Hommage à Lokèshvara
Sans cesse, par le corps, la parole et l’esprit,
Je rends hommage à mon sublime maître et protecteur Tchènrézi,
Qui, tout en voyant que les phénomènes sont sans allée ni venue,
Œuvre exclusivement au bien d’autrui.
Les parfaits Bouddhas, sources de tout bien et de tout bonheur,
Naissent de l’accomplissement du saint Dharma
Et, comme ceci dépend de la connaissance de ses pratiques,
Je vais expliquer celles des bodhisattvas.
-
Ayant obtenu ce rare vaisseau doté de libertés et de richesses ;
Afin de libérer soi et autrui de l’océan de l’existence cyclique,
Ecouter, réfléchir et méditer sans relâche, jour et nuit,
Est la pratique des bodhisattvas. -
L’attachement aux proches nous agite comme les flots,
La haine envers les ennemis nous brûle comme les flammes,
L’obscurité de l’ignorance nous fait oublier ce qu’il faut adopter et rejeter ;
Renoncer à son pays natal est la pratique des bodhisattvas. -
A l’écart des objets néfastes, les émotions diminuent progressivement,
À l’abri des distractions, les activités vertueuses croissent naturellement,
Et quand l’esprit est clair, la connaissance certaine de l’enseignement survient.
S’en remettre à la solitude est la pratique des bodhisattvas. -
Les amis fidèles qui nous accompagnent depuis longtemps nous quitteront,
Les biens difficilement amassés seront abandonnés,
La conscience, telle une invitée, quittera le gîte du corps.
Renoncer à cette vie est la pratique des bodhisattvas. -
En leur compagnie les trois poisons s’accroissent,
Étude, réflexion et méditation décroissent
Et ils vous font perdre votre amour et votre compassion.
Abandonner les mauvais amis est la pratique des bodhisattvas. -
En les suivant vos fautes diminuent
Et vos qualités augmentent comme la lune croissante.
Chérir les maîtres spirituels plus encore que son propre corps
Est la pratique des bodhisattvas. -
Étant eux-mêmes enchaînés dans la prison de l’existence cyclique,
Quels dieux mondains pourraient vous protéger ?
Prendre refuge en les Trois Joyaux qui ne vous trahiront jamais
Est la pratique des bodhisattvas. -
Le Vainqueur a déclaré que les insoutenables souffrances
Des mauvaises renaissances sont le fruit d’actes négatifs.
Ne jamais commettre la moindre action nuisible, même au prix de sa vie,
Est la pratique des bodhisattvas. -
Comme une goutte de rosée sur un brin d’herbe,
Les plaisirs des trois mondes sont éphémères.
Aspirer à la libération suprême et immuable
Est la pratique des bodhisattvas. -
Comment peux-tu être heureux, lorsque tes mères
Qui t’ont chéri depuis des temps sans commencement sont dans la souffrance ?
Développer l’esprit d’éveil afin de libérer l’infinité des êtres
Est la pratique des bodhisattvas. -
Toutes les souffrances émanent d’un désir de bonheur égoïste
Alors que les parfaits Bouddhas naissent des pensées altruistes.
Échanger son bonheur contre la souffrance d’autrui
Est la pratique des bodhisattvas. -
Si, poussé par une grande avidité,
Quelqu’un s’empare de nos biens ou incite autrui à le faire
Lui dédier son corps, ses possessions et ses vertus des trois temps
Est la pratique des bodhisattvas. -
Même si quelqu’un veut nous trancher la tête
Alors que nous n’avons commis aucune faute,
Par compassion, prendre sur soi ses méfaits
Est la pratique des bodhisattvas. -
Même si dans les trois mille mondes, quelqu’un répand
Toutes sortes de propos déplaisants envers nous ;
Avec amour, faire en retour l’éloge de ses qualités
Est la pratique des bodhisattvas. -
Si publiquement quelqu’un nous déshonore
Ou nous bafoue en proclamant nos fautes,
Le considérer comme un maître spirituel et s’incliner avec respect
Est la pratique des bodhisattvas. -
Si une personne que l’on a chérie comme son enfant
Nous considère maintenant comme un ennemi,
Lui accorder l’attention spéciale d’une mère pour son fils malade
Est la pratique des bodhisattvas. -
Si, par orgueil, quelqu’un d’égal ou d’inférieur nous méprise,
Le placer au sommet de sa tête
En le respectant comme un maître
Est la pratique des bodhisattvas. -
Si, vous êtes dans le dénuement, constamment dénigrés
Et assaillis par des démons ou de graves maladies,
Prendre courageusement sur soi les actes nuisibles et les souffrances de tous
Est la pratique des bodhisattvas. -
Si la gloire amène les foules à vos pieds
Et que vos richesses égalent celles de Vaishravana,
Rester humble en voyant que les biens de ce monde n’ont aucune essence
Est la pratique des bodhisattvas. -
Tant que l’ennemi intérieur, la colère, ne sera pas maîtrisé,
Malgré les combats, les adversaires extérieurs resteront légion.
Aussi, avec les armées de l’amour et de la compassion
Conquérir l’esprit est la pratique des bodhisattvas. -
Les plaisirs des sens sont comme l’eau salée
Plus on en jouit, plus on a soif.
Abandonner immédiatement tout ce qui fait naître le désir
Est la pratique des bodhisattvas. -
Toutes les apparences sont notre propre esprit,
Et l’esprit a toujours été libre des extrêmes de la conceptualisation.
Le sachant, ne pas concevoir de signes propres à un sujet et à un objet
Est la pratique des bodhisattvas. -
Malgré leur apparente beauté, les objets attirants
Ne sont pas plus réels qu’un arc-en-ciel d’été.
Voir qu’ils n’existent pas réellement et abandonner l’attachement
Est la pratique des bodhisattvas. -
Toutes les souffrances sont semblables à la mort d’un enfant en rêve,
Mais l’on s’épuise à rendre réelles des apparences trompeuses.
Voir les circonstances défavorables comme des illusions
Est la pratique des bodhisattvas. -
Si l’aspirant à l’éveil doit abandonner jusqu’à son corps,
Ne parlons pas des biens extérieurs.
Donner généreusement, sans espoir de récompense ou de résultat
Est la pratique des bodhisattvas. -
Si, manquant d’éthique on ne peut accomplir son propre bien,
Vouloir réaliser celui d’autrui est une plaisanterie.
Protéger son éthique de toute aspiration mondaine
Est la pratique des bodhisattvas. -
Pour les bodhisattvas qui désirent une moisson de mérites,
Les êtres nuisibles sont pareils à un trésor précieux.
Cultiver la patience, sans hostilité envers quiconque,
Est la pratique des bodhisattvas. -
En voyant que les auditeurs et les réalisateurs solitaires,
Qui n’ont pourtant que des intentions personnelles,
Agissent avec autant d’ardeur que s’ils éteignaient un feu sur leur tête ;
S’efforcer avec enthousiasme pour le bien des êtres, sources de toutes les qualités,
Est la pratique des bodhisattvas. -
Comprenant que, par la vue pénétrante unie au calme mental,
Les perturbations sont totalement détruites,
Cultiver la concentration qui dépasse les quatre absorptions du sans forme
Est la pratique des bodhisattvas. -
Puisque sans la sagesse, les cinq perfections
Ne peuvent conduire à l’éveil parfait,
Cultiver la méthode associée à la sagesse
Qui ne conçoit pas les trois sphères [comme réelles]
Est la pratique des bodhisattvas. -
Sans analyser ses défauts
On peut ressembler à un pratiquant mais ne pas agir comme tel.
Toujours examiner ses erreurs et s’en débarrasser
Est la pratique des bodhisattvas. -
Sous l’emprise des perturbations mentales,
Révéler les fautes d’un autre bodhisattva est dégradant.
Aussi, ne pas critiquer ceux qui sont entrés dans le grand véhicule
Est la pratique des bodhisattvas. -
Le gain et le respect sont source de disputes ;
Ils altèrent l’écoute, la réflexion et la méditation.
Aussi, se détacher de ses amis, bienfaiteurs et de leurs foyers
Est la pratique des bodhisattvas. -
Les paroles dures troublent l’esprit d’autrui
Et endommagent la conduite des bodhisattvas.
Aussi, abandonner les propos injurieux si déplaisants pour les autres
Est la pratique des bodhisattvas. -
L’habitude des émotions perturbatrices rend les remèdes difficiles à appliquer ;
Avec vigilance et attention, saisir l’arme des antidotes
Pour détruire l’attachement et autres afflictions, dès leur apparition,
Est la pratique des bodhisattvas. -
En résumé, en toute activité
Demandez-vous : « Quel est mon état d’esprit ? »
Avec une attention et une vigilance constantes,
Accomplir le bien d’autrui
Est la pratique des bodhisattvas. -
Afin d’éliminer la souffrance d’une infinité d’êtres
En comprenant que les trois sphères sont parfaitement pures,
Dédier à l’éveil les vertus accomplies par ces efforts
Est la pratique des bodhisattvas.
Pour tous ceux qui désirent suivre la voie des bodhisattvas,
J’ai rédigé ces « Trente-sept Pratiques »
D’après les enseignements des excellents maîtres
Sur le sens des soutras, des tantras et des traités.
Mon intelligence est limitée et ma connaissance faible,
Et, comme ma rhétorique pourrait ne pas plaire aux érudits,
Je me suis appuyé sur les soutras et les paroles des saints,
Ainsi, ces pratiques du bodhisattva devraient être sans erreurs.
Toutefois, pour un être aussi peu intelligent que moi
Il est difficile de mesurer la vaste conduite des bodhisattvas.
Aussi, je demande aux saints maîtres de pardonner
Les contradictions, incohérences ou contresens.
Par cette vertu, puissent tous les êtres vivants
Obtenir le sublime esprit d’éveil conventionnel et ultime
Et devenir pareil au protecteur Tchènrézi
Sans demeurer dans les extrêmes de l’existence et de la paix.
Le moine Togmé, adepte des écritures et des raisonnements, a rédigé ceci pour le bien d’autrui et
pour le sien,
dans la grotte du Précieux Mercure.
Texte racine de Togmé Zangpo (1295-1369), traduit de l’anglais par Christian Charrier, tiré de « Suivre l’exemple des Bodhisattvas » de Khènsour Jampa Tègchok Rinpoché (Ed. Vajra Yogini), 2002.