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Guérir par la pensée - La preuve en 15 expériences Par Marie-Catherine Mérat avec François Lassagne |
Les neuroscientifiques en ont désormais la preuve : l'esprit possède le pouvoir de soigner le corps! Des expériences de méditation, de neurofeedback ou à base d'effet placebo ont démontré des effets thérapeutiques sur des maladies aussi graves que la dépression ou Parkinson. Et déjà, des hôpitaux sautent le pas... Une nouvelle médecine est en train de naître. Quelle médecine ? Notre dossier fait le point. L'esprit possède-t-il une "force", des "pouvoirs" dont les effets bénéfiques, voire guérisseurs, sur le corps ne souffriraient plus aucune discussion ? Longtemps la science a cherché les preuves de l'existence d'un tel lien entre "l'âme et le corps", que d'aucuns prétendaient parfaitement avéré, au point d'en faire bénéficier ceux qui, se détournant de la médecine traditionnelle, venaient les trouver pour aller mieux. Crédulité ? Charlatanisme ? Risque de faire naître de faux espoirs, voire d'empirer les choses en détournant de traitements ayant démontré leur efficacité ? Pourtant, des cas témoignaient d'indéniables effets thérapeutiques par on ne savait quel pouvoir de l'esprit sur le corps. Ce qui, dès lors, pouvait laisser sceptique. Voici que les choses changent ! Car depuis une dizaine d'années, des pratiques thérapeutiques qualifiées d'alternatives ou de non conventionnelles, voire de parascientifiques, démontrent leur efficacité en laboratoire. Mieux : elles font désormais une (timide) percée dans l'arsenal médical classique! Ces pratiques ont un point commun : elles confèrent à la pensée un pouvoir extraordinaire, celui de soigner le corps – cerveau compris – sans aucun autre traitement que l'activité même du cerveau. Un pouvoir tel qu'il a prouvé ses vertus contre des troubles aussi divers que la douleur, la maladie de Parkinson, certaines déficiences immunitaires ou la dépression. DES THÉRAPIES TRÈS EN VOGUE
Quelles sont ces pratiques dont les scientifiques admettent aujourd'hui qu'elles mobilisent efficacement le cerveau au service de la santé, rapprochant un corps et un esprit que la tradition cartésienne séparait depuis plus de trois siècles ? Il s'agit d'abord de la "méditation de pleine conscience", très en vogue des deux côtés de l'Atlantique. Et pas seulement dans les cercles psychothérapeutiques. Dans les plus prestigieux laboratoires de neurosciences aussi, et jusque dans les hôpitaux. Son principe : élargir le champ de son attention jusqu'à être totalement conscient de l'instant présent. Si les vertus pour le corps de cette pratique millénaire issue de la philosophie bouddhique sont depuis longtemps connues, ce n'est qu'à partir des années 1970 qu'elle suscite l'intérêt de l'Occident. D'abord réservée aux hippies, confinée dans le domaine du développement personnel, elle entre dans le champ de la psychologie clinique grâce à Jon Kabat-Zinn, professeur de biologie dans le Massachusetts (États-Unis), qui la dépouille de ses racines spirituelles et crée le programme MBSR ("réduction du stress basée sur la pleine conscience"). Dès la fin des années 1980, à la faveur d'un dialogue entre le bouddhisme et la science, un nouveau champ d'étude voit le jour, celui des neurosciences contemplatives. Il est aujourd'hui en plein essor. En avril 2012, un premier symposium international a réuni à Denver (États-Unis) plus de 700 participants: psychologues, neurobiologistes, méditants venus partager leurs résultats sur les mécanismes cognitifs et neuronaux des pratiques contemplatives, leurs effets sur le cerveau observés par imagerie cérébrale et les conséquences pour la santé. Plus de 200 hôpitaux américains ont intégré le programme MBSR. Et ses applications ont été étendues à la dépression, à l'addiction, aux déficits de l'attention... En France, les médecins sont plus réservés. "Quand j'ai fait entrer la méditation à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, en 2004, il y a eu au début un peu de perplexité et quelques réticences", se souvient Christophe André, psychiatre et auteur de Méditer, jour après jour. Mais la méthode commence à être acceptée, et plusieurs établissements y ont aujourd'hui recours. Un diplôme universitaire de médecine spécialisé en méditation et neurosciences a même vu le jour en début d'année à Strasbourg. Autre voie de guérison par la pensée qui excite actuellement la curiosité des chercheurs et des médecins: l'effet placebo. Cet effet bien connu est généré par la suggestion et l'attente d'un bénéfice thérapeutique lié à un traitement, indépendamment de son action chimique directe. Sa découverte remonte à la Seconde Guerre mondiale, quand, sur le front d'Italie, l'anesthésiste Henry Beecher injecte aux blessés une solution saline à la place de la morphine dont le stock est épuisé: il s'aperçoit que cette solution dénuée de principe actif réduit pourtant la douleur chez de nombreux patients. En 1955, devenu professeur à Harvard, il publie une étude qui fera date, révélant que 35 % des patients répandent positivement à un tel traitement, dit placebo ("je plairai", en latin). Dès lors, il est introduit dans toutes les études cliniques visant à démontrer les effets « réels » d'un traitement : pour être efficace, un médicament doit montrer des effets supérieurs à ceux d'un placebo. Pour autant, l'effet placebo est longtemps resté réduit à un phénomène "psychologique". Autant dire inexistant, si ce n'est dans la tête du patient, supposé avoir l'impression d'aller mieux sans que les maux dont il souffre s'atténuent réellement. Il faut attendre le milieu des armées 1991 pour que le pouvoir du placebo soit étudié pour lui-même, en particulier grâce aux travaux de Fabrizio Benedetti, à l'université de Turin (Italie). Depuis, l'imagerie cérébrale a montré que l'effet placebo n'est pas une simple vue de l'esprit, et les publications scientifiques de premier ordre se multiplient. Elles dévoilent un effet encore plus puissant que ce qu'on avait imaginé, et commencent à mettre au jour ses mécanismes biologiques, qui modifient bel et bien les équilibres biochimiques dans le cerveau. Les médecins eux-mêmes l'exploitent dans leur pratique clinique, comme l'a récemment montré une étude américaine – quitte à transgresser le serment d'Hippocrate, qui leur interdit de dissimuler la vérité aux patients! Troisième et dernière pratique, tombée en disgrâce dans les armées 1970 et 1980, mais qui fait depuis une dizaine d'années un retour remarqué aux États-Unis : le neurofeedback. Ce nom barbare désigne une technique assez simple, qui s'apparente à de la musculation mentale. Elle est issue des travaux menés en 1958 par Joe Kamiya à l'université de Chicago. Grâce à un électroencéphalographe (EEG) mesurant en temps réel l'activité du cerveau, le psychologue remarque qu'on peut apprendre à émettre certaines ondes cérébrales sur commande. Dix ans plus tard, le neuroscientifique Barry Sterman, à l'université de Californie, montre que des chats entraînés à contrôler leur activité cérébrale résistent mieux aux crises d'épilepsie. Des résultats bientôt reproduits chez l'homme. L'engouement est immédiat. Accessible, prometteuse, la technique séduit les adeptes du New Age et les entrepreneurs peu scrupuleux. De nombreuses études, souvent de mauvaise qualité, sont lancées. Des sociétés lucratives se créent, qui prétendent traiter tous types de pathologies (autisme, dépression, migraine...) à l'aide de méthodes non éprouvées. Le neurofeedback intègre ainsi le champ des pseudosciences et de la parapsychologie et se forge, auprès des scientifiques, une très mauvaise réputation... dont il est sur le point de se défaire. UNE TECHNIQUE DÉJÀ ÉPROUVÉE
En novembre 2012, une association de pédiatres américains a reconnu le neurofeedback comme étant un traitement aussi efficace que les psycho-stimulants pour traiter les troubles de déficit de l'attention avec hyperactivité. L'armée américaine utilise cette technique pour soigner les soldats atteints de stress post-traumatique. En France aussi, la méthode revient sur le devant de la scène, notamment dans le cadre d'OpenVibe 2, un projet national sur les interfaces cerveau-ordinateur. Et depuis quelques années, la technique devient prometteuse pour traiter la dépression ou les douleurs chroniques, grâce à l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), qui permet de visualiser des structures du cerveau plus profondes que l'EEG. Méditation, effet placebo, neurofeedback... Ces trois thérapies ont bel et bien fait leur entrée officielle dans le cercle des sciences médicales. Et si, à la différence d'autres pratiques alternatives (programmation neurolinguistique, magnétisme...), elles se sont extraites des marges, ce n'est pas à cause d'un affaiblissement des exigences scientifiques. Au contraire ! C'est d'abord parce que les preuves de leur efficacité sont désormais assez nombreuses et solides. Pour une série de troubles importants, les faits, parfois spectaculaires, s'accumulent. Oui, il est possible de se soigner par la seule pensée! Ce qui présente l'indéniable avantage de se passer de tout autre traitement. UN CERVEAU AUX DONS FASCINANTS
Au-delà de la mesure de l'efficacité de ces thérapies, ces expériences laissent entrevoir le fascinant lien entre le corps et l'esprit qui dote le cerveau de son don thérapeutique. Car les techniques d'imagerie cérébrale et d'analyses biochimiques permettent de voir la force de l'esprit se matérialiser: la méditation bouleverse certains rythmes cérébraux entre les aires frontales et pariétales; le placebo fait produire au cerveau ses propres antalgiques ; le neurofeedback change la manière dont le cortex préfrontal agit sur les autres régions cérébrales. L'arrivée en science de ces pratiques autrefois "alternatives" pose beaucoup de questions. Quels troubles peuvent être ainsi soignés ? Existe-t-il des effets secondaires ? Certaines personnes y sont-elles plus sensibles ? Ces thérapies doivent-elles être remboursées par la Sécurité sociale ? Une chose est sûre : à condition de l'inciter à jouer ce rôle, le cerveau est un excellent médecin. * * * Épilepsie, douleur, dépression, Parkinson, déficits immunitaires... LES PREUVES D'UNE EFFICACITE THERAPEUTIQUE
Depuis une dizaine d'années, les résultats s'accumulent. Et ils ne font aucun doute : l'esprit est bel et bien capable de soigner certains troubles, même les plus graves. Démonstration en 15 expériences. Que la méditation, technique millénaire issue du bouddhisme, le neurofeedback, pratique en vogue chez les adeptes californiens du New Age, et le placebo, effet connu de longue date dans l'industrie pharmaceutique sans que quiconque le prenne vraiment au sérieux, aient fini par convaincre les scientifiques de la réalité de leurs bénéfices est en soi une authentique surprise. Mais qu'en plus, leur action soit avérée sur des troubles aussi divers et importants que la dépression, la douleur, le stress, l'épilepsie, la maladie de Parkinson ou certains déficits immunitaires, voilà qui paraît presque incroyable. Et pourtant ! Les expériences menées par des chercheurs toujours plus nombreux à se lancer sur cette nouvelle piste se concluent par des résultats sans équivoque : l'esprit guérit bien une série de troubles, et des plus sérieux. Au point que, d'alternative, cette médecine apparaît désormais complémentaire de la médecine médicamenteuse, élargissant la panoplie thérapeutique des prescripteurs. FACE A LA DOULEUR
La méditation modifie les circuits de réponse à la douleur En 2009, Joshua Grant et Pierre Rainville, neuroscientifiques à l'université de Montréal (Canada), ont comparé la résistance à la douleur de 13 méditants expérimentés, totalisant plus de mille heures de méditation chacun, avec celle de 13 sujets lambda. Il s'agissait de presser une plaque de plus en plus chaude sur leurs mollets. Alors qu'à 53 °C, la douleur était jugée intolérable par les non-méditants, elle fut juste qualifiée de modérée par les méditants. L'exploration du cerveau de ces derniers, en 2011, a révélé une déconnexion entre des régions impliquées dans l'évaluation et l'anticipation de la douleur dans le cortex préfrontal (à l'avant du cerveau), et des zones profondes chargées de traiter l'information douloureuse, le cortex cingulaire antérieur, le thalamus et l'insula. Le placebo active les mêmes zonesEn 2002, Predrag Petrovic, neurobiologiste au Karolinska Institute de Stockholm (Suède), a comparé les effets, dans le cerveau, d'un antalgique et d'un placebo. Tous les volontaires pensaient avoir reçu un opioïde dérivé de la morphine, mais certains n'ont reçu qu'un composé inactif. Un stimulus thermique douloureux leur a ensuite été infligé pendant que leur cerveau était scanné par tomographie par émission de positons. Que les sujets aient été sous antalgique ou qu'ils aient cru l'être, les mêmes zones du cerveau ont été activées (voir IRM), toutes impliquées dans le soulagement de la douleur par les opioïdes. Dans Ies deux cas, les sujets ont rapporté une diminution de la douleur ressentie. Cortex cingulaire antérieur rostral et tronc cérébral sont activés Le neurofeedback permet de contrôler l’aire cérébrale impliquée dans la douleurEn 2005, le neuroscientifique Christopher De Charms, à l'université Stanford, a entraîné 16 volontaires soumis à des stimulations thermiques douloureuses, et 12 patients atteints de douleurs chroniques, à contrôler l'activité d'une petite région impliquée dans la douleur et située en profondeur dans le cerveau, le cortex cingulaire antérieur rostral. Après plusieurs essais menés grâce à l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle en temps réel, tous les sujets ont été capables de contrôler l'activité de cette région (voir IRM) et ont rapporté une réduction de la douleur ressentie. Des résultats qui restent cependant à confirmer sur un plus grand nombre de sujets. FACE A L'EPILEPSIE
Le neurofeedback diminue les crises
En 1999, à l'université de Tübingen (Allemagne), Boris Kotchoubey et Niels Birbaumer ont suivi, chez 27 patients atteints d'une épilepsie résistant aux médicaments, l'excitabilité des neurones par électro-encéphalographie. Pendant 35 séances de trente minutes, les patients ont visualisé cette activité électrique en direct sur écran et ont appris à l'augmenter ou à la diminuer. Deux tiers d'entre eux sont parvenus à contrôler leur activité cérébrale. Le nombre de crises a diminué en moyenne de 25%, et jusqu'à 60 % chez 8 patients. FACE A LA MALADIE DE PARKINSON
Le placebo réduit la rigidité musculaire en agissant à l'échelle du neurone En 2011, à l'université de Bangor, au pays de Galles, la psychologue Leena Subramanian et le neuro-scientifique David Linden ont entraîné 5 patients parkinsoniens à renforcer l'activité d'une région cérébrale sous-activée dans la maladie. Allongés dans un scanner à imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, les patients visualisaient sur un écran, sous la forme d'un thermomètre, l'activité d'une zone située à l'avant du cerveau, liée à la planification et l'exécution des mouvements. Après deux sessions d'entraînement, les patients sont parvenus à contrôler leur activité cérébrale et leur motricité s'est améliorée. Chez 5 patients ayant suivi la même procédure mais sans feedback, aucune amélioration n'a été observée. Des résultats à confirmer. FACE AUX DEFICIENCES IMMUNITAIRES
La méditation accroît l'effet de la vaccination En 2003, le psychologue Richard Davidson (université du Wisconsin, États-Unis), a comparé la réponse immunitaire de méditants (entraînés pendant huit semaines à la méditation de pleine conscience) et de non-méditants après un vaccin contre la grippe. Avant et après cet entraînement, l'activité électrique du cerveau de tous a été enregistrée. Quelques semaines après le vaccin, la production d'anticorps – donc la réponse immunitaire – était supérieure chez les méditants qui montraient aussi une plus forte activation des régions avant-gauche du cerveau, impliquées dans les émotions positives. Plus ces zones s'activaient, plus la réponse immunitaire était forte. Le placebo atténue les réactions allergiquesEn 2009, la psychologue Marion Goebel, de l'université de Duisburg-Essen [Allemagne], a incité des patients allergiques à boire tous les jours pendant cinq jours une boisson X, juste avant de recevoir leur antiallergique. Neuf jours plus tard, les sujets ont été divisés en trois groupes: le premier prenait de l'eau puis un placebo; le deuxième, la boisson X puis le placebo; le troisième, de l'eau puis le véritable médicament. Résultat : l'activation des basophiles, des globules blancs qui interviennent pendant la réaction allergique, a diminué dans le sang des patients des groupes 2 et 3. La boisson X a donc conditionné les patients à répondre au placebo. FACE AUX DEFICITS DE L'ATTENTION
La méditation améliore l'acuité En 2007, la neuroscientifique Heleen Slagter et Richard Davidson, de l'université du 'Wisconsin, ont soumis 17 méditants, avant et après trois mois de retraite intensive de méditation, à la tâche dite du "clignement attentionnel: ils devaient détecter, parmi une succession de lettres, deux chiffres présentés avec 300 millisecondes d'écart. La plupart du temps, le second passe inaperçu, la focalisation de l'attention sur le premier s'accompagnant d'une onde cérébrale, appelée P300, que l'on peut enregistrer grâce à des électrodes placées à l'arrière du crâne. Une limite que la méditation semble repousser : après leur entraînement, les sujets ont perçu plus souvent le deuxième chiffre et présenté une onde P300 plus faible, signes d'une attention plus globale et moins facilement distraite. Le neurofeedback jugule l’hyperactivitéEn 2009, le psychologue Martijn Arns et son équipe de l'université Nijmegen, aux Pays-Bas, ont réalisé une méta-analyse de la littérature scientifique afin d'évaluer l'efficacité du neurofeedback dans le traitement du trouble de déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH). Sur plus de 200 études publiées en dix ans, seules 15 ont été retenues, les plus rigoureuses scientifiquement. Leur analyse a démontré que le neurofeedback réduit efficacement l'impulsivité et l'inattention, et moyennement l'hyperactivité. Selon les auteurs, cette technique est « efficace et spécifique » pour traiter le TDAH. FACE A LA DEPRESSION
La méditation limite les rechutes En 2010, le psychologue Zindel Segal, du Centre pour l'addiction et la santé mentale de Toronto, a mesuré les effets de la méditation de pleine conscience contre les rechutes dépressives. Son équipe a suivi 84 patients ayant pris des antidépresseurs jusqu'à rémission de leurs symptômes. Un tiers a ensuite poursuivi son traitement, un tiers a pris un traitement factice, et un tiers a suivi une thérapie cognitive basée sur la méditation de pleine conscience. Dix-huit mois plus tard, 70 % des patients ayant pris le traitement factice ont rechuté, contre 30 % de ceux ayant pratiqué la méditation ou pris des antidépresseurs. Le placebo modifie les mêmes aires cérébrales qu'un antidépresseurEn 2002, la neurologue Helen Mayberg a comparé, dans le cerveau de 17 patients dépressifs, l'action d'un antidépresseur (la fluoxétine) avec celle d'un placebo. Avant et après six semaines de traitement, elle leur a fait passer un scanner par tomographie par émission de positons, afin de visualiser leur activité cérébrale. En 2012, le neuroscientifique Rainer Goebel et le psychiatre David Linden ont entraîné 8 patients dépressifs à contrôler l'activité d'une région cérébrale impliquée dans la genèse des émotions positives, l'insula ou le cortex préfrontal, grâce à l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle en temps réel. Après 4 séances hebdomadaires d'une heure, les patients ont appris à augmenter volontairement l'activité de cette région et montré une réduction de leurs symptômes dépressifs. Des résultats préliminaires qui devront être confirmés sur un plus grand nombre de patients, et comparés aux effets des antidépresseurs. FACE AU STRESS
La méditation permet de mieux gérer les émotions En 2012, Gaëlle Desbordes, du Centre Martinos d'imagerie biomédicale dans le Massachusetts, a exploré les effets de la méditation sur l'amygdale, une structure cérébrale impliquée dans la gestion des émotions. Avant et après un entraînement de huit semaines à la méditation de pleine conscience, 12 participants sont passés au scanner afin que soit enregistrée l'activité de leur cerveau pendant le visionnage d'images à contenu émotionnel positif, négatif ou neutre. Résultat : quel que soit le type d'images, leur amygdale s'activait moins que celle de non-méditants. "Cela suggère moins de stress et d'anxiété, plus de calme et d'équanimité chez les individus ayant pratiqué la méditation de pleine conscience", conclut la neuroscientifique. Le placebo mobilise le cerveau contre l’anxiétéEn 2005, Predrag Petrovic, neurobiologiste au Karolinska Institute [Stockholm], a administré un anxiolytique à des volontaires. Puis, il leur a montré des images anxiogènes. Comme attendu, leur anxiété a diminué. Un effet annulé lorsque les scientifiques leur ont donné un composé bloquant Ies récepteurs de ce médicament. Le lendemain, les sujets, croyant recevoir les mêmes traitements, ont en fait reçu des placebos. Résultat : persuadés qu'on leur délivrait l'anxiolytique, ils ont vu leur anxiété diminuer... puis augmenter à nouveau lorsqu'ils pensaient recevoir le composé aux effets inverses. Les chercheurs ont montré que l'effet placebo anxiolytique était lié à une activation des mêmes régions cérébrales que celles impliquée dans un autre effet placebo, l'analgésie placebo. * * * UNE NOUVELLE MÉDECINE QUI POSE QUESTION
En démontrant sa valeur thérapeutique, la "médecine par l'esprit" a cessé d'être une médecine "alternative". Mais en pratique, qui peut y recourir ? Existe-t-il des risques?... Le point en huit questions clés. L'esprit peut-il tout guérir ?Non. Soyons clairs, un cancer au stade terminal ne pourra être guéri ni par des séances de méditation, ni par le plus puissant des effets placebo. En revanche, l'un comme l'autre peuvent compléter, voire augmenter les effets d'un traitement. En 2001, Fabrizio Benedetti et son équipe de l'université de Turin montraient ainsi que l'effet placebo peut être utilisé pour réduire les doses médicamenteuses. Dans leur étude, des sujets souffrant de douleurs postopératoires étaient placés sous perfusion et recevaient sur demande un antalgique. Oui, à condition de savoir exercer ce contrôle de l'esprit. Apprendre à maîtriser une région de son cerveau, voire une petite population de neurones, n'est qu'une question de temps. Ainsi, à raison d'une quarantaine de séances d'une demi-heure de neurofeedback, chacun peut améliorer ses capacités de concentration, cet entraînement modifiant la structure même de l'encéphale. N'importe qui peut par ailleurs bénéficier des bienfaits de la méditation, moyennant une pratique quotidienne assidue. D'autant qu'elle a l'avantage de ne nécessiter aucun appareillage. En 2012, Gaëlle Desbordes, neurobiologiste au Centre Madras d'imagerie biomédicale (États-Unis), montrait qu'après huit semaines de séances, l'activité de l'amygdale, une petite région du cerveau impliquée dans le contrôle des émotions, était modifiée chez des novices, avec à la clé moins de stress. Difficile en revanche de déclencher l'effet placebo sur commande. Un patient aura beau croire de toutes ses forces aux vertus d'une pilule de sucre, il n'est pas certain que celle-ci fasse effet. Ce que l'on sait, c'est que notre inégalité face à l'effet placebo se lit dans nos gènes. Deux études, en Suède et aux États-Unis, ont ainsi montré que seuls les sujets porteurs de caractéristiques génétiques spécifiques réagissaient à un traitement anxiolytique ou antidépresseur factice. Faut-il craindre des effets secondaires?Si "les effets néfastes éventuels de la méditation ne sont guère documentés", selon Christophe André, psychiatre à Sainte-Anne, se retrouver face à soi-même peut toutefois s'avérer difficile. "Méditer expose à des pensées, émotions ou sensations douloureuses que l'on évite habituellement, de façon consciente ou non." Le neurofeedback peut, lui, entraîner de réels effets néfastes si la région du cerveau dont on souhaite modifier l'activité est mal ciblée ou mal stimulée. Pour minimiser ce risque, aux États-Unis, où ce procédé est très réglementé, des analyses précèdent les séances. Chez les enfants atteints de trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité, on compare l'activité du cerveau avec les enregistrements d'enfants "normaux", afin de déceler les anomalies. Mais ce n'est pas toujours simple : même si ce trouble est le plus souvent lié à un excès d'ondes lentes dans le lobe frontal, il existe aussi des schémas opposés, avec des ondes rapides. "Donc, si l'on se trompe de schéma, on va faire du mal au patient !", prévient Marco Congedo, chercheur au Gipsa-Lab de Grenoble. Cela dépend. Parfois, le contrôle de l'esprit est pleinement conscient. Pour preuve, l'implication du cortex préfrontal, région liée à l'anticipation et au contrôle cognitif, dont l'activité est indispensable pour que s'élabore l'effet placebo. A l'inverse, chez des malades Alzheimer, dont le cortex préfrontal dégénère, le placebo a beaucoup moins d'effet. Impossible que s'élabore chez eux l'attente d'un bénéfice thérapeutique futur, Mais ce pouvoir de l'esprit n'est pas toujours conscient. En 2003, Fabrizio Benedetti le prouvait par une expérience. Après avoir administré à des sujets un composé modulant la sécrétion d'hormones – stimulant la sécrétion d'hormones de croissance et réduisant celle de cortisol –, il le remplaça par un placebo... qui produisit les mêmes variations hormonales, quand bien même le chercheur tentait de persuader les cobayes que les effets inverses étaient attendus? Si la suggestion verbale peut être efficace dans le contrôle de la douleur (une fonction physiologique consciente), seul un conditionnement inconscient agirait sur des fonctions également inconscientes, comme la sécrétion d'hormones... ou le système immunitaire. Ainsi, une étude américaine montrait en 2003 que les méditants produisent plus d'anticorps que des sujets lambda après une vaccination. Difficile de croire qu'ils aient contrôlé consciemment leur système immunitaire... Il est probable que la méditation ait agi indirectement, en diminuant leur stress, dont les méfaits sur l'immunité sont connus. La sécurité sociale rembourse-t-elle cette médecine ?Oui pour la méditation, lorsqu'elle rentre dans le cadre d'une prise en charge hospitalière ou psychiatrique – comme pour toutes les psychothérapies. Oui également pour l'effet placebo, à hauteur du remboursement prévu pour le traitement suivi... car, dès lors qu'un médicament est remboursé, l'effet placebo associé l'est nécessairement ! Plus sérieusement, la Sécurité sociale ne rembourse pas une substance inerte, même lorsque ses effets sur la santé sont démontrés. Quant aux séances de neurofeedback proposées par de rares psychiatres en France, elles ne sont pas remboursées, aucune réglementation n'encadrant, pour l'heure, cette pratique. L'hypnose permet-elle aussi de soigner le corps ? Dès le XIX siècle, en France, le neurologue Jean-Martin Charcot introduisait l'hypnose à l'hôpital pour traiter l'hystérie. Si le côté spectaculaire des séances a depuis disparu, l'essentiel demeure : le thérapeute plonge le patient, par les gestes et par des paroles apaisantes, dans un état de "transe hypnotique". Détendu, réceptif, celui-ci entend alors le praticien lui suggérer les changements à opérer dans son comportement pour guérir, avant de sortir de son état hypnotique sur injonction du thérapeute. De telles séances d'hypnose médicale sont couramment utilisées contre certaines phobies ou addictions. Elles ont lieu dans un cadre instauré il y a treize ans, avec le premier diplôme reconnaissant la pratique. Pour exploiter les pouvoirs du placebo, il suffit de se rendre chez son médecin ! Car le placebo n'est pas seulement la pilule sans principe actif : ce sont aussi les paroles, les rituels de l'acte thérapeutique, les croyances... que renforce la conviction du médecin, d'autant plus si la relation avec le patient est bonne. Pour le neurofeedback, il est difficile de conseiller de bonnes adresses en France, où la pratique n'est pas réglementée. « Ce sont les psychiatres qui utilisent l'électroencéphalographie pour faire du neurofeedback », observe Marco Congedo, chercheur au Gipsa-Lab, à Grenoble. « Mais suivant quelle méthode ? Font-ils des analyses au préalable ? Avec quelles bases de données ? » Difficile de le savoir... Quant au neurofeedback par IRM
fonctionnelle en temps réel, cette technologie, trop chère pour être largement utilisée à l'hôpital, est réservée à la recherche. A condition d'en connaître les bases. Pour faciliter cet apprentissage ou approfondir sa pratique, il est conseillé de suivre l'enseignement de professionnels. L'Association pour le développement de la mindfulness (pleine conscience) en France donne la liste de ses membres actifs sur son site internet: "www.association-mindfulness.org". Peut-on doper les pouvoirs de l'esprit ?On serait tenté de le croire. Après tout, on sait déjà doper le cerveau à l'aide d'excitants, voire de stimulations électriques ou magnétiques. Et de fait, des chercheurs du MIT sont parvenus, il y a quelques années, à provoquer des oscillations des ondes gamma caractéristiques de la méditation. Un succès cependant tout relatif : les "patients" étaient des rats et le "dopage" nécessitait la diffusion de lumière à la surface de leur cerveau via une fibre optique traversant leur crâne. Sachant par ailleurs que, dans le cas du neurofeedback, l'effet thérapeutique consiste d'abord à ramener l'activité cérébrale à la normale quand elle s'en éloigne... Doper les forces de esprit s'annonce donc, outre délicat, sans doute risqué. * * * Les secrets du pouvoir de l'esprit sur le corpsL'imagerie cérébrale a ouvert un boulevard aux chercheurs désireux d'expliquer l'action de l'esprit sur le corps. Déjà, des schémas de fonctionnement se dessinent. S'ils restent assez flous, les appareils étant encore très myopes, ils offrent tout de même un premier cadre à nos connaissances, en distinguant l'action d'un placebo de celle de la méditation de pleine conscience ou du neurofeedback. La méditation reconfigure le cortex cérébralLa méditation est un processus conscient qui provoque des changements morphologiques et fonctionnels dans le cerveau. Ainsi, les cortex frontal, pariétal et cingulaire, impliqués dans le contrôle attentionnel, s'épaississent. L'activité de l'amygdale, qui joue un rôle dans la gestion des émotions, diminue ; celle des régions avant-gauche du cerveau, impliquées dans les émotions positives, augmente. Des zones normalement en interaction – comme le cortex préfrontal et les régions activées par l'influx sensoriel provoqué par un stimulus douloureux – sont déconnectées. Pour autant, les mécanismes ne sont pas encore clairement élucidés.
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