affirmation qu'il fait pour lui-même est que, contrairement aux dieux ou aux humains, il est un "bouddha", un terme qui signifie qu'il est éveillé - spirituellement éveillé d'une manière qui fait de lui, comme on l'a appelé plus tard, un maître à la fois des dieux et des hommes. Mais cela signifie-t-il que le Bouddha était omniscient, qu'il n'avait pas de sentiments humains, qu'il ne faisait jamais d'erreurs ? Il est certain que les gens semblaient avoir cette impression. Pourtant, le canon pali, le plus proche que nous ayons de la vie et des enseignements du Bouddha historique, enregistre quelques incidents intrigants qui me donnent l'impression qu'il était capable de faire ou de dire des choses qui avaient des conséquences qu'il n'avait pas prévues ou anticipées et qu'il était capable essuyer des échecs, malgré les affirmations ultérieures qui ont fait que le Bouddha semblait être une figure divine très éloignée de l'humanité. Le premier incident est tiré du Vinaya, le registre des préceptes monastiques : A une époque, le Bouddha séjournait à Vaishali dans le monastère de la Grande Forêt de Bambous. À cette époque, il a appris aux moines à contempler l'impureté du corps. Il leur a dit :
Ce n'était pas un incident mineur. C'est la raison pour laquelle le Bouddha a dû donner l'un des quatre préceptes traitant des transgressions extrêmes qui menaient à une expulsion définitive du Sangha. Notez bien que le Bouddha a demandé : "Ananda, pourquoi le Sangha des moines a-t-il tellement diminué ?" On peut se demander pourquoi le Bouddha ne le savait pas déjà, s'il était omniscient ? Lorsque le Bouddha a réuni les moines et leur a appris, à la demande d'Ananda, à contempler le souffle au lieu de l'impureté, avec une méthode de méditation différente, cela n'implique-t-il pas la reconnaissance que la méthode de contemplation de l'impureté n'était pas la meilleure à donner aux moines qui, n’étant pas supervisés, s'étaient suicidés ? La réprimande du Bouddha à l'encontre des moines n'implique-t-elle pas que leur réaction était un malentendu sur le but de la contemplation de l'impureté ? Si oui, cela ne signifie-t-il pas que le fait que le Bouddha ait enseigné la contemplation de l'impureté aux moines qui se sont suicidés n’étant pas supervisés était une conséquence involontaire de son enseignement ? Et une conséquence involontaire n'est-elle pas une erreur ? Cette histoire implique-t-elle que le Bouddha historique Shakyamuni n'était pas toujours infaillible lorsqu'il dispensait des moyens habiles d'enseignement et de pratique ? Il y a d'autres discours dans le canon pali où le Bouddha dit qu'il sait tout ce qu'il faut savoir sur le monde : son origine, sa cessation et le chemin vers sa cessation, et qu'il est possible pour un moine ou un sage brahmane de tout savoir et de tout voir, mais pas en un seul instant. Je suppose que l'on pourrait prendre ces affirmations au pied de la lettre. Mais je dirais que la partie concernant la connaissance du monde, de son origine, de sa cessation et du chemin vers sa cessation est une réaffirmation des quatre nobles vérités. Je pense qu'il y a plusieurs approches différentes que nous pouvons adopter ici. Nous pouvons croire que le Bouddha était omniscient, qu'il connaissait tous les événements passés, présents et futurs, toutes les sciences et les philosophies, et même des choses que nous n'avons pas encore découvertes, et que lorsqu'il a demandé à Ananda où étaient les moines disparus, il a simplement fait semblant d'accepter les limites humaines communes par courtoisie ou par habileté. De même, le suicide collectif des moines n'était pas une conséquence involontaire, mais une chose que le Bouddha savait inévitable ou bien un effet collatéral nécessaire des moyens habiles pour montrer d'abord l'inefficacité de l'enseignement de la contemplation de l'impureté à certaines personnes et démontrer combien il est plus sûr d'enseigner la contemplation de la respiration. Ou alors, vous pouvez croire que le Bouddha savait les choses essentielles du monde qui doivent être connues, qu'il n'était pas embourbé dans les détails ou les banalités, qu'il savait que peu importe à quel point vous êtes un bon maitre, il y aura toujours des personnes qui vous comprendront mal, au détriment d'elles-mêmes et des autres. Voyons maintenant si le Bouddha Shakyamuni pouvait avoir des sentiments d’échec. On pense parfois que le Bouddha, ou quelqu'un qui a atteint la bouddhéité, sera immunisé contre toute sorte de souffrance, y compris les sentiments de tristesse et d’échec. Et pourtant, il y a l’histoire suivante : vers la fin de la vie du Bouddha, deux de ses principaux disciples sont décédés. Shariputra est mort d'une maladie, tandis que Maudgalyayana a été assassiné à cause de la jalousie d'une bande d'ascètes nus, qui lui reprochaient de leur avoir volé leurs partisans grâce à ses pouvoirs supranaturels. Afin de se débarrasser de Maudgalyayana, ils avaient engagé une bande de voleurs pour le tuer. Quelque temps après avoir quitté Shravasti pour la dernière fois, alors qu'il se trouvait sur les rives du Gange, le Bouddha a parlé au Sangha du nirvana final de ses deux principaux disciples :
Mais quelqu'un qui ne ressent jamais de tristesse ou de peine est-il vraiment humain, de sorte que nous puissions l’imiter ? N'est-ce pas là simplement de la froideur ? Je ne vois pas l'intérêt de vouloir croire que le Bouddha était inhumainement parfait ou pire, qu'il était sans cœur. Mais regardez bien ce qu'il dit ici. Il dit ‘’qu'il faut s'attendre à ce que ce qui est né, ce qui est advenu, ce qui a été conditionné et ce qui est sujet à la désintégration se désintègre’’. En reconnaissant cela, il est capable de subir une perte sans être désemparé, sans se sentir déprimé ou désespéré. Il reconnaît et exprime la perte lorsqu'il déclare : « Moines, cette communauté semble vide maintenant que Shariputra et Maudgalyayana ont atteint le nirvana final. » Ce que je vois ici n'est pas un détachement impersonnel mais quelqu'un avec une telle équanimité qu'il peut même s'accommoder de la tristesse et de la reconnaissance de la perte sans que ces sentiments ne se transforment en réaction de souffrance. L'équanimité de l'éveil, me semble-t-il, ne consiste pas à nier ou à couper la douleur et le chagrin des neuf mondes-états inférieurs, mais à les englober tous et même à les exprimer tous avec équanimité. En conclusion : considérer le Bouddha Shakyamuni historique comme l'incarnation d'un idéal surhumain inaccessible signifierait que sa bouddhéité n'a rien à voir avec nous. Une telle bouddhéité ne serait qu'un bâton de mesure pour nous faire tous sentir moins que rien. Je ne pense pas que cela aide qui que ce soit. En revanche, je trouve de l'inspiration dans un Bouddha qui a atteint un niveau d'équanimité, de compassion désintéressée et d'imperturbabilité tel qu'il semblait surhumain à ses contemporains, mais qui reste imitable à des degrés plus ou moins importants pour nous-mêmes. Je suis également convaincu que le Bouddha historique s'est éveillé à ce qui est essentiel en toute chose, c'est-à-dire qu'il a surmonté l'ignorance de la nature vide et provisoire de toute chose, et dont la réalisation a rendu caduques les réponses habituelles d'attachement et d'aversion ; c’est ainsi qu’il a rendu possible la cessation de la souffrance. Toute autre connaissance serait hors de propos et insignifiante pour celui qui se préoccupe uniquement de comprendre la souffrance, d'en déraciner les causes, de réaliser la cessation de la souffrance et de cultiver le chemin de la cessation de la souffrance. Personnellement, je ne considère pas le Shakyamuni historique comme une sorte de super-héros ou de divinité cognitive-émotionnelle. Je pense que cela passe à côté de ce qui est vraiment remarquable dans le summum de la maturité spirituelle dont le Bouddha fait preuve dans sa façon d'agir, dans sa façon de parler et d'enseigner tout au long du canon de pali. Il a exprimé devant ses contemporains un sommet de maturité spirituelle qui auparavant était compris en termes de divinité surnaturelle en accord avec les idées préconçues et l'expression mythopéique de son temps. Aujourd'hui, je pense que nous devrions faire attention à ne pas nous accrocher à l'idée qu'il était un être divin. En même temps, comme il l'a affirmé avec insistance au brahmane Dona, il n'était pas non plus un être humain ordinaire non éveillé. En tant que bouddhistes de Nichiren, nous pouvons penser que cela n'a pas d'importance car nous ne cherchons pas le refuge dans le Bouddha historique Shakyamuni. Nous ne vénérons pas le Bouddha Shakyamuni historique. Nous nous réfugions dans le Bouddha Shakyamuni éternel et nous le vénérons. Mais qui ou quoi est-ce ? Je suggère que nous nous souvenions que le Bouddha Shakyamuni éternel n'est pas autre que le Bouddha Shakyamuni historique mais qu'il n'est pas réductible à lui. Si vous voulez savoir quelles sont les qualités et les activités du Bouddha Shakyamuni éternel dans ce monde historique concret, alors vous devez passer en revue la vie et les enseignements du Bouddha Shakyamuni historique dont nous commémorons aujourd'hui le dernier nirvana. Mais la bouddhéité du Shakyamuni historique ne se trouve pas seulement dans le passé archéologique ou mythologique. Nous devons également la voir ici et maintenant, en trouvant l'équanimité de notre propre nature de bouddha - une nature qui peut ressentir la tristesse, la perte et la douleur mais pas la souffrance, c'est-à-dire ne pas perdre notre équanimité ou notre compassion pour nous-mêmes et pour les autres. Nous devons trouver la véritable connaissance ou cognition de la bouddhéité ici et maintenant en apprenant à connaître la causalité de la souffrance et du bonheur, en résolvant la causalité de la souffrance pour qu'elle s'épanouisse en bonheur, en réalisant ce qui transcende la souffrance et le bonheur momentanés et conditionnels, et en cultivant la manière qui nous permettra de le faire tous ensemble. C'est ainsi que nous pouvons réellement rencontrer le Bouddha, plus de deux mille ans après le parinirvana du Bouddha historique Shakyamuni qui n'était pas un dieu, mais pas non plus un simple humain, et dont le souci constant était de nous éveiller à la simple divinité et également à la simple humanité. |