Le Sûtra du Lotus

DICTIONNAIRE
Traduit du chinois par Jean-Noël Robert

copyright Rissho Kosei-kai et Librairie Arthème Fayard, 1997

Chapitre VII - La ville fantasmagorique

 
L'Éveillé déclara aux moines :

Il y a de cela d'innombrables, infinis, inconcevables éons incalculables dans le passé; en ce temps-là était un Éveillé dont le nom était l'Ainsi-Venu Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse, le Digne d'offrande, au savoir correct et universel muni de science et de pratique, le bien parti, comprenant le monde, le héros suprême, le dompteur, le précepteur des dieux et des hommes, l'Éveillé, le Vénéré du monde. Son royaume était appelé Bien-Accompli et son éon Aspect de Grandeur.

Ô moines ! Il y a immensément longtemps que cet Éveillé est passé en Disparition. Imaginez les grains de terre qui existent dans le monde tricosmique : si quelqu'un les broyait pour en faire de l'encre, puis, ayant franchi vers l'est mille royaumes, déposait alors un point de la taille d'un atome; passant encore mille royaumes, il déposerait un autre point, progressant de la sorte jusqu'à l'épuisement de cette encre faite de grains de terre. Qu'en serait-il, à votre avis ? Tous ces royaumes, que ce soit par un mathématicien ou un disciple de mathématicien, pourrait-on leur assigner une limite et en connaître le nombre ou non ?

- Non, Vénéré du monde.

- Eh bien, moines, si l'on réduisait en poussière l'intégralité des royaumes franchis par cet homme, qu'ils soient ou non marqués d'un point, et si chaque poussière était un éon, depuis que cet Éveillé est passé en Disparition, il y a eu un nombre plus grand encore d'innombrables et infinis millions de myriades d'éons incalculables. De par la puissance du savoir et de la vision d'Ainsi-Venu qui sont les miens, je discerne, tout comme si c'était aujourd'hui même, ce lointain passé. »

Alors le Vénéré du monde, voulant réitérer cette idée, s'exprima en stances :

       Je me rappelle qu'en un âge passé
       d'innombrables et infinis éons,
       était un Éveillé, vénéré des humains aux deux jambes,
       au nom de Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse.
       De même que si l'on broyait avec force
       un monde tricosmique,
       faisant de tous ces grains de terre,
       sans exception, de la poudre d'encre,
       qu'après avoir passé mille royaumes,
       on déposait un point de la taille d'une poussière,
       et que l'on continuait à marquer des points de cette façon
       jusqu'à épuisement de la poussière d'encre;
       si les royaumes qui auraient été de cette façon
       marqués ou non d'un point
       étaient à leur tour intégralement réduits en poussière
       et que chaque poussière était un éon,
       le nombre de ces poussières d'atomes
       serait encore dépassé par celui des éons :
       tels sont les éons innombrables
       depuis que cet Éveillé est passé en Disparition.
       L'Ainsi-Venu, de par sa sagesse sans obstacle,
       a connaissance du passage en Disparition de cet Éveillé,
       ainsi que des auditeurs et des êtres d'Évei,
       comme s'il voyait à présent leur passage en Disparition.
       Il vous faut savoir, moines,
       que la sagesse de l'Éveillé est pure, subtile, sublime,
       sans infection et dépourvue d'obstacles,
       et que son accès s'étend à d'innombrables éons.

L'Éveillé déclara aux moines :

L'âge de l'Éveillé Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse fut de cinq millions quatre cent mille myriades de milliards d'éons. Cet Éveillé, assis à l'origine au lieu de la Voie et ayant défait les armées du Malin, était sur le point d'obtenir l'Éveil complet et parfait sans supérieur, mais les attributs d'Éveillé ne lui apparaissaient point. Ainsi resta-t-il assis, les jambes repliées et croisées, immobile de corps et de pensée, entre un et dix éons mineurs durant, mais les attributs d'Éveillé n'apparaissaient pas encore. Alors les dieux Trente-Trois commencèrent à déployer pour lui, sous l'arbre d'Éveil, le trône de lion haut d'une parasange. C'est sur ce trône que l'Éveillé devait obtenir l'Éveil complet et parfait sans supérieur. Au moment où il s'y asseyait, les rois des dieux brahmiques firent pleuvoir une multitude de fleurs célestes d'une surface de cent parasanges; une brise parfumée survenait de temps en temps pour emporter de son souffle les fleurs fanées tandis qu'il en pleuvait de nouvelles. Ils firent de la sorte, sans interruption, offrande à l'Éveillé pendant dix éons mineurs complets. Jusqu'à ce qu'il passât en Disparition, ils firent constamment pleuvoir ces fleurs. Les dieux relevant des quatre rois célestes, pour faire offrande à l'Éveillé, battaient constamment les tambours célestes, tandis que les autres dieux faisaient de la musique céleste, ce durant dix éons mineurs complets, et il en fut ainsi jusqu'à ce qu'il passât en Disparition.

Ô moines, pour ce qui est de l'Éveillé Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse, au terme de dix éons mineurs, les attributs des Éveillés lui apparurent enfin et il réalisa l'Éveil complet et parfait sans supérieur. Cet Éveillé, du temps qu'il n'avait pas encore quitté sa famille, avait seize fils, dont le premier s'appelait Amas de Sagesse. Chacun d'entre eux avait toutes sortes de jouets rares qu'il affectionnait. En entendant que leur père avait obtenu de réaliser l'Éveil complet et parfait sans supérieur, ils renoncèrent tous à ces raretés et se rendirent au lieu où se trouvait l'Éveillé. Leurs mères les accompagnèrent en pleurant. Leur grand-père, saint souverain de l'orbe, avec cent grands ministres et des millions de gens du peuple qui les entouraient tous ensemble, arrivèrent au lieu de la Voie. Tous désiraient approcher l'Ainsi-Venu Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse pour lui faire offrande, lui rendre hommage, le vénérer et l'exalter. A leur arrivée, ils inclinèrent leur tête à ses pieds, puis, ayant fait cercle autour de l'Éveillé, les paumes jointes, ils levèrent unanimement vers lui leur regard et le louèrent en stances :

       Grand et majestueux Vénéré du monde,
       c'est pour sauver les êtres
       qu'en innombrables myriades d'éons
       tu as enfin pu devenir Éveillé,
       menant ainsi complètement à bien tes voeux.
       Excellent ! Insurpassable bonne fortune !
       Fort rare est l'existence d'un Vénéré du monde;
       une fois assis, dix éons mineurs durant,
       corps, bras et jambes
       tranquilles, calmes, immobiles;
       la pensée en une permanente sérénité,
       sans jamais être troublé,
       il parachève la Disparition d'éternel apaisement
       et demeure en paix dans les entités non infectées.
       À présent nous voyons le Vénéré du monde
       réaliser paisiblement la Voie d'Éveillé
       et nous en gagnons de bons profits;
       nous proclamons notre félicité et sommes en grande liesse.
       Les êtres sont constamment dans la douleur et les affres,
       enténébrés, privés de guide;
       ils ne connaissent point la voie de l'épuisement de la douleur,
       ils ne savent se mettre en quête de la délivrance;
       en leur longue nuit, de plus en plus ils vont vers les mauvaises destinées,
       de moins en moins vers la multitude des dieux.
       Ils s'enfoncent d'obscurité en obscurité
       sans jamais entendre le nom de l'Éveillé.
       À présent l'Éveillé a fait sienne la suprême
       et paisible voie sans infection.
       Nous autres, ainsi que les dieux et les hommes,
       en gagnons les plus grands profits,
       c'est pourquoi nous inclinons tous la tête
       et rendons hommage au Vénéré suprême.

Les seize princes, ayant fini de louer en ces stances l'Éveillé, exhortèrent le Vénéré du monde à mettre en branle la roue de la Loi et s'exprimèrent tous ainsi : « Que le Vénéré du monde prêche la Loi ! Nombreux seront les dieux et les hommes à être soulagés et inondés des bienfaits de sa commisération. »

Ils répétèrent ces propos en stances :

       Le Héros du monde, lui qui est sans pareil,
       qui s'est par lui-même orné des cent mérites
       et a fait sienne la sagesse sans supérieur,
       nous souhaitons qu'il prêche au monde
       et qu'il nous délivre, nous-mêmes
       comme les êtres de toute espèce,
       qu'il nous la manifeste avec discernement
       et nous fasse gagner cette sagesse.
       Si nous obtenons l'état d'Éveillé,
       il en ira de même pour les êtres.
       Le Vénéré du monde sait ce que les êtres
       pensent au fond de leur coeur,
       de même connaît-il les voies qu'ils pratiquent;
       il connaît encore la force de leur sagesse,
       leurs désirs, les mérites auxquels ils s'exercent,
       ainsi que les actes qu'ils accomplissent au long de leurs existences.
       Tout cela, l'Éveillé le sait parfaitement,
       il mettra donc en branle la roue de la Loi.

L'Éveillé déclara aux moines :

Lorsque l'Éveillé Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse obtint l'Éveil complet et parfait sans supérieur, chacun des cinq millions de myriades de mondes d'Éveillés des dix orients trembla de six façons. Les obscures régions intermédiaires de ces royaumes, que le soleil ni la lune ne peuvent éclairer de leur éclat, furent, alors grandement illuminées. Les êtres qui s'y trouvaient purent se voir les uns les autres et s'exclamèrent tous : "Comment se fait-il qu'en cet endroit naissent soudainement des êtres ?" De plus, les palais des dieux de ces royaumes, et jusqu'aux palais des Brahma tremblèrent de six façons. Une grande lumière se mit à luire sur l'univers, emplissant l'ensemble du monde et dépassant la lumière des dieux. Alors, dans les palais des dieux brahmiques qui se trouvaient sur les cinq millions de myriades de terres vers l'est, un éclat lumineux se mit à resplendir, supérieur à la clarté ordinaire. Les rois des dieux brahmiques eurent chacun cette pensée : voici qu'à présent le palais est illuminé comme il ne l'a jamais été de par le passé. Quelle est la raison de l'apparition de ce signe ? Les rois des dieux brahmiques se rendirent alors visite les uns les autres afin de s'entretenir de ces faits. Parmi leur nombre était un grand roi des dieux brahmiques qui avait nom Omnisalvateur. À l'adresse de la multitude des Brahmâ, il s'exprima en ces stances :

       Nos palais
       resplendissent comme jamais.
       Quelle en est donc la raison ?
       Il convient que chacun de nous la recherche;
       est-ce qu'un dieu de grand mérite est né,
       ou est-ce qu'un Éveillé a émergé au monde
       pour que cette grande clarté
       éclaire l'ensemble des dix orients ?

Alors les rois des dieux brahmiques des cinq millions de myriades de terres, avec leurs palais, ayant chacun disposé des fleurs célestes dans des vases et des étoffes, se dirigèrent ensemble vers l'ouest en quête de ce signe. Ils virent l'Ainsi-Venu Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse demeurant au lieu de la Voie, sous l'arbre d'Éveil, assis sur le siège léonin, que dieux, rois dragons, centaures, chimères, pythons, humains et non-humains entouraient en vénération. Ils virent aussi les seize princes suppliant l'Éveillé de mettre en branle la roue de la Loi.

À ce moment, les rois des dieux brahmiques firent de la tête révérence à l'Éveillé et exécutèrent autour de lui cent fois mille circumambulations, puis dispersèrent sur lui les fleurs célestes, tant que les fleurs ainsi dispersées furent comme le mont Sumeru. Ils en firent pareillement offrande à l'arbre d'Éveil de l'Éveillé, et cet arbre d'Éveil était haut de dix parasanges. Une fois faites les offrandes de fleurs, chacun fit de son palais présent à cet Éveillé et lui parla ainsi : « Puissiez-vous seulement vous montrer miséricordieux et nous combler de vos bienfaits. Ces palais que nous vous offrons, faites-nous l'honneur, nous vous en prions, de les accepter pour demeure. » Alors, les rois des dieux brahmiques, en présence de l'Éveillé, psalmodièrent, unanimement et à l'unisson, les stances :

       Bien rare est l'existence d'un Vénéré du monde,
       difficile de pouvoir le rencontrer !
       Muni qu'il est d'innombrables mérites,
       il est capable d'assurer le salut de tous.
       Grand maître des dieux et des hommes,
       il a le monde en commisération
       et les êtres des dix orients
       sont universellement comblés de ses bienfaits.
       L'endroit d'où nous venons
       est à cinq millions de myriades de royaumes;
       nous avons renoncé à la félicité des profondes concentrations
       pour faire offrande à l'Éveillé.
       De par les mérites de nos existences antérieures,
       nos palais sont splendidement ornés;
       nous les offrons à présent au Vénéré du monde,
       en souhaitant seulement qu'il daigne les accepter.

Alors, les rois des dieux brahmiques, ayant loué en stances l'Éveillé, déclarèrent tous et chacun : « Notre seul souhait est que le Vénéré du monde mette en branle la roue de la Loi, qu'il mène les êtres à la délivrance, qu'il ouvre la voie de l'Extinction. »

Puis, les rois des dieux brahmiques, d'un seul coeur et à l'unisson, s'exprimèrent en stances :

       Le héros du monde, le Vénéré des humains aux deux jambes,
       notre seul souhait est qu'il expose la Loi,
       que, de par la force de sa compassion,
       il délivre les êtres de leurs affres.

Alors l'Ainsi-Venu Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse acquiesça silencieusement.

En outre, ô moines ! les grands rois brahmiques de cinq millions de myriades de royaumes en direction du sud-est virent chacun son palais s'éclairer d'une lumière éclatante, comme il n'y en avait jamais eu de par le passé; ils exultèrent en leur liesse et conçurent un état d'esprit jamais encore éprouvé. Ils se rendirent aussitôt les uns chez les autres et discutèrent ensemble de cet événement. Or il se trouvait en leur nombre un grand roi des dieux brahmiques, du nom de Grand-Compatissant; il s'adressa à la foule des dieux brahmiques en ces stances :

       Cet événement, à quelle raison est-il dû,
       pour qu'apparaissent de tels signes ?
       Nos différents palais
       resplendissent d'une lumière jamais vue par le passé :
       est-ce qu'un dieu de grand mérite est né,
       ou bien un Éveillé surgit-il au monde ?
       Jamais encore ne s'est vu tel signe,
       il nous faut tous nous mettre unanimement en quête,
       franchir même des millions de myriades de terres,
       pour s'enquérir de cette lumière, la chercher ensemble.
       Sans doute un Éveillé est apparu au monde
       pour délivrer les êtres dans la peine.

Alors, les cinq millions de myriades de rois brahmiques, avec leurs palais, ayant chacun disposé des fleurs célestes en des vases a des étoffes, se dirigèrent ensemble en direction du nord-ouest, à la recherche de ce signe. Ils virent l'Ainsi-Venu Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse demeurant au lieu de la Voie, sous l'arbre d'Éveil, assis sur le siège léonin; dieux, rois dragons, centaures, chimères, pythons, humains et non-humains l'entouraient en vénération. Ils virent aussi les seize princes suppliant l'Éveillé de mettre en branle la roue de la Loi.

Alors les rois des dieux brahmiques saluèrent l'Éveillé en courbant la tête et exécutèrent cent fois mille circumambulations, puis dispersèrent sur lui les fleurs célestes, tant que les fleurs ainsi dispersées furent comme le mont Sumeru. Ils en firent pareillement offrande à l'arbre d'Éveil de l'Éveillé. Une fois faites les offrandes de fleurs, chacun fit de son palais présent à cet Éveillé et lui parla ainsi : « Puissiez-vous seulement vous montrer miséricordieux et nous combler de vos bienfaits. Ces palais que nous vous offrons, faites-nous l'honneur, nous vous en prions, de les accepter pour demeure. »

Alors, les rois des dieux brahmiques, en présence de l'Éveillé, prononcèrent, d'un seul coeur et à l'unisson, les stances :

       Au saint souverain, au dieu parmi les dieux,
       à la philomélique voix,
       à celui qui prend les êtres en pitié,
       nous rendons à présent hommage.
       Fort rare est l'existence du Vénéré du monde,
       il n'apparaît qu'une fois en une éternité;
       cent quatre-vingts éons
       ont passé vainement, sans qu'y existât un Éveillé;
       les trois mauvaises voies furent remplies,
       le nombre des dieux alla s'amenuisant.
       Maintenant que l'Éveillé est apparu au monde,
       il sera la pupille des êtres,
       vers qui convergera le monde,
       le sauveur et protecteur de tous;
       il sera le père des êtres,
       le miséricordieux qui les comble de bienfaits.
       De par la bonne fortune de nos mérites
       nous obtenons maintenant de rencontrer le Vénéré du monde.

Alors les rois des dieux brahmiques, la stance achevée, tinrent tous et chacun ces propos : « Notre seul souhait est que le Vénéré du monde les prenne tous en pitié, qu'il mette en branle la roue de la Loi et mène les êtres à la délivrance. »

Sur ce, les rois des dieux brahmiques, d'un seul coeur et à l'unisson, récitèrent ces stances :

       Que le grand saint mette en branle la roue de la Loi,
       qu'il manifeste les marques de la Loi,
       qu'il délivre les êtres de leurs affres
       et leur fasse obtenir grande liesse.
       Les êtres, à entendre cette Loi,
       obtiendront la Voie, ou renaîtront parmi les dieux;
       les mauvaises destinées iront diminuant
       alors qu'augmenteront les braves et les bons.

Alors l'Ainsi-Venu Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse acquiesça silencieusement.

De plus, ô moines ! les grands rois brahmiques de cinq millions de myriades de royaumes en direction du sud virent chacun son palais s'éclairer d'une lumière éclatante, telle qu'il n'y en avait jamais eu de par le passé; ils exultèrent en leur liesse et conçurent un état d'esprit jamais encore éprouvé. Ils se rendirent aussitôt les uns chez les autres et discutèrent ensemble de cet événement : « Par quelle raison nos palais se trouvent-ils ainsi illuminés ? » Or il était en leur nombre un grand roi des dieux brahiques du nom de Sublime-Loi; il s'adressa à la foule brahmique en ces stances :

       Voici que nos palais
       s'illuminent d'un majestueux éclat;
       cela n'est pas sans raison.
       Ce signe, il convient de le rechercher,
       car même au cours de cent fois mille éons,
       jamais on n'en vit de tel.
       Est-ce la naissance d'un dieu de grand mérite ou l'émergence au monde d'un Éveillé ?

Alors, les cinq millions de myriades de rois des dieux brahmiques, avec leurs palais, ayant chacun disposé des fleurs célestes en des vases et des étoffes, se dirigèrent ensemble vers le nord, à la recherche de ce signe. Ils virent l'Ainsi-Venu Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse demeurant au lieu de la Voie, sous l'arbre d'Éveil, assis sur le siège léonin; dieux, rois dragons, centaures, chimères, pythons, humains et non-humains l'entouraient en vénération. De même virent-ils les seize princes suppliant l'Éveillé de mettre en branle la roue de la Loi .

Les rois des dieux brahmiques saluèrent alors l'Éveillé de leur tête courbée et exécutèrent cent fois mille circumambulations, puis dispersèrent sur lui les fleurs célestes, tant que les fleurs ainsi dispersées furent comme le mont Sumeru. Ils en firent pareillement offrande à l'arbre d'Éveil de l'Éveillé. Une fois faites les offrandes de fleurs, chacun fit de son palais présent à cet Éveillé et lui parla ainsi : « Puissiez-vous seulement vous montrer miséricordieux et nous combler de vos bienfaits. Ces palais que nous vous offrons, faites-nous l'honneur, c'est notre souhait, de les accepter pour demeure. »

Sur ce, les rois des dieux brahmiques, en présence de l'Éveillé, prononcèrent, d'un seul coeur et à l'unisson, ces stances :

       Fort difficile à voir est le Vénéré du monde,
       lui qui brise les passions;
       cent trente éons se sont écoulés
       pour que nous puissions le voir une seule fois à présent.
       Ces êtres affamés et assoiffés,
       Qu'il les inonde de la pluie de Loi !
       Celui dont jamais de par le passé
       ne s'est vue l'immense sagesse,
       semblable à la fleur de figuier sauvage,
       nous l'avons rencontré ce jour.
       Voici que nos palais
       grâce à sa lumière se trouvent parés.
       Que le Vénéré du monde, le grand compatissant
       veuille seulement, c'est notre souhait, les accepter.

Alors, les rois des dieux brahmiques, ayant loué en stances l'Éveillé, déclarèrent tous et chacun : « Notre seul souhait est que le Vénéré du monde mette en branle la roue de la Loi, qu'il mène l'ensemble des mondes, dieux, démons, Brahmâ, ascètes, brahmanes à l'obtention du soulagement et qu'il leur fasse gagner la délivrance. »

Sur ce, les rois des dieux brahmiques, unanimement et à l'unisson, récitèrent ces stances :

       Notre seul souhait est que le Vénéré des dieux et des hommes
       mette en branle la roue de la Loi insurpassable,
       qu'il batte le grand tambour de Loi
       et souffle dans la grande conque de Loi,
       qu'il fasse universellement pleuvoir la grande pluie de Loi
       et fasse traverser d'innombrables êtres;
       nous tous nous en remettons à lui et le supplions,
       qu'il proclame le son profond, portant au loin !

Alors, l'Ainsi-Venu Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse acquiesça silencieusement.

Il en alla de même au sud, et ainsi jusqu'aux régions inférieures.

Alors, les grands rois brahmiques de cinq millions de myriades de royaumes des régions supérieures virent tous, tant qu'ils étaient, les palais où ils demeuraient s'illuminer d'une clarté éclatante, comme il n'y en avait jamais eu de par le passé; ils exultèrent en leur liesse et conçurent un état d'esprit rarissime. Ils se rendirent aussitôt les uns chez les autres et discutèrent ensemble de cet événement : « Pour quelle raison nos palais sont-ils ainsi illuminés ? » Or il se trouvait en leur nombre un grand roi des dieux brahmiques, du nom de Çikhin; il s'adressa à la foule des dieux brahmiques en ces stances :

       Pour quelle raison, à présent,
       nos différents palais
       sont-ils illuminés d'un majestueux éclat
       et se trouvent-il parés de façon inouïe ?
       Un signe aussi sublime
       ne s'est de par le passé ni vu ni entendu.
       Est-ce qu'un dieu de grand mérite est né,
       ou est-ce qu'un Éveillé a émergé au monde ?

Alors, les cinq millions de myriades de rois des dieux brahmiques, avec leurs palais, ayant chacun disposé des fleurs célestes en des vases et des étoffes, se dirigèrent ensemble vers la région inférieure à la recherche de ce signe. Ils virent l'Ainsi-Venu Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse demeurant au lieu de la Voie, sous l'arbre d'Éveil, assis sur le siège léonin; dieux, rois dragons, centaures, chimères, pythons, humains et non-humains l'entouraient en vénération. Ils virent aussi les seize princes suppliant l'Éveillé de mettre en branle la roue de la Loi.

Les rois des dieux brahmiques saluèrent alors l'Éveillé de leur tête courbée et exécutèrent cent fois mille circumambulations, puis dispersèrent sur lui les fleurs célestes, tant que les fleurs ainsi dispersées furent comme le mont Sumeru. Ils en firent pareillement offrande à l'arbre d'Éveil de l'Éveillé. Une fois faites les offrandes de fleurs, chacun fit de son palais présent à cet Éveillé et s'adressa ainsi à lui : « Puissiez-vous seulement vous montrer miséricordieux et nous combler de vos bienfaits. Ces palais que nous vous offrons, faites-nous l'honneur, c'est notre souhait, de les accepter pour demeure. »

Sur ce, les rois des dieux brahmiques, en présence de l'Éveillé, prononcèrent d'un seul coeur et à l'unisson ces stances :

       C'est bien ! Nous voyons que les Éveillés,
       les vénérés saints qui sauvent le monde
       sont capables, en cette prison des trois mondes,
       d'oeuvrer à en sortir les êtres.
       Le Vénéré des dieux et des hommes, à l'universelle sagesse,
       prend en pitié les multiples variétés de bourgeons;
       il est capable d'ouvrir les portes d'ambroisie
       et de sauver largement tous et chacun.
       Jadis, d'innombrables éons
       passèrent vainement sans qu'il y eût d'Éveillé;
       alors que le Vénéré du monde n'était pas encore apparu,
       les dix orients étaient perpétuellement enténébrés,
       les trois mauvaises voies allaient augmentant,
       les titans aussi prospéraient;
       le nombre des dieux allait, lui, en diminuant,
       la plupart des morts tombaient dans les mauvaises voies
       et n'entendaient pas la Loi de la bouche de l'Éveillé,
       ils pratiquaient constamment des oeuvres immorales.
       D'aspect, de force, ainsi que de sagesse,
       ceux-là sont tous diminués;
       en raison de leurs actes criminels,
       ils ont perdu la délectation et la notion de délectation;
       ils demeurent dans les enseignements de vues perverses
       et ne connaissent pas les bonnes règles de conduite.
       Ne bénéficiant pas de l'action salvifique de l'Éveillé,
       ils tombent constamment dans les mauvaises voies.
       L'Éveillé est la pupille du monde,
       il émerge au bout d'un fort long temps,
       parce qu'il a pris les êtres en pitié,
       il est apparu au monde,
       qu'il a transcendé pour réaliser l'Éveil correct.
       Nous nous en réjouissons fort,
       de même que tous les autres êtres,
       qui sont transportés de joie comme jamais auparavant
       Voici que nos palais,
       ayant bénéficié de sa lumière, s'en trouvent parés.
       Nous en faisons maintenant présent au Vénéré du monde,
       qu'il daigne seulement, dans sa miséricorde, les recevoir.
       Notre voeu est que, par ces mérites
       universellement à tous propagés,
       nous-mêmes et les êtres
       réalisions tous ensemble la voie d'Éveillé.

Alors, les cinq millions de myriades de rois des dieux brahmiques, ayant loué en stances l'Éveillé, s'adressèrent chacun à celui-ci : « Notre seul souhait est que l'Éveillé mette en branle la roue de la Loi, nombreux ceux qui en auront soulagement et délivrance. »

Sur ce, les rois des dieux brahmaniques récitèrent en stances :

       Que le Vénéré du monde mette en branle la roue de la Loi,
       qu'il batte le tambour de Loi d'ambroisie,
       qu'il sauve les êtres de leurs affres
       et manifeste la Voie de l'Extinction.
       Notre seul voeu est qu'il reçoive notre supplique,
       que, d'un grand et sublime son,
       nous ayant pris en pitié, il expose
       la Loi qu'il a pratiquée en d'innombrables éons.

Alors, l'Ainsi-Venu Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse reçut la supplique des rois des dieux brahmiques des dix orients ainsi que des seize princes, et mit aussitôt par trois fois en branle la roue de la Loi aux douze aspects, celle qu'étaient incapables de mettre en branle les ascètes comme les brahmanes, les dieux, démons, Brahmâ comme les autres êtres du monde et qui dit : « Ceci est la douleur, ceci est l'origine de la douleur, ceci est la destruction de la douleur, ceci est la voie de la destruction de la douleur. » Il prêcha de même largement l'enseignement des douze liens causaux : l'ignorance entraîne les opérants, les opérants entraînent la conscience, la conscience entraîne le nom-forme, le nom-forme entraîne les six domaines sensoriels, les six domaines sensoriels entraînent le contact, le contact entraîne la sensation, la sensation entraîne l'appétence, l'appétence entraîne l'appropriation, l'appropriation entraîne l'existence, l'existence entraîne la naissance, la naissance entraîne la vieillesse et la mort, la misère et les affres.

Quand l'ignorance s'éteint, les opérants s'éteignent; quand les opérants s'éteignent, la conscience s'éteint; quand la conscience s'éteint, le nom-forme s'éteint; quand le nom-forme s'éteint, les six domaines sensoriels s'éteignent; quand les six domaines sensoriels s'éteignent, le contact s'éteint; quand le contact s'éteint, la sensation s'éteint; quand la sensation s'éteint, l'appétence s'éteint; quand l'appétence s'éteint, l'appropriation s'éteint; quand l'appropriation s'éteint, l'existence s'éteint; quand l'existence s'éteint, la naissance s'éteint; quand la naissance s'éteint, la vieillesse et la mort, la misère et les affres s'éteignent.

Lorsque l'Éveillé prêcha cette Loi au sein de la multitude des dieux et des hommes, six millions de myriades de milliards d'hommes, par leur refus de l'ensemble des entités, purent délivrer leur pensée des infections, obtinrent tous de profondes et sublimes concentrations, les trois sciences et les six pouvoirs extraordinaires, et se trouvèrent totalement munis des huit délivrances.

Lorsqu'il prêcha la Loi une seconde, troisième et quatrième fois, des milliards d'êtres, nombreux comme les sables de centaines de millions de Gange, refusant à leur tour l'ensemble des entités, obtinrent de délivrer leur pensée des infections; et, après cela, une multitude d'auditeurs, sans nombre ni limite, incalculables.
Alors, les seize princes, tous des jeunes gens, quittèrent leur famille et se firent novices. Leurs facultés étaient aiguës, leur sagesse était lucide; ils avaient auparavant fait offrande à des centaines de millions d'Éveillés et avaient pratiqué en sa pureté la conduite brahmique dans leur quête de l'Éveil complet et parfait sans supérieur; ils s'adressèrent ensemble à l'Éveillé :

- Vénéré du monde, ces centaines de millions d'innombrables auditeurs de grands mérites se sont tous désormais accomplis. Vénéré du monde, à nous aussi il conviendrait d'exposer l'enseignement de l'Éveil complet et parfait sans supérieur pour que, l'ayant entendu, nous nous exercions de concert à son étude. Vénéré du monde, nous appelons de nos voeux le savoir et la vision d'Ainsi-Venu. Ce que nous pensons au profond de notre coeur, l'Éveillé peut l'attester et le connaître de lui-même.

Alors, les huit cent mille millions de la multitude menée par le saint souverain de l'orbe, en voyant les seize princes quitter leur famille, réclamèrent à leur tour de quitter leur famille; les entendant, le roi le leur permit aussitôt.

Alors, l'Éveillé, recevant la supplique des novices, après que vingt mille éons eurent passé, exposa au sein des quatre congrégations ce livre du Grand Véhicule qui a nom Fleur du lotus de la Loi sublime, Loi enseignée aux êtres d'Éveil, gardée en mémoire par les Éveillés. Quand il eut exposé ce livre, les seize novices, en vue de l'Éveil complet et parfait sans supérieur, tous de concert le retinrent, le récitèrent et le pénétrèrent avec acuité.

Quand il eut exposé ce livre, les seize novices êtres d'Éveil, tous tant qu'ils étaient, le reçurent avec foi. Parmi la foule des auditeurs, il y en eut aussi pour croire et comprendre. Les autres êtres des centaines de millions en leur variété, conçurent tous doute et perplexité.

L'Éveillé exposa ce livre pendant huit mille âges cosmiques sans jamais se reposer ni s'interrompre. Quand il eut exposé ce livre, il entra dans une chambre tranquille et demeura en concentration pendant quatre-vingt-quatre mille éons.

Alors, les seize novices êtres d'Éveil, sachant que l'Éveillé était en concentration sereine dans sa chambre, montèrent chacun au trône de Loi et, également pendant quatre-vingt-quatre mille âges cosmiques, prêchèrent largement, à l'intention des quatre congrégations, le Livre de la fleur du lotus de la Loi sublime en ses distinctions, chacun sauvant des êtres nombreux comme les sables de six cent millions de milliards de Gange. Dans l'allégresse bienfaisante de leurs instructions et enseignements, ils leur permirent de déployer la pensée d'Éveil complet et parfait sans supérieur.

Les quatre-vingt-quatre mille éons passés, l'Éveillé Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse émergea de son recueillement, se rendit au trône de Loi, s'y assit, calme et lucide, et proclama universellement à la grande multitude : « Ces seize novices êtres d'Éveil sont fort exceptionnels; leurs facultés sont pénétrantes et aiguës, leur sagesse est lucide, ils ont fait offrande à des centaines de millions d'Éveillés, en nombre incalculable, ils ont constamment pratiqué la conduite brahmique auprès d'un Éveillé, ont retenu la sagesse d'Éveillé, l'ont révélée et montrée aux êtres, les ont fait entrer en son sein. Vous devez tous les approcher aussi souvent que possible et leur faire offrande. Pourquoi cela ? Si les auditeurs, les éveillés pour soi ainsi que les êtres d'Éveil sont capables de croire en l'enseignement prêché par ces seize êtres d'Éveil, de le maintenir sans le détériorer, ces gens devront tous obtenir l'Éveil complet et parfait sans supérieur, la sagesse d'Ainsi-Venu. »

L'Éveillé déclara aux moines :

Ces seize êtres d'Éveil se plaisent constamment à prêcher le Livre de la fleur du lotus de la Loi sublime. Les êtres aussi nombreux que les sables de six cent millions de milliards de Gange convertis par chacun de ces êtres d'Éveil renaissent de vie en vie en leur compagnie, croient tous en la Loi qu'ils entendent d'eux et la comprennent. Grâce à ces liens causaux, ils obtiennent de rencontrer par milliers de myriades les Éveillés Vénérés du monde, sans cesse jusqu'à présent.

Je vous le dis maintenant, ô moines ! Ces seize novices, disciples de l'Éveillé, ont à présent tous obtenu l'Éveil complet et parfait sans supérieur; dans les terres des dix orients, ils prêchent actuellement la Loi et ont des centaines de millions de myriades d'êtres d'Évei et d'auditeurs qui constituent leur suite.
Deux de ces novices sont devenus Éveillés à l'est. Le premier, qui a nom Akçobhya, réside en la terre de Liesse; le second s'appelle Faîte du Sumeru.
Des deux Éveillés du sud-est, l'un s'appelle Voix de Lion, l'autre Aspect de Lion.
Des deux Éveillés du sud, l'un a pour nom Demeurant dans l'Espace, l'autre Extinction-Perpétuelle.
Des deux Éveillés du sud-ouest, l'un s'appelle Aspect-Impérial, l'autre Aspect-Brahmique.
Des deux Éveillés de l'ouest, l'un s'appelle Amitâbha, l'autre Délivrant de Toutes Mondaines Afflictions.
Des deux Éveillés du nord-ouest, l'un a pour nom Tamâlapattra Parfum de Santal Pouvoirs divins, l'autre Aspect de Sumeru.
Des deux Éveillés du nord, l'un s'appelle Souverain des Nuées, l'autre Roi Souverain des Nuées.
L'Éveillé du nord-est s'appelle Destructeur de Toutes Peurs Mondaines, et le seizième, c'est moi, Çâkyamuni, qui ai réalisé l'Éveil complet et parfait sans supérieur en la terre d'Endurance.

Ô moines ! Lorsque nous étions novices, nous avons chacun converti par notre enseignement des êtres aussi innombrables que les sables de millions de myriades de Gange et qui, entendant de nous la Loi, réalisèrent l'Éveil complet et parfait sans supérieur. Parmi ces êtres, il en est qui maintenant encore demeurent au niveau d'auditeur. J'assure leur conversion en leur enseignant constamment l'Éveil complet et parfait sans supérieur et ces gens, grâce à cette Loi, entreront graduellement dans la voie d'Éveillé. Comment cela se fait-il ? C'est que la sagesse d'Ainsi-Venu est difficile à croire et difficile à comprendre.

Les êtres aussi innombrables que les sables du Gange qui furent convertis en ce temps-là, c'est vous-mêmes, moines, ainsi que les disciples et auditeurs des âges à venir après mon passage en Disparition.

Après que je serai passé en Disparition, il se trouvera encore des disciples qui n'auront pas entendu ce livre, qui ne connaitront ni ne percevront ce que pratiquent les êtres d'Éveil, mais, de par les mérites qu'ils auront acquis, ils concevront d'eux-mêmes la notion de passage en Disparition et devront entrer dans l'Extinction.
Je serai devenu Éveillé en une autre terre et aurai alors un nom différent; bien que ces gens auront conçu la notion de passage en Disparition pour entrer dans l'Extinction, ils seront, en cette terre-là, en quête de la sagesse d'Éveillé et obtiendront d'entendre ce livre. Car ce n'est que grâce au véhicule d'Éveillé que l'on obtient de passer en Disparition, il n'existe pas d'autres véhicules, exception faite des enseignements exposés en manière d'expédients par les Ainsi-Venus.

Ô moines, quand l'Ainsi-Venu s'aperçoit de lui-même que l'heure de la Disparition arrive et que la multitude aussi est purifiée, ferme en sa foi et sa compréhension, qu'elle a accédé à l'enseignement de la vacuité et qu'elle est profondément entrée en concentration, il réunit alors la foule des êtres d'Évei et des auditeurs pour leur exposer ce livre : en ce monde, il n'est pas deux véhicules pour obtenir la Disparition, ce n'est qu'avec le Véhicule unique d'Éveillé que l'on obtient la Disparition.

Il convient de le savoir, ô moines, les expédients salvifiques de l'Ainsi-Venu pénètrent au plus profond de la nature des êtres; si ceux-ci se complaisent en volonté aux enseignements mineurs, s'ils restent profondément attachés aux cinq désirs, il prêchera la Disparition à leur intention. Ces gens qui l'entendront l'accepteront avec foi.

Imaginez une mauvaise route de cinq cents parasanges, dangereuse, désolée, sans jamais personne, un endroit effrayant. Il y aurait une troupe nombreuse, qui désirerait franchir cette route pour accéder à l'emplacement d'un trésor précieux. Ils ont un guide, intelligent et lucide, qui connaît bien les caractères praticables et impraticables de cette route escarpée; il dirige la troupe, désireux de lui faire franchir ces difficultés. À mi-chemin, le groupe qu'il mène est las et découragé, ils s'adressent au guide : « Nous sommes au comble de la fatigue, et, de surcroît, effrayés. Nous ne pouvons aller plus avant et nous avons une longue route devant nous. À présent, nous désirons rebrousser chemin. » Le guide, homme de ressources et d'expédients, a cette pensée : les malheureux ! Comment peuvent-ils renoncer à un vaste trésor et vouloir rebrousser chemin ? Sur cette pensée, à plus de trois cents parasanges sur la route escarpée, grâce au pouvoir de ses expédients, il fait, par fantasmagorie, apparaitre une ville et déclare à la troupe : « N'ayez pas peur, vous n'aurez pas à rebrousser chemin voici maintenant une grande ville où vous pourrez faire halte et agir comme bon vous semble; si vous y pénétrez, vous vous trouverez rapidement soulagés. Dès que vous serez en mesure de progresser jusqu'au lieu du trésor, vous pourrez repartir. »

Alors la troupe, qui était au comble de la fatigue, se réjouit grandement en son coeur et applaudit à ce fait sans précédent : « À présent que nous avons échappé à cette mauvaise route, nous pourrons rapidement trouver le soulagement. » Sur ce, le groupe s'avance et entre dans la ville fantasmagorique, en ayant la sensation d'être sauvé et de se trouver soulagé.

Alors le guide, sachant que sa troupe se trouve désormais reposée, qu'elle ne connaît plus fatigue ni lassitude, fait disparaître la ville fantasmagorique et déclare aux voyageurs : « Allons, vous autres, l'emplacement du trésor est proche; la grande ville de tout à l'heure, c'est moi qui l'ai créée par fantasmagorie pour votre repos d'étape, c'est tout. »

Ô moines, il en va de même pour l'Ainsi-Venu : à présent, c'est lui qui est votre grand guide, il sait que la mauvaise route des naissances, morts, passions est dure, escarpée, longue, qu'il faut la quitter et s'en sauver. Si les êtres n'entendent que le véhicule unique d'Éveillé, ils ne désireront pas voir l'Éveillé, ni s'en approcher, mais ils se feront cette réflexion : la voie d'Éveillé est longue, ce n'est qu'en subissant longtemps souffrances et peines qu'on peut réaliser l'état d'Éveillé.

Sachant que telle est la lâcheté, la faiblesse, l'infériorité de leur pensée, grâce au pouvoir de ses expédients, il leur prêche les deux Disparitions afin de leur ménager un repos d'étape à mi-chemin. Si les êtres restent à demeure en ces deux niveaux, l'Ainsi-Venu leur explique alors : « Ce à quoi vous oeuvrez n'est pas encore accompli; le niveau auquel vous demeurez est proche de la sagesse d'Éveillé. Il convient de poursuivre vos réflexions et considérations : la Disparition que vous avez gagnée n'est pas authentique et réelle, elle n'est que l'effet du pouvoir des expédients de l'AinsiVenu, qui a établi pour sa prédication une triple distinction dans le Véhicule unique, de la même façon que le guide crée par fantasmagorie une grande ville afin d'y faire un repos d'étape. » Dès qu' il sait qu'ils se sont reposés, il leur annonce que le lieu du trésor est à proximité : « Cette ville n'est pas réelle, je n'ai fait que la créer par fantasmagorie. »

Alors le Vénéré du monde, voulant réitérer cette idée, s'exprima en stances :

       L'Éveillé Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse,
       assis dix éons au lieu de la Voie,
       ne voyait pas apparaître les attributs d'Éveillé,
       ne parvenait pas à réaliser la voie d'Éveillé.
       Les dieux célestes, les rois des dragons,
       la troupe des titans
       faisaient constamment pleuvoir des fleurs célestes
       en offrande à l'Éveillé.
       Les dieux battaient les tambours célestes
       et jouaient toutes sortes de savantes mélodies;
       une brise parfumée emportait les fleurs flétries
       tandis qu'il en pleuvait de fraîches.
       Quand dix éons mineurs eurent passé,
       il put enfin réaliser la voie d'Éveillé;
       les dieux comme le monde humain
       exultèrent tous en leur coeur.
       Les seize fils de l'Éveillé,
       tous avec leur suite
       de milliers de myriades qui les entouraient,
       se rendirent ensemble auprès de l'Éveillé,
       inclinèrent leur tête aux pieds de l'Éveillé
       et le prièrent de mettre en branle la roue de la Loi :
       Que le maître de sainteté, par la pluie de sa Loi,
       nous comble, nous-mêmes et tous les autres.
       Le Vénéré du monde est bien difficile à rencontrer;
       en une immense période, il n'apparaît qu'une fois.
       Pour en avertir les êtres et le leur faire comprendre,
       il fait trembler l'univers.
       Des mondes à l'orient,
       en cinq milliers de myriades de royaumes,
       les palais brahmiques se trouvèrent illuminés,
       comme ils ne l'avaient jamais été autrefois.
       Les dieux brahmiques, voyant ce signe,
       cherchèrent et arrivèrent auprès de l'Éveillé;
       ils dispersèrent des fleurs en offrande
       et lui offrirent leurs palais,
       priant l'Éveillé de faire tourner la roue de la Loi;
       en stances ils le louèrent.
       L'Éveillé savait que le temps n'était pas venu,
       il reçut leurs prières assis en silence.
       Des trois autres orients, des quatre directions intermédiaires,
       des régions supérieure et inférieure, il en fut de même :
       ils dispersèrent des fleurs, offrirent leurs palais,
       prièrent l'Éveillé de faire tourner la roue de la Loi;
       Le Vénéré du monde est fort difficile à rencontrer,
       notre souhait est qu'en sa grande compassion,
       il ouvre largement les portes d'ambroisie,
       qu'il mette en branle la roue de la Loi insurpassable.
       Le Vénéré du monde, en son incommensurable sagesse,
       accepta la prière de cette foule
       et leur proclama toutes sortes d'enseignements,
       les quatre vérités et les douze liens causaux,
       qui vont de l'ignorance à la vieillesse et mort,
       venant tous à l'existence par les conditions productives
       une telle multitude de fautes et d'afflictions,
       il vous faut la connaître.
       Quand il eut divulgué cet enseignement,
       six cents myriades de milliards
       purent mettre un terme à la douleur
       et réaliser tous l'état de Méritant.
       Lorsqu'il prêcha la Loi pour la seconde fois,
       des myriades d'êtres, comme les sables du Gange,
       n'acceptèrent plus les entités
       et obtinrent également l'état de Méritant.
       Par la suite, de ceux qui obtinrent la Voie,
       le nombre est incalculable :
       si on les comptait pendant des myriades d'éons,
       on ne pourrait en arriver au bout.
       Alors, les seize princes
       quittèrent leur famille et se firent novices,
       tous prièrent ensemble l'Éveillé
       d'exposer la Loi du Grand Véhicule;
       Nous-mêmes et ceux qui nous suivent
       réaliserons tous la voie d'Éveillé;
       notre souhait est d'obtenir, à l'instar du Vénéré du monde,
       la primordiale pureté de l'oeil de sagesse.
       L'Éveillé connaissait leur pensée juvénile,
       les pratiques menées au cours de leurs réexistences;
       à l'aide d'innombrables relations
       et d'une variété de paraboles,
       il exposa les six perfections
       ainsi que les conduites menant aux pouvoirs divins;
       il détailla l'enseignement authentique et réel,
       la voie que pratiquent les êtres d'Éveil
       et exposa ce Livre du Lotus de la Loi,
       aux stances nombreuses comme les sables du Gange.
       Quand l'Éveillé eut exposé ce livre,
       en une chambre tranquille, il entra en concentration;
       il resta assis en un seul lieu, en une seule pensée
       quatre-vingt-quatre mille éons.
       Ces novices,
       sachant l'Éveillé non sorti de méditation,
       afin de prêcher la sagesse insurpassable d'Éveillé
       aux innombrables myriades de la multitude,
       s'assirent chacun sur le trône de Loi
       et exposèrent ce livre du Grand Véhicule.
       Après le serein apaisement de l'Éveillé,
       leur proclamation aida à convertir à la Loi,
       et les êtres sauvés
       par chacun de ces novices
       furent six cents millions de myriades,
       aussi nombreux que les sables du Gange.
       Après le passage en Disparition de l'Éveillé,
       ceux qui entendirent la Loi,
       çà et là dans les terres d'Éveillé,
       renaquirent toujours avec leur maître.
       Ces six novices
       pratiquèrent en totalité la voie d'Éveillé.
       Maintenant, présentement, aux dix orients,
       chacun a pu réaliser l'Éveil correct.
       Or, de ceux qui écoutaient alors la Loi,
       chacun auprès d'un des Éveillés,
       il en est qui demeurent des auditeurs,
       devant être enseignés graduellement dans la voie d'Éveillé.
       J'étais au nombre des seize
       et ai autrefois prêché pour vous;
       c'est pourquoi, grâce aux expédients,
       je vous ai attirés pour vous orienter vers la sagesse d'Éveillé;
       grâce à ces relations originelles,
       je vous expose à présent le Livre du Lotus,
       pour vous faire pénétrer dans la voie d'Éveillé.
       Veillez à n'en pas concevoir de surprise.
       Imaginez l'exemple d'une voie mauvaise et escarpée,
       interminable, isolée, pleine de bêtes venimeuses,
       de surcroît dépourvue d'eau ou d'herbe,
       un lieu craint des gens.
       Une foule d'innombrables myriades
       voudrait passer cette voie escarpée;
       cette route est immensément longue,
       elle traverse cinq cents parasanges.
       Il y aurait alors un guide
       aux fermes connaissances, muni de sagesse,
       d'esprit lucide et déterminé,
       en plein danger, à faire franchir toutes les difficultés.
       Dans la troupe, les gens sont las et fatigués,
       ils s'adressent au guide :
       « Nous sommes épuisés, abattus,
       nous voudrions rebrousser chemin d'ici. »
       Le guide se fait cette réflexion :
       Ces gens sont bien à plaindre,
       comment voudraient-ils rebrousser chemin
       et manquer le grand trésor ?
       Ce faisant, il songe à un expédient :
       Il me faut mettre en oeuvre mes pouvoirs surnaturels.
       Il crée alors par fantasmagorie une grande ville fortifiée,
       aux maisons et résidences somptueuses,
       bordée de parcs,
       de canaux et de douves,
       aux doubles portes et hautes tours,
       remplie d'hommes et de femmes.
       Cette fantasmagorie créée,
       il rassure la troupe, leur disant : « Ne craignez point,
       vous autres, entrez dans cette ville;
       chacun s'y délassera comme il l'entend. »
       Dès que les gens sont entrés dans la ville,
       tous le coeur en grande liesse,
       ils conçoivent une impression de soulagement,
       et se croient désormais sauvés.
       Quand le guide sait qu'ils sont reposés,
       il rassemble la foule et leur déclare :
       « Il vous faut aller de l'avant,
       cette ville n'est que fantasmagorie;
       je vous ai vus épuisés et las,
       voulant à mi-chemin revenir sur vos pas;
       aussi, par la force de mes expédients,
       ai-je fait apparaître provisoirement ce fantôme de ville.
       Maintenant, redoublez d'énergie,
       il vous faut arriver ensemble au lieu du trésor.
       Ainsi en va-t-il pour moi
       qui suis le guide de tous;
       voyant ceux qui sont en quête de la Voie
       se décourager et renoncer à mi-chemin,
       incapables d'échapper à la voie escarpée
       des naissances et des morts, des passions,
       grâce au pouvoir de mes expédients,
       je leur prêche l'Extinction pour leur repos,
       et leur dis : « Pour vous, la douleur va disparaître,
       tout ce que vous deviez faire est accompli. »
       Sachant dès lors qu'ils sont parvenus à l'Extinction
       et qu'ils ont tous réalisé l'état de Méritant,
       je rassemble alors leur vaste multitude
       pour prêcher l'enseignement authentique et réel :
       Les Éveillés, par la force de leurs expédients,
       distinguent trois véhicules dans leur prédication,
       or il n'est que l'unique véhicule d'Éveillé,
       les deux autres sont prêchés comme étapes de repos.
       À présent, je vous expose la réalité
       ce que vous avez acquis n'est pas l'Extinction,
       en vue de l'omniscience d'Éveillé,
       il vous faut déployer une grande énergie;
       quand vous aurez attesté l'omniscience,
       les dix forces et autres attributs d'Éveillé,
       munis de la totalité des trente-deux marques,
       ce sera alors la Disparition authentique et réelle.
       Les guides que sont les Éveillés
       prêchent l'Extinction pour ménager une étape;
       dès qu'ils vous savent reposés,
       ils vous entraînent à pénétrer dans la sagesse d'Éveillé.


                   Fin du troisième livre

 

Retour
haut de la page