La parabole du fils pauvre et de l'homme riche


Hocine Touhami, le 26 juillet 2015


Je prends la suite du cours d’étude sur la parabole de l’homme riche et de son fils pauvre commencée avec brio et moultes explications pertinentes et surtout très enrichissantes par Béatrice de Tchéquie ; nous aurons l’occasion d’y réfléchir et d’y revenir lors d’un prochain cyber gongyo.

Cette parabole me touche et me parle avec émotion au plus profond de mon être, concernant la relation entre le père et le fils. En ce qui me concerne, je trouve que c’est un enseignement à « tiroirs ». Je m’explique :

Je suis né « fils pauvre » en Provence, dans un village tout petit à l’époque. Très tôt j’ai développé un gout pour le dessin et une amie de maman lui a proposé que je rencontre une connaissance à elle qui était professeur de dessin et de peinture à l’huile organisé par la mairie du village. J’ai commencé à suivre ses cours, ce qui a été une merveilleuse et enrichissante découverte. Apprendre les techniques, quelquefois difficiles, au lieu d’être un frein ou un repoussoir agissaient au contraire sur moi comme une libération de ma créativité… Puis ce professeur, Renée Coste, a souhaité que je passe le concours d’entrée aux Beaux-Arts de Montpellier. Mes parents étaient assez réticents car pour nous qui étions socialement et économiquement au plus bas de l’échelle une carrière artistique n’était pas ce qu’ils espéraient pour leur fils. Leurs attentes étaient plutôt ingénieur, docteur, gendarmes, etc. J’ai passé le concours et j’ai été reçu mais là les choses ont commencé à se compliquer… Cela supposait que je devais résider à Montpellier, me nourrir, payer les cours, etc. Ce fut un non catégorique de mes parents. En premier pour des raisons économiques et surtout ce choix de carrière ne leur convenait absolument pas ! Nous avons trouvé un compromis, « mauvais » pour moi. Je continuais ma scolarité traditionnelle sur place collège, Lycée, tout en suivant par correspondance et en tant qu’auditeur libre les cours des Beaux-Arts de Montpellier. J’étais très frustré avec la désagréable sensation d’être prisonnier de mon « destin » géré par mes parents… Vers 17 ans, j’ai décidé un beau matin de quitter la maison familiale en laissant un petit mot d’explication à mes parents que je voulais moi-même tracer ma route et construire mon futur. Je partais pour moi mais pas contre eux.

Je suis monté à Paris. Les premiers mois ont été plus que difficiles mais après quelques belles galères j’ai pu trouver un petit boulot, un toit et au bout de 2 ans j’ai eu la chance de repasser un concours et d’être reçu dans une nouvelle école de Beaux-Arts qui venait d’être créée en partenariat avec le Ministère de la Culture d’un grand Institut de formation ainsi que des partenaires privés. En plus, nous recevions une bourse d’accompagnement pour cette formation.

Dans cette structure, la personne qui s’occupait des relations publiques m’a parlé un jour du bouddhisme de Nichiren, ce qui a raisonné dans ma tête comme quelque chose d’attendu et de révolutionnaire à la foi. Pour moi, c’était découvrir la Loi de causalité ! Enfin l’humain, au travers de cette pratique bouddhiste, pouvait « modeler » sa destinée et non plus un être le sujet d’un être supérieur qui aurait déjà écrit la partition de sa vie pour chacun d’entre nous… Je comprends aujourd’hui au travers de cette parabole que le « fils pauvre » que j’étais a eu tout de même le courage de se détacher de ses parents sans pour autant cessez de les aimer comme un fils aime pour la vie ces parents ; je comprends que je suis parti pour tracer ma route malgré les embuches. C’est ainsi que j’ai pu trouver la richesse qui était cachée au fond de moi, le bouddhisme !!!

Grace à cette formation artistique de CREAR j’ai pu participer à des expositions internationales et une de mes œuvres notamment m’a été achetée par le Mobilier National Français qui fait chaque année une série d’acquisitions pour alimenter le Trésor National artistique du Pays… Par cet achat – sans que mes cheville et mon égo ne gonfle trop – je suis entré dans la postérité (artistique…)

Je parlais d’enseignements à tiroirs dans cette parabole. Le fait que le père riche (le Bouddha) constate que son fils met beaucoup de temps avant de trouver la Voie, est comme un miroir qui montre Shakyamuni lui-même lors de son départ du palais de son père, abandonnant la vie mondaine, ces longues années de recherches et de privations avant d’atteindre l’Éveil. Ici encore, le père riche, le Bouddha, fait une partie du chemin vers le dépouillement et se rapproche de son fils en lavant avec lui les latrines. Il le prend sous sa protection comme le ferait un contremaître, tout comme le maitre Bouddha agit avec ses disciples. Quelle expression de l’infinie compassion du Bouddha qui n’a de cesse de conduire les hommes à la Voie insurpassable pour atteindre l’Éveil.

Egalement au risque de heurter le « canon bouddhique », selon ma lecture de cette parabole, « le Bouddha EST parce que nous sommes ». L’Éveil du Bouddha se nourrit de notre recherche de la Voie pour atteindre l’Éveil en même temps que nous, en tant que bodhisattvas Surgis-de-Terre, nous nous nourrissons de son Enseignement, de son Dharma. 

Béatrice, lors de son intervention, disait avec raison que le hasard et le bouddhisme ne font pas bon ménage. Je voudrais illustrer ce propos avec l’histoire de mon père biologique.

Je suis né en France. Mais mes parents, d’origine berbère, viennent de Kabylie. Papa était ce que l’on appelle un « taiseux » peu expansif – contrairement à moi – mais manifestant d’une manière mesurée mais sincère son affection à mon endroit. Par exemple, de temps en temps, il me caressait quelques instants la tête et les cheveux, ce qui était pour moi, enfant, le summum de l’amour paternel.
Je savais peu de choses de son parcours comme adolescent et jeune homme. Un jour – je devais avoir 45 ans et il était alors à la retraite et vivant au Maroc à Meknès (maman étant morte assez jeune dans un accident de voiture) – je lui rendis visite et il m’a parlé spontanément de sa jeunesse et de son départ comme « fils pauvre » de la maison de son père (mon grand-père donc), qui était, selon lui, très sévère, exigent et peu affectueux. Sa vie de jeune homme - me disait-il -, se limitait en Kabylie, à être « au cul des chèvres et autre bétail » ; son avenir était bouché et il lui était douloureux de se résigner à ce futur-là… En accord avec son cousin, qui vivait dans les mêmes conditions, ils ont pris l’audace et leur courage pour aller chercher un avenir plus reluisant ailleurs… A pied, ils sont partis des montagnes de Kabylie avec quelques figues en poche pour rejoindre Oujda au Maroc et ensuite Casablanca où ils se sont engagés dans l’Armée Française. Vous pouvez imaginer des jours et des jours pour faire 1150 km avec la peur au ventre, craignant d’être arrêtés et emprisonnés, etc. Pas de GPS, pas de portable et chaque personne croisée pouvez être un danger… Mon père a fait plusieurs années comme soldat de métier, participé, sans jamais en tirer gloire et toujours très discret sur ce passé, à des campagnes comme Monte-Cassino et autres batailles d’où beaucoup de ses camarades ne sont pas revenus. Il a rencontré maman et ils se sont mariés. Venir en France a été facile car il était ancien soldat de l’Armée Française. Il a construit sa vie de famille et obtenu un emploi comme employé municipal de la ville de Bollène en Provence où je suis né il y a 61 ans (c’est-à-dire hier !!)

Pour terminer et rebondir sur le hasard et le bouddhisme, je suis né quand mon père avait 40 ans, moi-même j’ai eu un fils Léo qui est né alors que j’avais 40 ans. Papa lui aussi s’est détaché de son environnement familial pour devenir le « père riche », riche de son karma qu’il a lui-même façonné malgré les dures épreuves et durant sa longue retraite au Maroc où il est retourné, se satisfaisant de   sa retraite d’employé municipal et d’ancien soldat, d’une manière pour ce pays très confortable. Il a fini sa vie en « père riche » sur cette terre du Maghreb qu’il avait eu le courage de quitter comme « fils pauvre ».

Sans que je le sache, nous avions fait la même démarche du détachement… pour chercher et trouver notre voie.

Dernière chose. Quand il est mort, c’est moi, représentant la famille, qui suis allé le mettre en terre  à Meknès. Il y avait à cette époque au Maroc une horrible sécheresse qui pénalisait humains, animaux et végétation. Le soir, j’ai pris mon vol retour pour la France avec l’itinéraire Fès-Casablanca puis Casablanca-Marseille. Quand l’avion a décollé de Fès un orage très violent nous est tombé dessus et c’est après de fortes turbulences que nous avons atterri à Casablanca.

La Royal Air Maroc ce soir-là au regard des orages qui perduraient sur le Royaume a décidé de suspendre l’ensemble des vols jusqu’au lendemain. Nous avons été logés par la compagnie, et dans ma chambre d’hôtel, en faisant le gongyo du soir j’y ai vu un clin d’œil bienveillant du Bouddha et de Nichiren qui nous invitaient, père & fils, à rester encore quelques instants géographiquement ensemble. Et quel plus beau et malicieux « hoben » que d’avoir choisi la pluie, l’eau dont cette terre avait manqué si cruellement depuis plusieurs mois, eau source de vie comme l’Éveil du Bouddha.     

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