Vsite du Révérend Ryusho Jeffus

par Luca

Samedi 1er mars 2014.

La journée commence sous une fine bruine mêlée à un vent glacial. Le Révérend retrouve Luca Guccione à la Gare de l’Est où il arrive de Luxembourg. C’est un petit monsieur, vêtu d’une sorte de kimono bleu (un shaolin japonais?), des chaussures de marche (il en fera du chemin, ce bonhomme) et un sac à dos où il renferme ses boîtes à miracles. Ils avaient concordé d’aller voir la pagode de Vincennes qui abrite le plus grand Bouddha d’Europe. Malheureusement l’esprit organisationnel italien se fait vite remarquer: après un long périple, après avoir demandé maintes fois le chemin, les deux pérégrins du matin arrivent à leur but et trouvent la pagode fermée, entourée d’un sentier boueux où ils s’enlisent inextricablement. Il est temps de remédier aux mauvais sort, de reprendre le dessus sur le cours des événements qui lui ont clairement échappé de main et Luca happe un taxi, sentant que ses doigts se frigorifient et craignant de devoir restituer aux US States une statue congelée du Révérend.
C’est l’heure du déjeuner, même si pour le Révérend ce serait plutôt œufs, bacon et tartine à la confiture vu qu’il est pour lui six heures du matin et qu’il avoue être légèrement déphasé. Les deux rentrent au Zen, restaurant japonais en face du Louvre, fréquenté exclusivement par des Japonais (“c’est qu’il est bon, mon cher Watson”). Le Révérend commande dans l’idiome local – langue qu’il maîtrise bien – et Luca, pour ne pas être en reste, essaye le shindoku (sans succès). Soudain, leur repas est interrompu par le patron qui scande avec un accent nippon du Sud clairement identifiable:«LLoukkaa», sorte d’ordre martial qu’aurait pu donner le dernier empereur à ses soldats lors de l’attaque où le destin de la nation se joue; on le demande au téléphone (celui utilisé pour les réservations. A-t-il été repéré par une top-modèle? Est-ce le KGB qui requiert ses dons pacificateurs en Ukraine?). Il s’agit de Hocine, ex-responsable de la Nichiren Shu France qui souhaite la bienvenue au Révérend et s’enquiert de savoir s’il est encore en vie (connaissant le guide…). Le Révérend remercie pour cette charmante attention.
Le repas est abondant, et le Révérend a le temps de raconter sa vie enthousiasmante et de répondre aux innombrables questions de son convive qui voit en lui un nouveau Socrate. Harcelé sur tous les sujets, de la métaphysique au taux de cholestérol de l’Américain moyen, le Révérend démontre sans faille de maîtriser la sixième paramita, celle de la patience, et de connaître son sujet de prédilection sur le bout des doigts: l’amour compassionnel.
Sa biographie pleine de rebondissements, est ici résumée (selon les vagues souvenirs imbibés de saké de l’interlocuteur).
Il connaît le bouddhisme dans les années Soixante par le biais de Hesse et de Gibran. Pendant la guerre du Vietnam, il fait sa première rencontre avec un gohonzon qui le sauvera à plusieurs reprises. La foi inébranlable, il poursuivra sur cette voie malgré la réticence de ses parents et de ses supérieurs militaires et religieux. Aujourd’hui, après trois ans de durs entrainements et un examen impitoyable, il officie en qualité de chapelain dans le deuxième plus grand hôpital non-payant des USA où il soulage les peines des malades de cancer, de maladies vasculaires, côtoyant la mort jour après jour (en moyenne cinq décès quotidiens) et soulageant tout autant les familles que les médecins qui n’osent pas s’avouer vaincus. À part ça, il enseigne la méditation dans un centre de désintoxication pour drogués et dans une prison où vivent les pires repris de justice sortis tout droit des blokbusters d’évasion spéctaculaire. Il y va sans protection, sans gardes, conscient du danger, mais serein car le bonheur qu’il reçoit en retour comble toutes les peurs éventuelles. En outre, il tient un blog où il dispense fréquemment sa sagesse.
Le repas se termine. Nathalie prend les deux glaçons à la station du chemin de fer métropolitain de Bercy et, après une courte balade dans les ruelles du coin, propose gentiment de les conduire chez Isabelle où se tiendra la réunion de son groupe. Le voyage est périlleux car la conductrice, malgré toute sa bienveillance, risque à plusieurs reprises de les amener tout droit en enfer. Toutefois, protégés par les bouddhas des dix directions qui leur évitent le pire et font office de GPS (qui d’autres sinon eux!), ils arrivent à destination dans la banlieue parisienne vers 15h30.
Sont présents à cet événement: Isabelle, Florence, Tatiana, Hertha, Luis, Dominique, Marianne, Nathalie et Luca. Est prévu un thé avec mignardises (Isabelle l’Optimiste, voyant son sangha déjà fortement accru, a prévu à manger pour trente) où chacun se présentera, parlera de sa rencontre avec la discipline bouddhique, et posera au Révérend tout type de question.
Le Révérend arrive comme un Père Noël, la besace pleine de cadeaux: on dirait un chapeau de prestidigitateur car il en sort plus qu’elle peut apparemment contenir. Il y a son dernier livre dédicacé; des pièces apotropaïques et porte-bonheur (certains voudraient se lever pour aller jouer tout de suite au loto, mais la bienséance les en empêche). Il y a des tablettes en bois à deux faces: sur l’une d’elle est représenté le cheval, l’animal astrologique chinois de 2014, sur l’autre chacun doit inscrire ses souhaits et son prénom; le Révérend les ramènera au Temple où elles seront exposées sur le parvis au gré du vent qui se chargera de chuchoter à l’Univers nos désirs les plus intenses.
La séance de Q&R se termine dans les temps, avec des témoignages bouleversants de détresses physiques et psychologiques. Le Révérend répond avec justesse et mesure à toutes les questions. Isabelle, entre autres, voudrait savoir comment gérer les nombreuses demandes d’affiliations qui lui parviennent et, conséquemment, les demandes de gohonzon. Le Révérend comprend toutes les problématiques: son écoute est infinie et ses réponses satisfaisantes. Jamais il ne pontifie, toujours il suggère.
À 18h comme prévu, commence le gongyo. Tour à tour, en anglais, en français, en shindoku, les prières, les lectures, les mantras sont scandés avec un enthousiasme lyrique par des voix qui s’accordent à l’unisson: le petit chœur d’Igny est presque prêt pour la scène de l’Opéra Bastille. Les vibrations d’Odaimoku sont parfaites, subjuguant les anciennes inquiétudes et remplissant le quartier entier où même les hiboux désormais se taisent (dehors c’est déjà la nuit) pour écouter cette merveilleuse incantation. Une chaleur emplit la salle, celle qui provient des cœurs en fort émoi, celle que donne le courage qui a renoué avec la sérénité, et ce n’est qu’à cause des gâteaux et autres levures précédentes que la lévitation n’a pas lieu. Dommage. Une prochaine réunion à jeun est souhaitée.
La séance se termine par les soins chiro-magnétiques que le Révérend élargit à une dame qui a été très malade, soutenu en cela par la respiration concertée des autres participants à qui il a appris la technique du “souffle guérisseur”. Puis, au comble de l’émotion, le Révérend lui offre deux petits bouts de papier de soie qu’elle devra avaler lors de sa pratique, pour que le corps soit comblé au même titre que l’esprit.
Il est 21h. Cet ange de Nathalie propose de ramener le Révérend et son pseudo-cicérone à Paris, mais, par sa conduite, la mort est toujours aux aguets. Heureusement les bouddhas des dix directions et un homme en odeur de sainteté sont là pour les protéger! Ils arrivent à bon port et fêtent dans un restaurant leur survie, en rigolant de la vie moqueuse qui fait tant craindre et tant donne, parfois en une seule après-midi magique.

La journée est finie, le chemin continue. Je sais maintenant que les extraterrestres existent. Ils ont un kimono bleu, parlent anglo-japonais, ils adorent la vie et aiment sauver les humains.
Merci Ryusho Jeffus.
Luca

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